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Ils l'ont fait !

par Amara Khaldi

Il a suffi d'une bande de jeunes portant enfoui au fin fond des tripes un amour du pays insoupçonné jusque-là, pour remettre en cause toutes les conjectures passées comme certitudes sur l'intensité de notre nationalisme qu'on avait vite remisé au musée des souvenirs. L'expression de cette vigueur retrouvée, tel un vent salutaire, a fini par chasser la chape de sinistrose sous laquelle on suffoquait à petit feu et qui avait failli fausser la perception qu'on pouvait avoir de l'Algérien.

Nous avons repris gout à la vie et renoué orgueilleusement avec les reflexes ancestraux qui avaient fait la force des générations antérieures dans notre fol espoir de croire aux miracles. Nul besoin de recourir au doucereux racolage pour savoir si l'événement nous propulsait au firmament de l'allégresse.

 On était réellement heureux de vivre intensément et même de participer corps et âme à une réjouissance vraiment conviviale qui nous change des cérémonies barbantes et onéreuses qu'on subissait dans une ambiance affectée et d'une tristesse à pleurer.

 L'Algérien se réconcilie avec lui-même, retrouve son identité avec fierte, son drapeau et son hymne national qu'il entonne avec une ferveur inégalée depuis celle de juillet 1962. A quelques temps de là, certains n'avaient qu'un rapport juste formaliste à la limite du factice pour ces symboles, alors que d'autres préféraient exhiber ostensiblement les bannières d'autres pays dans les gradins et sur leurs vêtements.

 Avec ceux qui n'osaient pas s'afficher à coté de l'emblème national considéré comme ringard, il y avait l'espèce la plus inquiétante : celle qui refusait ostensiblement d'assister à la levée des couleurs dans des établissements publiques en prétendant qu'il n'était pas assez... musulman.

 S'extrayant de l'attraction émasculante des nombreuses chapelles avec leurs faux dévots, leurs sermons anachroniques et leurs discours populistes nos jeunes se sont détachés des pesanteurs pour libérer des pulsions saines longtemps refoulées.

 Les interdits, les handicaps psychologiques et toutes les inhibitions et hypocrisies accumulées volèrent en éclat pour la réappropriation de leur véritable nature et de l'un de ses besoins vitaux : faire spontanément la fête au village selon leurs propres règles. Une réelle fierté d'assister à ce défoulement sain de notre jeunesse enfin maitresse de ses actes, débarrassée de l'oppression de tutelles auto proclamées. Elle venait d'exorciser les vieux démons qui l'entravaient au grand dam de quelques vautours qui ont du assister, la mort dans l'âme au déferlement des flots de la vie qui reprenait ses droits. C'était la bérézina de leur stratégie d'endoctrinement et l'échec pitoyable de leurs doctrines archaïques. Le feu était dans la baraque ; même les plus inconditionnelles de leurs ouailles, happées par la grande crue, leur filaient inexorablement entre les doigts. En un tour de main et sans dieu ni maitre notre jeunesse a pu réaliser et vivre passionnément une kermesse à la dimension de notre grand et merveilleux pays. Les martyrs, longtemps dépités par notre ingratitude et de ce que nous avons fait du produit de leurs sacrifices peuvent à présent se rasséréner quant à l'authenticité de leurs surgeons et donc sur l'avenir du pays. Le levain qu'ils ont semé a levé et les jeunes pousses ont administré la plus grande leçon de nationalisme par sa profonde sincérité tant elle était simplement naturelle et complètement désinteressée. Aucun de ces jeunes n'a été effleuré par une quelconque ambition d'accession à la fortune ou au pouvoir, son seul crédo est de hisser vers les plus hautes cimes les couleurs nationales pour lesquelles il vient de prouver à quel point il était prêt à offrir le meilleur de lui-même.

 On ne donnait pas cher de ces jeunes avec lesquels on a rarement connu une pareille harmonie dans leurs relations avec le reste de la société. A les entendre récriminer sans interruption et reprocher même au bon dieu de les avoir fait naitre sous ce ciel, le plus averti des observateurs n'aurait pas hésité à conclure qu'il était en présence d'un magma inflammable de jeunes perclus par l'amertume n'ayant qu'une notion suspicieuse du patriotisme et n'éprouvant que de l'indifference, voire de l'aversion, pour tout ce qui peut représenter le pays.

 Ils ont vite été rangés dans la catégorie peu recommandable des émeutiers par désir morbide d'embêter les autorités ou de harrags stupidement séduits par un mythique eldorado de l'autre côté d'une mer traitresse. Pour les moins virulents on leur reproche dans notre immense indulgence de n'être que d'encombrants parasites passant leurs caprices sur leurs géniteurs et vivant honteusement à leurs crochets.

 Englués dans le marécage des fausses convenances et d'étranges attitudes greffées cyniquement dans la culture générale et perpétuellement ravivées par les gardiens du temple soucieux de préserver leur influence inhibitrice sur la socièté, ils ont même perdu le reflexe juvénile de se défoncer et de mordre la vie à pleines dents. En leur présence on a la désagréable impression d'être au milieu d'un troupeau de zombis débarquant d'un monde glauque avec leur accoutrement ridicule et une sénilité prématurée dans le comportement. Condamner un jeune, qui de nature doit bouillonner de vie, à se morfondre dans un ersatz de culture incitant la plupart du temps au renoncement de soi même débouche nécessairement sur une interminable veillée de guerre avec des instincts toujours plus destructeurs pour compenser la frustration d'épanouissement nécessaire à cet âge. Benmhidi, en grand visionnaire éclairé, connaissait déjà les leviers jalousement gardés de son peuple en lançant la fameuse prédiction «Jetez la révolution dans la rue et le peuple la saisira».Elle n'a jamais été aussi bien illustrée que par l'éruption de ce volcan incandescent autour d'une cause pourtant banale au départ et n'intéressant que la frange bien particulière des sportifs et de leurs fans En ce mois de novembre, notre mois des défis, les Algériens ont laissé de coté toutes les rancoeurs et les mesquineries d'une quotidienneté cafardeuse n'offrant que le doute et le désenchantement.

 On s'aperçoit que, même recouverts par les cendres des multiples reniements, les tisons ardents d'un patriotisme loyal n'ont jamais disparu, mais personne cependant n'était prêt à soutenir le pari qu'une équipe de foot bal pouvait les transformer en un gigantesque brasier et mobiliser spontanément toutes les couches et tous les âges de tout un peuple dans une communion aussi mémorable.

 D'horizons différents, de fortunes diverses et avec parfois des projets de société antinomiques, ces millions de voix hurlant jusqu'au nirvana « one two, three...viva l'Algérie ! » donnaient le frisson. Brandir fièrement les couleurs nationales avec pour unique cri de ralliement l'hymne national constitue le meilleur désaveu de ceux qui prétendaient que l'Algérien était devenu un indécrottable opportuniste peu sensible au devenir de son pays qu'il «vendrait» pour une bouchée de pain !

 Amazigh n'est pas seulement le nom d'un génotype, il désigne surtout l'homme stoïquement debout devant l'adversité. Il est généreux par nature mais allergique jusqu'à l'obsession à toutes forme d'injustice. Il y a un mot du cru intraduisible fidèlement dans d'autres langues et qui désigne beaucoup plus un feeling que seul un Algérien peut identifier : « Hogra » sous l'effet duquel ce dernier peut soulever des montagnes !

 L'un de nos présidents l'avait bien utilisé pour envoyer facilement des milliers de jeunes au front pieds nus. Mais personne ne s'était plaint à l'époque ; comme aujourd'hui, il fallait être à la hauteur du défi, les souliers on en reparlera plus tard entre nous ! C'est cet esprit qui a permis à cette équipe de nous faire vivre sur un nuage pendant toute cette période.

 L'idéal, maintenant serait de ne pas en redescendre après l'euphorie et sombrer dans la médiocrité, mais d'utiliser cette dynamique dans le lancement d'autres chantiers qui méritent tout autant notre enthousiasme pour améliorer nos conditions de vie. Il n'est pas impossible de garder en bonne santé cette flamme sublime pour éclairer la grisaille de notre quotidien et canaliser ces torrents d'énergie capables de nous projeter au niveau des grandes nations. Pour cette fois nos autorités ont eu l'intelligence d'enfourcher sans tarder la grande vague et de l'accompagner au grand bonheur de tout le monde. Qu'y a-t-il de mieux qu'une symbiose aussi productive entre gouvernants et gouvernés ?

 Un grand coup de chapeau au maitre d'œuvre de cette véritable expédition sur Khartoum de milliers de jeunes en un temps si court et sans aucun problème. Déplacer cette masse de jeunes surexcités sur une aussi longue distance, les prendre en charge intégralement et les organiser aussi efficacement sur tous les plans dans un pays étranger au milieu d'un environnement parfois hostile relève d'une gageure. Un haut degré de professionnalisme qui rassure les plus sceptiques sur les capacités de notre pays et son avenir.

 L'atavisme de Novembre est peut être pour quelque chose dans cette réalisation historique mais une judicieuse décision politique orchestrée de main de maître par nos cadres pour réussir avec quel panache une aventure aussi prodigieuse force le respect et la considération. Une étape importante à inscrire au palmarès de nos réussites et à honorer par le plus populaire des saluts : « One, two, three...viva l'Algérie ! ... »