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Un référendum spontané

par M. Abbou

Au moment où de grands pays organisent des exercices de «psychanalyse nationale» sur leur identité, le peuple algérien, dans un mouvement spontané et unanime, a répondu à la question qui ne lui a pas été posée, mais que suggérait depuis quelque temps déjà la suspicion de perte de repères dans laquelle est tenue sa jeunesse.

Le diagnostic de déficit de nationalisme arborait toute sa pertinence dans la preuve irréfragable que lui offrait le phénomène de la «Harga». Et comme il est très difficile de remettre en cause les évidences reçues, la coexistence anonyme entre dirigeants et dirigés ne risquait pas d'être dérangée par d'autres explications. Les responsables vaquent au bonheur de leurs administrés attribuant l'incompréhension qui accueille leur dévouement à la dilution des valeurs et à l'atrophie de la mémoire collective.

 Les administrés, insatisfaits, s'ingénient à inventer des formes de résistance aussitôt combattues par les tenants de l'ordre ou dont l'efficacité s'émousse d'elle-même.

 Les ressentiments des uns et des autres les renforcent dans leurs fausses convictions.

 Mais, un événement sportif que la politique s'est hasardée à charger d'une visée stratégique a échappé au détour contrôlé et a été brillamment récupéré par un peuple qui a trouvé là l'occasion de s'exprimer sans recours à l'isoloir.

 Et le peuple a dit je ne suis pas seulement Algérien, je suis l'Algérie, dans un plébiscite à drapeaux levés et dans une unité de lieu et de temps parfaite.

 Mais s'il faut se garder d'exagérer la portée de cette ferveur et de louer toutes ses raisons, il ne faut pas, par contre, en négliger les vertus.

 Et elle en a au moins deux, la première, est de lever un certain nombre d'ambiguïtés sur les rapports entre l'Etat et la Société et la seconde est d'indiquer une meilleure voie pour la mobilisation sociale.

 Ces ambiguïtés ont trait aux notions de jeunesse, de citoyenneté et de solidarité.

 En toute sincérité, les politiques dans leur profession de foi privilégient la couche des jeunes dans la société estimant qu'elle en constitue, à juste titre d'ailleurs, la plus forte proportion. Mais cette proportion rapportée à la population dépasse les soixante-dix pour cent pour les moins de trente ans, ce n'est alors plus une couche, c'est tout le peuple.

 Cette première vérité peut changer complètement les termes dans lesquels sont posées les équations de l'emploi, de l'investissement public de l'action culturelle et de l'épanouissement social.

 Par ailleurs, l'écrasante majorité de cette population est née après l'indépendance alors que les réponses politiques à ses demandes économiques et sociales sont souvent influencées par les normes et les habitudes d'une génération au seuil de la retraite. La connaissance de ses goûts, de ses aspirations et de ses ambitions est un préalable obligatoire à toute prétention de gérer les affaires d'une société.

 Le second malentendu réside dans le rapport civisme-citoyenneté. L'éducation civique et l'enseignement de l'histoire sont probablement des conditions nécessaires à l'entretien du sentiment citoyen, mais demeurent insuffisantes pour son éclosion.

 La conscience citoyenne prend naissance dans un espace commun entre des individus qui se reconnaissent dans une identité commune et qui disposent d'une force symbolique qui est la souveraineté, c'est-à-dire la faculté d'imposer et de s'imposer un pouvoir politique. A la différence de la société civile, la societé citoyenne est une construction, elle existe organiquement au moment du scrutin mais entre deux rendez-vous électoraux, elle se constitue d'êtres de droit.

 Et c'est la jouissance effective de ses droits qui fonde la citoyenneté. La réalité des droits et leur perpétuation imposent aux bénéficiaires des contraintes organisées et sanctionnées par la loi (contributions aux charges, et respect des règles et conventions). Le civisme est en définitive une manière d'observer ces contraintes et de s'en acquitter. Il est la manifestation sociale de la citoyenneté et non sa source.

 La notion de solidarité a, elle aussi, été complètement dévoyée par de louables intentions.

 La solidarité est d'abord échange, compréhension et convivialité. En chaque individu il y a un potentiel de solidarité qui se manifeste dans des circonstances exceptionnelles et qui a littéralement explosé lors des événements particuliers qu'a vécus le pays.

 L'institutionnalisation risque de la tarir et de la muer en assistance. Sa bureaucratisation détruit le lien social et donc le seul révélateur de la pulsion altruiste naturelle. La solidarité n'est plus alors qu'une autre forme de dépense publique.

 Il ne s'agit donc pas de décréter la solidarité, mais d'en libérer le potentiel social et de le favoriser. Et ce potentiel est latent à tous les niveaux d'organisation de la société.

 Ce qui nous amène à aborder le deuxième enseignement des récents événements vécus par notre pays.

 Les espaces de solidarité peuvent être le point de départ d'une véritable mobilisation citoyenne.

 A l'occasion de la récente rencontre sportive, les habitants se sont spontanément organisés au niveau des quartiers, les moyens financiers et matériels ont été récoltés pour pavoiser les immeubles, dresser des écrans de projection publics, organiser le transport commun, voire la restauration collective.

 Cette gestion spontanée révèle l'existence de capacités réelles de prise en charge de l'intérêt commun.

 Des espaces de solidarité peuvent être ouverts au niveau des communes ou des quartiers dans les grandes villes, tout simplement pour offrir aux habitants un lieu de rencontre et de débats où ils peuvent discuter de la vie de leur quartier, débattre de leurs problèmes et éventuellement s'organiser pour participer à leur résolution. A ce moment seulement, l'apport de l'Etat aura une raison et un objectif.

 Les espaces peuvent constituer un réseau national qui dispose là d'un tissu de réactivité et de circulation de l'information dans les deux sens.

 Une véritable veille sociale peut ainsi être envisagée pour aider à la décision politique et à la mobilisation permanente autour du bien commun. Mais qu'est-ce que le bien commun ?

 N'est-il pas aventureux d'abandonner sa définition à des intérêts contradictoires ou tout simplement à la «dilatation du moi que peut provoquer l'exercice des hautes fonctions» (1).

 «Seul le Président de la République est en position de n'avoir jamais du bien commun une vue biaisée par des considérations de carrière». (1)

 Et le chef de l'Etat en a magistralement administré la preuve par ses récentes décisions.

 C'est à lui donc d'indiquer les perspectives et d'ouvrir la voie à l'espoir. Car, seul l'espoir permet la réappropriation du présent et la régénération du passé pour reconquérir sa place dans le monde.



Notes :

(1) Françoise giroud : " La comédie du pouvoir " 1979Paris