Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Love story au pays des momies: Notre héros reçoit un coup de fil

par Boudaoud Mohamed

Jamais il n'avait entendu une voix pareille. Un frisson délicieux parcourut son dos, ses jambes mollirent, et il dut s'asseoir sur une chaise qui était à portée de sa main pour pouvoir répondre au téléphone. C'était une voix ensorcelante, inhumaine. Dès les premières paroles, il eut la certitude qu'il était sur le point de vivre un événement extraordinaire, une histoire merveilleuse qui allait frayer la chronique pendant lontemps. Environ une demi-heure plus tard, alors qu'il raccrochait, la main tremblant d'émotion, des mots poignants se creusèrent un chemin dans sa gorge, et il s'entendit murmurer, des larmes aux yeux : «Voici enfin le jour que j'ai tant attendu. J'ai toujours su que je n'étais pas un individu quelconque comme ces millions de créatures épaisses et sottes qui pullulent et grouillent en Egypte, surchargeant notre patrie inutilement et dangereusement. Moi, je fais partie des hommes que Dieu, Tout-Puissant, a créés de l'argile qu'Il réserve aux élus. Comme Sethi 1er, Ramses II, Moubarek 1er, Moubarek II, et Moubarek III».

 Le lecteur se demande sûrement à qui appartient cette voix, et qu'a-t-elle dit pour mettre notre héros dans un état pareil ? Curiosité saine et légitime qu'il est de notre devoir d'émousser après l'avoir si bien aiguisé. Car sinon, que dirait-on d'un scibouillard qui invente des histoires qu'il ne sait pas mener à terme ? Les gens de notre âge n'ignorent pas l'ampleur des dégâts qu'occasionne un feu qu'on allume, mais qu'on est incapable d'éteindre.

 Eh bien, lecteur, ce matin-là à dix heures, c'est une jeune femme qui a appelé ce descendant des Pharaons. Après avoir souhaité le bonjour à notre personnage, elle s'est présentée comme étant une journaliste travaillant pour un grand quotidien étranger. Elle a ajouté :

- Fasciné par votre savoir-faire et le professionalisme dont vous avez fait preuve ces derniers temps, mon patron m'a chargée de vous demander si vous accepteriez de nous accorder une interview. Les chaînes de télévision égyptiennes attirent positivement son attention depuis bientôt un mois. Il nous a avoué que jamais il n'aurait cru qu'un petit pays arabo-musulman serait un jour apte à concevoir et réaliser des émissions d'une aussi bonne facture. Mais, si beaucoup d'animateurs ont plus ou moins provoqué son admiration, sachez, monsieur, que vous, vous l'avez complètement conquis ! À tel point qu'il nous a obligés de suivre toutes vos émissions. «Quel talent ! Quel génie ! Cet Egyptien est tout simplement fascinant ! Répète-t-il sans discontinuer depuis presque un mois. Quel langage percutant et vivant ! Voyez comment il sait choisir les mots avec lesquels il éclabousse ces bougres d'Algériens. Ces poignées de boue puantes qu'il leur jette à la figure avec plaisir. Pourtant, rien dans ses apparences ne laisse prévoir ce parler cru et débridé qui sévit dans les lieux malfamés. Au contraire, en le voyant ainsi gominé, maquillé et fringué, on s'attendrait à des paroles de femelette résidant dans un quartier chic, gorgées de miel, de gémisements, et de chichis. Quel dynamisme ! J'adore les garçons qui ne craignent pas de patauger dans la fange quand il le faut ! Non, il ne me trompera pas, j'ai la conviction intime qu'il est de notre peuple». D'ailleurs, il n'est pas le seul à jurer que vous êtes des nôtres. Ma mère est persuadée que vous appartenez à notre communauté.

 Lecteur, bien que nous brûlons d'envie de vous fournir tous les détails, pour ne pas alourdir le texte, nous éviterons de vous rapporter l'intégralité de ce que la demoiselle a dit à notre héros égyptien. Nous nous concentrerons sur l'essentiel. Ainsi, après avoir obtenu de notre vedette l'accord de l'interviewer, la mystérieuse jeune femme murmure : «Je serai donc chez vous à 20h. Vous me permettrez, monsieur, de vous dévoiler plus tard mon identité et le nom du journal qui m'emploie. Vous saurez tout au moment opportun. Je vous demanderais de patienter jusqu'à la fin de cette histoire. C'est une belle surprise qui nous attend tous les deux. À ce soir». Un autre frisson délicieux parcourt le dos de l'élu.



Notre héros se pomponne

Faut-il vous décrire comment notre journaliste a vécu les heures qui le séparaient de ce rendez-vous merveilleux ? D'accord, mais brièvement et avec pudeur, s'il vous plait. D'abord, il court chez un droguiste et revient chez lui avec des paquets contenant parfums, déodorants, pommades, poudres, gominas, savonnettes, champoings, lames à raser, et beaucoup d'autres produits de beauté que votre serviteur ne saurait pas nommer. Ensuite, il s'enferme dans la salle de bain et se pomponne pendant des heures. (Nous n'aurons jamais l'audace de reproduire ici fidèlement ses faits et gestes. Sachez seulement qu'il s'est adonné à un comportement douteux devant les glaces qui tapissent les murs de ce lieu. Nous éviterons aussi de révéler les rêveries que son imagination a fabriquées pendant qu'il se bichonnait). À 19h, il commande une table dans un restaurant chic de la capitale. Le reste du temps, il le passe à prier, remerciant et glorifiant Dieu de l'avoir créé d'une argile noble.



Notre héros se confie

Il est 20h45. Notre héros est assis en face d'une jeune blonde potelée et ravissante. Elle dit : «Monsieur, vous ne pouvez pas savoir combien je suis heureuse d'être ici avec vous. Vous êtes encore mieux que sur un écran de télévision». Il se trouble et rougit. Il risque de défaillir. Elle murmure : «Donne-moi du plaisir en me parlant de ces gens qui gitent dans ce patelin nommé bizarrement Algérie. Je t'en supplie. Use des mots délicieux que tu as employés dans tes émissions. Mieux, je veux entendre ta langue appêtissante ruisseler de toute la haine que secrètent abondamment tes entrailles à l'égard de cette peuplade. Laisse-toi aller. Plonge en tes profondeurs humides et rapporte-moi les merveilles qui y croupissent. Comme mon patron, comme tous ceux de ma communauté, j'aime les créatures qui ne grimacent pas devant la laideur. Les mollassons qui passent leur temps à soigner leur langage et leur viande me donnent la nausée. Sois un homme et je t'en serais profondemment reconnaissante. Je saurais comment te remercier». Alors, avec les miettes de force qui palpitent encore dans son corps, il répond au désir de sa plantureuse campagne :

- C'est une horde de voyous et de bâtards, mademoiselle. Des sauvages armés de couteaux, qui ne rêvent que de massacres. Des terroristes. Des barbares. Ce ne sont pas des gens respectables et distingués qui ont atterri au Soudan pour assister à un match de football, ce sont des bandits et des truands déversés par des avions militaires. Maquillés comme des Apaches, ils ont envahi les lieux, hommes, femmes et gamins, hurlant «One, two, three, viva l'Algérie !», des youyous effroyables fusant de la bouche impure de leurs garces d'épouses, de soeurs et de filles. Nos doux, paisibles et honorables supporters ont été épouvantablement traumatisés par ces tribus primitives que l'inceste ne repousse pas. Une mauvaise graine qui se multiplie librement au vu et au su de la communauté internationale ! Ombrageux et bagarreurs, les nerfs à fleur de peau, un rien les déchaîne et les transforme en fous à lier, les yeux injectés de sang, les mains tordues et agitées par un désir violent de tuer. Pourtant, Dieu est témoin des efforts que ma patrie, l'Egypte, a déployés pour les raffiner et les civiliser. Les milliers de chansons et de films d'amour vendus à bas prix à ces incultes indécrottables n'ont servi à rien. Ils sont si primitifs et si farouches que, même les actrices charnues et aguichantes que nos réalisateurs utilisent, n'ont pas réussi à les dégrossir. Nous croyions que la danse du ventre, les minauderies et les gémissements finiraient par les débarrasser de cette brutalité et cette méfiance qui les caractérisent. Nous nous sommes lourdement trompés. C'est une engeance indisciplinable et imperméable aux vertus de la civilisation. Personne n'a pu découvrir d'où ils viennent. Des centaines de chercheurs étrangers ont tenté vainement de déterrer leurs racines. Ils n'ont rien trouvé. Aussi profondément qu'ils ont creusé. Mais, rusée et diabolique, cette racaille s'est confectionnée une Histoire. Dans des dizaines de livres remplis de mensonges, ils racontent que ce qu'ils appellent leur patrie a été colonisée pendant plus de 130 ans par la Grande France, et que pendant tout ce temps-là, ils n'ont jamais cessé de se battre, pour chasser ces envahisseurs de leur pays. Qu'ils ont réussi à le faire un certain 5 Juillet 1962, après une guerre qui aduré 7 ans, déclenchée le 1er Novembre 1954, se vantent-ils, gonflés de bluff, les sales menteurs, les renards, les chacals, les chiens, les crasseux, les cafards, les rats, les poux, les moustiques, progéniture de Satan. Ils ont inventé de toutes pièces un drapeau avec trois couleurs qu'ils brandissent comme un fusil et des héros qu'ils fêtent et vénèrent aujourd'hui sans aucune honte. Ils prétendent qu'ils ont mené contre les Français une guerre qui leur a couté plus d'un million de martyrs. Et on les a crus, mademoiselle, on a gobé ces boniments ! Ils ont dupé tout le monde, ces mythomanes ! Mademoiselle, dans l'article que vous allez rédiger, il faut tirer la sonnette d'alarme, la tirer sans répit ! Il vous faudra convaincre les puissances occidentales qu'il est urgent de raser cette vermine de la surface de la Terre ! La bombarder jusqu'à l'éradiquer totalement ! Avant qu'il ne soit trop tard ! Mademoiselle, ces créatures sont très dangereuses ! Même leurs gamins se métamorphosent en bêtes féroces quand ils s'enveloppent dans leur torchon national...

 Notre héros parla ainsi pendant deux heures. La charmante demoiselle intervenait de temps à autre pour l'encourager à continuer, jouissant abondamment du plaisir de l'écouter. Cependant, entendant une voix annoncer qu'il était 23h exactement, elle se leva brusquement de table : Oh ! Oh ! Il faut que je rentre immédiatement ! Viens, nous allons terminer cette soirée à la villa que j'ai louée. Il faut que je sois là-bas avant minuit !



Notre histoire se dénoue

Ils arrivèrent à la villa en question à 23h58. Deux minutes plus tard, notre héros fut le témoin d'un événement fantastique. Subitement, la villa et la blonde furent plongées dans la nuit. Il pensa d'abord à une coupure de courant. Mais il ne s'agissait pas d'une panne d'électricité, car ses yeux purent bientôt percer l'obscurité et distinguer les choses. Il sentit un froid envahir ses jambes et il vit qu'il avait les pieds plongés dans une mare fangeuse et puante. Ne comprenant rien à ce qu'il lui arrivait, le pauvre chercha sa future dulcinée du regard. Elle était à ses côtés, mais il constata qu'elle s'était métamorphosée en laie. Des grognements attirèrent son attention. C'étaient un troupeau de sangliers. Une bande de marcassins plongèrent subitement dans la marre et se mirent à barboter avec joie dedans, éclaboussant généreusement notre héros. Il entendit la voix qui l'avait fasciné au téléphone lui chuchoter : «Je t'aime mieux comme ça ! Couvert de boue puante, tu m'excites terriblement. Continuez les coquins, pataugez de plus belle, il faut débarrasser mon amour de ces parfums dégoûtants qu'il s'est répandus sur la viande pour me séduire. Il me le faut puant ! Je le veux puant ! Ah ! Le bonheur qui m'attend ! Qui nous attend tous les deux, mon chéri ! Nous remplirons cette forêt de grognements de plaisir ! Sans trêve, tu me murmureras des paroles comme celles que tu as employées au restaurant, qui m'affoleront, qui m'embraseront. Ah ! Combien j'ai attendu ce moment ! Ah ! L'enfer que j'ai vécu ! Bien sûr, dès que je t'ai entendu à la télévision, j'ai su que tu étais de notre race. Tu me raconteras plus tard comment tu t'es changé en être humain. En ce qui me concerne, j'ai envoyé un e-mail à un nommé Charles Perrault, lui demandant de me donner l'adresse de la fée qui a aidé Cendrillon à séduire le Prince. Il m'a répondu, et j'ai pu contacter la magicienne. Elle a accepté de me donner un coup de main. Voilà comment j'ai été changée en demoiselle, chéri. Et voilà pourquoi je devais rentrer chez moi avant minuit. Tu me regardes avec des yeux hagards. Tu es choqué. Ne crains rien, ne t'affole pas, tu es parmi tes frères ! Ici, tu auras la liberté d'être toi-même ! Tu ne seras pas obligé de te pomponner tout le temps ! Viens, je vais te débarrasser de ces effets vestimentaires qui t'enlaidissent ! Ensuite, nous barboterons ensemble dans cette marre vaseuse et délicieuse éclairée par la lune. Désormais, tu es à moi, mon amour de sanglier ! Viens, ne me résiste pas, abandonne-toi... Bahibek wa mout fik... Habibi... Hayati...