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Les TIC, l'enseignement et «des tics»

par Dalila Bérass & Rachid Brahmi

« La vie, c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre » (Albert Einstein)

Laissant probablement de mauvaises traces que l'on souhaite minimes, et suite à un accord, la grève à l'école, que l'on ne souhaite pas être un fréquent refrain, a été enfin interrompue, et l'accélération des évènements semble avoir dépoussiéré un dossier, celui relatif à l'intégration des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans l'enseignement (TICE). A cet effet, la numérisation du secteur de l'éducation nationale, dans ses volets managérial, pédagogique et didactique, comme rapporté par les médias, ne peut que recueillir, raison et rationalité obligent, l'adhésion des bonnes volontés au sein de la famille de l'éducation et ses partenaires, dans l'intérêt bien compris de l'élève, de l'enseignant et du système éducatif.

Sans aborder les appréhensions et controverses suscitées par les objectifs et actions du MEN, car détournant un fleuve de son cours normal , il est probablement utile de rappeler l'essentiel de nos contributions portant sur les TIC d'une manière générale puis leur intégration dans l'éducation, qui avaient fait l'objet d'articles de presse , encore d'actualité , bien que datant de plusieurs années ( cf références).

Les TIC étant l'un des piliers de l'économie fondée sur la connaissance (EFC), celle-ci part du constat que des activités immatérielles liées à la recherche et à l'éducation tendent à prendre une ampleur croissante dans l'économie mondiale. Le niveau de scolarisation des populations a augmenté dans le monde, avec une réorientation des structures productives vers des activités créatives et l'utilisation de nouvelles connaissances. Aujourd'hui donc, où il est question de l'économie de l'immatériel, où la nouvelle source de richesses est la connaissance, et non plus les réserves du sous-sol ou le capital financier, l'apport des TIC s'avère incontournable. Ainsi, nous assistons, grâce à l'essor des TIC, au passage d'une économie industrielle à une économie fondée sur la connaissance, dont les investissements portent sur l'éducation, la formation et la recherche, avec une utilisation marquée des réseaux numériques. Un profond changement de paradigme a dès lors affecté tous les aspects du fonctionnement de l'activité humaine.

Dans ce « village planétaire » où tout se traite en temps réel, les TIC à travers l'ordinateur, l'Internet, l'Intranet, les chaînes satellitaires, les tablettes, le smartphone, abolissent les frontières et nous donnent la possibilité de développer de nouvelles solutions pour faire face aux défis d'aujourd'hui. Un point de non retour a été atteint, avec l'émergence de la société de l'information comme moyen de cerner les enjeux stratégiques liés à la maîtrise des marchés globaux. Tous les pays développés s'accordent à dire que la croissance mondiale passe par cette révolution technologique où un meilleur usage et une utilisation plus étendue de l'information numérique, instrument du Savoir et de la Connaissance, est un facteur clé de la compétitivité, de création d'emplois et d'amélioration du niveau de vie pour l'ensemble de la société. Les TIC ont provoqué un grand changement dans les pays développés, les autres doivent suivre et s'inscrire dans cette logique au risque d'être marginalisés ou de disparaître.

Propulsée dans la société numérique, l'Algérie, à l'instar d'autres pays, sans logistique informationnelle, sans moyens conséquents et sans formation adéquate accuse alors un retard certain, même si le marché des TIC est actif et se dynamise. Il existe en effet, de plus en plus d'acteurs locaux et internationaux privés qui poussent l'Etat à afficher des ambitions de modernisation technologique. Les besoins existent et l'influence extérieure (présence d'entreprises étrangères, adhésion à l'OMC, accords d'association avec l'U.E) devrait amener toute organisation à intégrer l'outil informatique pour plus de performances. D'autre part, avec l'entrée en lice de plusieurs fournisseurs, le réseau Internet est présent dans toutes les régions du pays, même si sa généralisation est freinée par plusieurs obstacles. Pour la téléphonie, nous pouvons dire que les résultats obtenus pour le mobile (devenu un instrument de connexion à la toile), ont dépassé les prévisions.

Par ailleurs, les TIC offrent de nouveaux moyens de produire et diffuser le savoir. C'est ce qui nous amène à considérer les Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement (T.I.C.E). Nous soulignerons qu'une polémique avait surgi en Europe, dès la moitié des années 80, autour de l'intégration des moyens audiovisuels dans l'enseignement. Un peu plus tard, une première thèse défendait l'intégration des TIC dans les systèmes de formation, la seconde annonçait l'écroulement de l'enseignement traditionnel en invoquant «l'impérialisme du progrès technique». Certains partisans de la seconde thèse pensaient en outre que «la formation de l'individu ne passe pas par sa capacité à utiliser des savoirs déjà mis en boîte».

D'autres considéraient les T.I.C.E comme «concurrentes et substitutives de l'enseignant». Ainsi, l'intégration des TIC a toujours provoqué une résistance au changement pouvant aller de l'appréhension jusqu'à une «technophobie», une manie ou des tics dirions-nous, relevé par des études ergonomiques qui indiquent que «la compréhension de ces résistances est capitale dans la mise en œuvre du changement. Aujourd'hui, cette technophobie est relativement minime, dans la mesure où les jeunes sont nés pendant et après l'apparition des TIC qui constituent pour eux un outil naturel de communication. Il suffit seulement de les accompagner pour une meilleure exploitation des ressources numériques éducatives. A cet effet, en ce troisième millénaire, un diplôme est nécessaire pour prétendre à un emploi exigeant des qualifications, mais pas suffisant, car l'apprentissage se fait tout au long de la vie, y compris pour le métier d'enseignant. Quant à l'apprentissage de l'élève ou de l'étudiant, qui était centré sur « le prof qui sait tout », il est orienté maintenant vers les ressources qui ont pour objectif de faire de l'apprenant un entreprenant et non pas un assisté. Le rôle de l'enseignant a donc forcément changé, les compétences étant devenues multiples, transversales. Il a donc toujours été nécessaire d'engager un travail informationnel, afin de permettre à chacun d'opérer sa remise en question, son introspection.

La reconnaissance de l'apport des TIC dans la formation est donc quasi-unanime chez les spécialistes de l'éducation et diverses instances internationales auxquelles adhère l'Algérie. Si des pays, dont le notre, éprouvent maintes difficultés, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que, couplée à l'enseignement classique, la transmission du savoir par les TIC constitue une valeur ajoutée et obéit à des impératifs didactiques et socio-économiques. Ainsi, nous pouvons observer un gain de temps, une commodité et une souplesse dans le travail, même si cela nécessite quelques efforts préliminaires, pour des moins jeunes, car la rentabilité et la satisfaction sont perceptibles à court terme. En outre, s'agissant uniquement d'un PC, si on lui adjoint des CD Roms, l'éventail s'élargit notablement, car nous savons qu'il existe toutes sortes de CD éducatifs (dictionnaires, encyclopédies, cours, recueils d'exercices, et autres logiciels interactifs) Nous pouvons donc dire que nous tendons vers au moins deux des «cinq zéros olympiques» chers aux spécialistes de la qualité et des normes (normes ISO entre autres) qui préconisent le zéro papier, c'est-à-dire l'usage minimal de paperasse encombrante, et le zéro délai, puisque le gain de temps réalisé grâce à l' outil numérique est appréciable.

Si maintenant nous sommes connectés à Internet, cette toile dite «la bible du savoir» par les occidentaux, nous sommes alors en présence d'un intarissable puits d'informations. Cette base de données est une précieuse ressource documentaire pour bon nombre d'utilisateurs, dont les formateurs, les chercheurs et tout apprenant. La gestion de l'information s'acquiert toutefois par l'apprentissage, l'abondance des sources n'étant pas un facteur dispersif mais un atout. A ce propos, le sémiologue Romand Barthes, le philosophe Edgar Morin et le sociologue Dominique Wolton s'accordent à souligner que les individus développent leur aptitude critique lorsque les sources d'information se multiplient. La recherche documentaire contribue, d'autre part, à rendre l'apprenant autonome s'il est mis en situation de construire sa connaissance sous l'égide du formateur. Cette construction qui modifie le rôle des acteurs en présence (formateur-apprenant) se fait également entre apprenants pour une cognition sociale, la notion de concurrence cédant sa place à celle de partenariat prend tout son sens dans les systèmes de formation en particulier et dans tous les secteurs d'activité en général, dans cette époque de l'économie du savoir. Nous pouvons également noter que le e-Learning, qui revêt plusieurs formes, est «une démarche pédagogique reposant sur l'utilisation des différentes technologies de l'information et de la communication en substitution ou en complément de formations présentielles».

D'autre part, à l'aide d'un CD interactif ou connecté à l'Internet, l'apprenant (élève, étudiant, enseignant ou autre) travaille à son propre rythme. On parle également de e-Learning lorsque l'apprentissage se fait au moyen d'un réseau numérique ou encore de la visio-conférence. Nous sommes alors en présence d'une «formation virtuelle» dans laquelle les formateurs et les apprenants sont en interaction directe et visuelle. Cependant, le système d'autoformation s'avère plus pratique à appliquer, car la visio-conférence est peu utilisée, même dans les pays avancés, à cause de ses coûts et de ses impératifs techniques (matériel de visio-conférence, webcam, large bande passante...). Quant à l'utilisation des TIC en Algérie, dans la formation à distance, comme complément, soutien ou support à la formation traditionnelle, n'est-il pas intéressant d'utiliser les techniques maîtrisables, existantes et à moindres coûts, à savoir une chaîne de télévision spécialisée et les chaînes de radiodiffusion nationales et locales, qui pourraient, notamment, limiter le recours aux cours de soutien payants ? Par ailleurs, toujours couplé à l'enseignement traditionnel, l'enseignement à distance et sous tutorat pourrait combler partiellement la carence des infrastructures et le déficit d'encadrement, face à des flux importants d'apprenants.

Pourquoi encore les TICE ? Parce qu'il y a une forte pression sociale, puisque les jeunes savent que la maîtrise de l'utilisation de l'outil informatique leur permet de trouver plus facilement un emploi, dans le secteur tertiaire pris comme exemple. L'investissement rentable, les coûts comparativement faibles, le travail en temps réel, la souplesse des échanges et l'énorme bibliothèque à travers les moteurs de recherche constituent autant d'éléments qui plaident en faveur d'efforts à fournir pour intégrer ces outils dans nos systèmes de formation, ceux-ci ayant basculé à travers le monde, avec l'apport des TIC et la globalisation.

Sinon, dans le cadre de l'enseignement traditionnel en Algérie et les conditions dans lesquelles il se fait, l'enseignant se trouve en train de tout gérer, sauf l'aspect pédagogique qui est à la traîne. Concernant les TIC, il est évident qu'elles constituent un levier important pour le développement économique de l'Algérie. Les différentes stratégies adoptées tentent d'éviter la fracture numérique, pour bien se positionner alors, face aux pays émergents.

Les TIC, outil de travail et source de croissance aux enjeux déterminants et multiples, devraient permettre à tous d'avancer, de sortir du sous développement. Les difficultés étant liées à la formation à la maîtrise du Savoir, le premier investissement pour assurer un développement durable c'est bel et bien l'homme qui ne devrait pas être à la périphérie de la stratégie d'intégration des TIC.

L'Algérie, qui doit emprunter résolument les autoroutes de l'information, saura-t-elle bien embrayer sur ce troisième millénaire qui a déjà englouti quinze années ? Car si nous calons, ce sont bien nos enfants qui seront expulsés du Futur.

Références :

1. Edgar Morin, La Connaissance de la Connaissance, édition du Seuil 1986

2. Dalila Bérass, «Les TIC Au Maghreb: états des lieux et perspectives», actes de conférence MAGHTECH: Gouvernance Locale et Economie de la Connaissance au Maghreb, Algérie: Editions Dar Al-Adib, Décembre 2004, P 233-234

3. Dalila Bérass, Entretien El Watan du 08 mars 2007 (rubrique Sign de Com)

4. Dalila Bérass et Rachid Brahmi, in Le Quotidien d'Oran du 13 et 14 mars 2007, « Pour une université sans craie et sans tableau »

5. Rachid Brahmi et Dalila Bérass, in Le Quotidien d'Oran du 08 et 09 avril 2007, « Le Savoir en flashes »