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L'école est la
plus merveilleuse, la quintessence des inventions de l'humain. Incubateur de la
citoyenneté, pourvoyeuse d'élites, de ses performances dépend le devenir de la
société. En plus d'ouvrir la voie au progrès, le savoir et l'éducation qu'elle
transmet ont le génie d'humaniser les rapports au sein de la communauté pour
prédisposer les individus au meilleur vivre ensemble. Troubler sa sérénité est
déjà profondément affligeant. L'agresser est le pire des méfaits dont on peut
se rendre coupable. Déposséder ses semblables du droit d'apprendre est un
abject crime.
Trouverais-je alors les mots justes pour exprimer l'indignation, la répugnance, la rage que suscitent en nous le climat anxiogène et l'état de délabrement que d'aucuns veulent pérenniser dans nos établissements éducatifs ? Rien qu'à y penser j'ai les jambes qui flageolent. En toute déférence et humilité, je suis convaincu que vous partagez mes appréhensions, vous tous à qui on veut ôter le droit d'accès au savoir de qualité, au progrès, à l'espérance même. Auprès de vous, grande majorité silencieuse, dont l'âme souffre ma souffrance de voir le temple des sciences violé, piétiné et amené à s'empêtrer dans un marasme sans précédent. Je trouverai sans doute oreille attentive et répondant à la mesure de la noble cause. Autrefois emblématique, frappée du sceau de la sacralité, notre école, notre université, subit de nos jours un affront dépassant outrageusement tout entendement. Livrée en pâture à une horde d'individus incultes, sans aucune forme de moralité, défiant la raison, elle sent fortement le brûlé, telle une marmite laissée trop longtemps sur le feu. Si l'on ne se presse pas d'éteindre les flammes voraces, le contenu - entendre la mission scientifique et éducative - s'évaporera à jamais. Au mieux, résidera au fond de la médiocrité noirâtre, synonyme d'extinction de l'intelligence et évanescence du bon génie. C'est là le résultat d'une politique de prévarication et de fuite en avant qui consacre «les arrangements», l'impunité et le laxisme comme modes de gestion. Depuis l'indépendance, l'Etat algérien n'a pas cessé d'investir afin de mettre à disposition des citoyens les moyens leur assurant une éducation à la hauteur de leurs aspirations au développement et à la modernité. Des sommes colossales ont été engagées dans la formation des cadres, au sein des universités algériennes et étrangères, dans la réalisation d'infrastructures, dans les équipements pédagogiques et scientifiques ainsi que dans les services. Le but éminemment stratégique étant naturellement d'offrir à la communauté des espaces où l'activité éducative, scientifique et culturelle peut s'exprimer et se développer librement et en toute quiétude. Sauf que certains usufruitiers, hideux parangons de charognards, ne l'entendent pas de la même oreille. Nul doute que l'obscurantisme et la médiocrité ont aussi leurs adeptes et leurs séides. Définitivement inscrits dans la logique de la prédation, fieffés combinards, interlopes confits à la culture de l'intrigue, ils perçoivent l'université comme un marché juteux où l'on peut s'approvisionner en diplômes, sans mérite ni effort, et où il y a opportunités à gagner beaucoup d'argent. Les vilénies et autres turpitudes sont souvent l'œuvre de «délinquants à patte blanche» embusqués dans les strates des institutions et à l'extérieur. Possédant une sorte de don d'ubiquité, mille tours dans leur besace, ils sont dotés d'un fort pouvoir de nuisance. La gangrène prend de plus en plus d'ampleur, du fait que la cohorte impudente a tendance à s'impatroniser dans nos établissements. Nous assistons, impuissants, à une croisade des plus insanes. Du coup, fatalement, au lieu de tirer sa vanité et sa substance de sa noble mission originelle, de sa période épique et de son ascendance académique, savante et civilisatrice, l'école, en ces temps de décadence, semble plutôt puiser de référentiels empreints de manipulation, de violence, de tricherie et autres vices qui ne cessent de corroder l'esprit intellectuel. L'éthique, la déontologie et autres valeurs universitaires s'en vont à vau-l'eau. La fontaine du savoir, jadis si limpide et exaltante, prend des couleurs de boue nauséabonde et risque de se tarir. Méconnaissable alors, elle ne sera pour nous qu'un fugace souvenir. Prosaïquement parlant, on veut nous signifier, sans vergogne, que l'art, la culture, le savoir et la science sont passés de mode, obsolètes. C'est précisément ce qui met la demeure en péril, car qui cultive la tromperie dans le champ du savoir récolte l'abrutissement et la désolation, avec ce que cela peut charrier comme mouise dans la vie sociale. Une stratégie semble bien conçue pour nous contraindre à nous occuper de secondaires besognes et de relations conflictuelles autour de revendications souvent peu raisonnables, relevant parfois de l'inconcevable, afin de nous éloigner de la conduite, de la gestion et de la promotion des questions culturelles, pédagogiques et scientifiques. Et que l'ignorance engendre de maux, disait l'Emir Abdelkader. Mais accordons-nous encore la moindre attention à la sagesse et la bonne parole alors que nous sommes envahis de nouveaux dogmes, de repères et de mythes aux vertus cyniquement soporifiques, euthanasiques. Ces néo-valeurs en vogue, ayant bâti leur corpus sur le mensonge, les non-dits et les non-écrits, qui feraient fuir d'horreur l'esprit rationnel, nous assurent une dérive, douce en apparence mais certaine, vers l'anarchie et le chaos. Une prose obscurantiste, trompeuse, factieuse, sert de socle, d'infrastructure à un projet de déstructuration du système éducatif algérien. Que sont alors dans ce brouhaha bouillonnant nos écoles, nos universités, devenues ? Que veut-on en faire ? Des domaines de prédilection et des arènes de faussetés où seule la médiocrité peut s'illustrer, serais-je tenté de répondre. Des espaces dominés par des énergumènes qui, au regard d'un esprit bien à l'endroit, semblent surgir de nulle part, anachroniques. Et pourtant, ils sont bien là ces «extra bon sens», conjuguant avec brio et à tous les temps la manipulation et les jeux de coulisses. Les plus à craindre sont ces sataniques calculateurs qui font de nos institutions un fonds de commerce politique, un instrument de lutte des clans et des égos. Les mouvements revendicatifs, même légitimes a priori, ont souvent des soubassements de guéguerres d'arrière-garde. En habiles arlésiens, s'appuyant sur des relais «bien travaillés», faufilés au sein de la communauté, d'habiles filous jettent leur dévolu sur des jeunes étudiants peu expérimentés pour les embrigader, les circonvenir, en leur faisant miroiter des opportunités de réussites politiques, en insufflant en eux l'esprit bassement mercantile, et Dieu sait quoi encore. Avec grande dextérité, par le jeu combiné de l'oseille et des promesses, ils les affriandent, les obnubilent et les éloignent de leur raison d'être à l'université. Le lavage de cerveau faisant, les émotions irrationnelles, cadenassant l'intelligence, prennent le dessus et ouvrent la voie aux comportements les plus déraisonnables pouvant conduire à l'irréparable. On peut aisément imaginer les dérives et la spirale infernale qui en découlent. Les glissements anarchiques des bons repères produisent forcément l'errance et l'égarement intellectuel. Leur projet d'études mis en quarantaine, abusivement convaincus d'être élevés à un rang au-dessus de leurs camarades, sous l'ombrelle de parrains pervers, les pauvres jeunes sont à la merci de tout histrion politique, de tout prédateur ou de tout maître chanteur. Les coteries se sont ainsi constituées et stratifiées de fil en fil. L'ascension s'opérant par l'entremise de la combine et des «services rendus», chaque étage de la hiérarchie se sent redevable au mentor qui l'a tiré vers le haut. Normal, est vassal qui est porté au pinacle par l'allégeance aveugle et l'intrigue clanique. Au fil des déviations, il s'est créé une sorte d'école parallèle dont la mission est de produire des sbires à la solde des cabinets noirs, des «Baltaguias» dévoyés et des futurs cadres ayant fait la «grande école de la perversion». Admirez le bel exploit ! Dieu merci, les recrues de ce sinistre établissement sont encore en nombre très réduit. Mais il suffit, hélas, d'une escouade de trublions effrontés pour mettre le feu à la baraque. Le plus inquiétant est lorsque la violence et le blocage des institutions deviennent un trait de caractère collectif, une habitude, un moyen d'expression, même au sujet de revendications les plus saugrenues. Grand Dieu, nous sommes le seul pays au monde où les établissements scolaires et universitaires subissent chaque année les affres des fermetures et autres turbulences. De grâce, qu'on m'explique comment peut-on parler de qualité de la formation si l'on ne respecte même pas le temps pédagogique ! Le réalisme, débonnaire ou amer, nous recommande sans doute dans des situations complexes ou de crise de faire preuve de sagesse, d'appréhender les problèmes avec souplesse et d'accorder certaines concessions, mais à quel prix et jusqu'à quelle hauteur ? On dit que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. La citation ayant valeur de grande sagesse, il me semble que nous avons tendance à devenir des marginaux en train de quitter ce monde ! Face à une si rude épreuve, le mutisme délétère des intellectuels s'apparente à une résignation mortifère. L'acoquinement avec l'ordre imposé fait que l'omerta est plus fructueuse que la voix du devoir de vérité, jugée dissonante et frappée d'ostracisme. Sauf qu'une telle attitude rend ses auteurs coupables de complicité de destruction du bien le plus cher pour la nation: son système éducatif. Albert Einstein disait: «le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire». Les institutions habilitées à exercer la force de la loi pour faire face à l'odieuse prise en otage de l'université réagissent mièvrement, avec mollesse, ou s'excusent parfois, à demi-mots, de ne pouvoir le faire. Cela est regrettable et fait peur. A bien noter que lorsqu'on détient des pouvoirs qu'on ne peut plus les exercer, on est candidat à sa propre perte. Les raisons et arguments sont diversement appréciés, mais une question lancinante s'impose d'elle-même. Peut-on cacher éternellement une réalité qu'on ne saurait voir, alors qu'elle nous rattrape à chaque coin avec de plus en plus de pertinence ? Au-delà de nos sensibilités et nos opinions, elle nous interpelle tous, gouvernants et gouvernés, et nous accule à réagir avant le grand naufrage dramatique et irréversible. Pour ce faire, c'est plus du courage, de l'audace, de la persévérance, de la pugnacité, du pragmatisme, de la sincérité dans le propos et l'acte, qu'il nous faut, au lieu et place de réformes sempiternelles, sans lendemains. L'approche par de modiques compromis conjoncturels, par les alliances intéressées, par les deals éphémères, par la complaisance dite utile, par la manipulation, par les simulacres de négociations autour de revendications irrationnelles? est à mon humble avis un mode de gestion illusoire, inutilement énergétivore, dont la seule finalité est de conforter la fuite en avant. N'est-ce pas ce que nous faisons depuis des décennies ? Et pour quel résultat je vous prie ? A moins qu'on considère qu'avancer à reculons est une prouesse. Prenons garde, car à force d'apporter des réponses fausses, de faire volte-face et de préconiser des solutions dictées par le seul souci de ne pas indisposer la coterie ou d'apaiser momentanément les esprits, on en vient à ne plus comprendre nos propres questionnements et à perdre de vue nos objectifs. Est-ce que le génie humain nous fait autant défaut, au point de reproduire sans cesse nos funestes ratages ? L'erreur est humaine, persévérer dans l'erreur est diabolique. Dire que ce pays n'a plus d'enfants vaillants pour défendre ses institutions relève de la fabulation malsaine. Force est de reconnaître cependant qu'à chaque fois que d'authentiques citoyens essayent laborieusement, contre vents et marées, d'embarquer l'école dans le train du progrès aux normes universelles, il se trouve que des improbateurs cyniques œuvrent à le faire dérailler. Ces fossoyeurs tentent de mettre l'auguste institution dans un gouffre dont ils ne cessent de creuser sournoisement le fond. Ils ont assurément conjuré sa perte. Nous sommes comme qui dirait, tenus au syndrome du légendaire roi Sisyphe, condamné à faire rouler éternellement un rocher sur la pente ascendante d'une colline sans jamais y arriver du fait que ce dernier retombe toujours avant d'atteindre le sommet. Doit-on pour autant succomber au défaitisme et nous résigner à un aussi triste sort sans nous battre ? Sommes-nous totalement submergés par nos lâchetés ? Est-ce que nos institutions sont percluses de mauvais sorts ou de sortilèges ? Certainement pas. Elles souffrent en revanche de nos démissions, de la perte de nos valeurs, de notre frilosité à affronter la réalité, de nos mesquins calculs égoïstes, voire notre égocentrisme? On a beau user et abuser de toutes les acrobaties et subterfuges possibles et imaginables pour réconcilier les valeurs universitaires avec les mauvaises traditions imprimées à nos établissements, la cause est perdue d'avance. On ne peut échapper à la dichotomie irréfragable qui oppose les deux modèles. Une action peu coûteuse et qui peut être hautement bénéfique consiste à engager un large et sérieux débat à ce sujet, sans ambages ni zones obscures. Bien informée, la société civile peut constituer efficacement un rempart contre la propagation des pollueurs du savoir. L'opinion publique est à même de les démasquer et de les disqualifier en mettant à nu leurs monstrueux noirs desseins. Sur la pointe des pieds, ils s'en iront alors? en rasant les murs. Le corps enseignant, clé de voûte, une lourde responsabilité et un rôle essentiel à jouer. Il est temps qu'il convoque sa conscience, qu'il interpelle sérieusement ses profondeurs morales, qu'il titille enfin sa fibre nationaliste. Les enseignants sont investis d'une mission dont les vertus et la noblesse furent élevées par certains philosophes, tel que Abou Hamed El-Ghazali, à une dimension prophétique. Ils sont mis en demeure d'en être dignes et de prêter serment de remplir leurs tâches avec sérieux, rigueur, probité, dévouement et abnégation. Il s'agit en définitif de respecter un contrat moral implicitement engagé avec la société. Donner le meilleur de soi-même est plus valorisant que vouloir être le meilleur ; associer les deux serait idéal. Les enseignants doivent par ailleurs se sentir pleinement concernés par la bonne marche de l'institution et par son développement en s'impliquant davantage dans toute sa dynamique. Ils sont les premiers, les mieux placés et les plus indiqués pour défendre leur territoire, sans chercher de dividendes, sinon l'honneur de servir la nation. Se soustraire aux exigences d'une telle responsabilité, par pusillanimité ou par insouciance, est un manquement à ses engagements, voire une perversion éhontée du sens du devoir. Que chacun se sente comptable envers sa conscience ! Ne sommes-nous pas redevables envers ce pays qui nous a tant donné ? Crise dicte et devoir oblige, cette modeste contribution, inspirée par le seul intérêt national, est un appel à tous ceux qui portent réellement ce pays dans leur cœur: mobilisons nous, de pas résolus, pour sauver nos écoles et nos universités !! * Université Hadj Lakhdar Batna |
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