Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

De «Alay'ha nahya» à «One, two, three»

par Kamel Daoud

Mais où sont passés les islamistes algériens ces derniers jours ? Grands courtiers des mouvements de foules, les islamistes nous ont habitués à parasiter, puis enfourcher les grands mouvements de révolte ou de joie des populations arabes depuis deux décennies. Après l'Independance Day du 18 novembre dernier, et bien avant, on aurait pu s'attendre à voir autant de barbes que de drapeaux ou des reliquats du FIS se redéployer dans les quartiers populaires, et mêler foot et prière comme ils ont mêlé politique et effet de Laser dans le ciel il y a presque vingt ans. Il n'en fut rien. La fête algérienne n'avait pas de mécène, ni de courtier, ni de récupérateur (sauf l'argent de Bouteflika payant le voyage vers le Soudan). Il fallait vraiment chercher dans la foule pour retrouver une barbe çà et là. Et si le hidjab a pu s'adapter aux couleurs algériennes du drapeau, on n'a pas vu un seul kamis en vert, rouge et blanc.

 Les islamistes algériens ont donc presque disparu en tant que corps, mais restent vivants en tant que courant dans une société de plus en plus conservatrice. Ceci, tout le monde l'a dit. Le vrai propos n'est donc pas là, mais dans la suite.

 La grosse fête algérienne et l'haineuse campagne des médias égyptiens ont mis, évidemment, dans le malaise, les islamistes algériens et leurs avocats. Peu nationalistes, malgré le mouvement râté d'El jaza'ara, les islamistes ont toujours été transnationalistes, fervents de la Oumma et pas de la Nation, porteurs de la barbe et pas du drapeau. Une crise avec le pays source de l'idiologie islamiste les met, donc, dans la gêne et les oblige à des choix clairs qu'ils ne peuvent pas assumer. Ces jours-ci, il faut être soit Algérien, soit Egyptien. L'imam El-Qardaoui a, par exemple, fait son choix en chargeant les Algériens de tous les maux. Et être islamiste c'est être dans un rapport de vassalité par rapport au foyer de cette idéologie et sa première matrice : l'Egypte et ses Frères musulmans. C'est aussi rappeler que cette idéologie est l'une des premières exportations de masse de l'Egypte vers l'Algérie. Chez nous, l'idéologie de ce courant, ses marques, livres, signes et références, sont toujours externes et l'islamisme algérien n'a jamais été qu'un produit dérivé de ce courant de fond, dans la chanson religieuse autant que dans l'habit et la hiérarchie du «Savoir». La solidarité transnationale de ce mouvement est donc aujourd'hui mise à mal par la récente crise des hyper-nationalismes de part et d'autres. Bien plus que le premier Pakistan ou la figure d'El-Afghani ou la légitimité guerrière de Ben Laden, c'est Le Caire qui a le plus marqué l'histoire de ce courant et son projet chez nous et ailleurs. Aujourd'hui, donc, ce mouvement est frappé au coeur par la réactivation d'autres références : l'appartenance, l'identité et la solidarité nationale, des marqueurs que l'on croyait démodés et dépassés dès les années 80. Les Algériens, aujourd'hui, n'hésitent même plus à proclamer qu'ils sont musulmans, mais «Algériens» en réaction à l'empire des croyances et des «Nahda» et renaissances que l'Egypte a cru exercer pour l'éternité sur les élites arabes. «Tout est clair», répètent les Algériens depuis une semaine. Oui, tout est clair, sauf pour les islamistes : ils doivent soit inventer un islamisme local pour garder leur leadership, soit se dissoudre dans le «One, Two, Three» de la grande majorité.

 Il faut lire avec amusement les déclarations de ténors du MSP et d'Ennahada ces jours-ci pour apprécier ce spectacle !