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LES «ENTRE-DEUX»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

SUR DEUX RIVES.Roman de Abdelaziz Agar. El Ibriz Edition. Alger 2013, 301 pages, 800 dinars

C'est l'histoire d'une famille d'Algérie ; citadine et aisée, il faut le préciser. D'une petite ville de la Mitidja. Au départ, dans les années 20, c'est une cohabitation pacifique, mais pas fraternelle, avec les Européens. Et, pourtant, une alliance (grâce à l'amour réciproque de deux jeunes gens, la jeune fille européenne et le garçon musulman, ayant grandi ensemble) entre deux familles. De petits ? de tout petits industriels.

La suite, on le devine : deux cultures, deux pays, deux terres (L'Algérie et la France)? un certain rejet par les autres, d'autres mariages, des décès, l'Indépendance, la lutte pour une vie meilleure et décente, le tout sans trop se poser de questions sur son identité. L'Algérie, terre maternelle, la religion pratiquée simplement et librement ! Largement suffisant pour construire, instruire et produire de l'humain. Puis, tout bascule dans l'horreur et l'inhumain au début des années 90. L'islamisme. Le terrorisme. Les meurtres gratuits dont celui du père, un brave homme dont le seul tort était de ne pas se rendre régulièrement à la mosquée du quartier. Des pratiques religieuses et sociales imposées? et, l'exil presque s'imposant de lui-même. Avoir une arrière-grand-mère d'origine française, limousine qui plus est, ça sert ! Passeports français, visas pour tous, vite fait? l'installation en France? la galère? les retrouvailles très difficiles avec l'emploi stable et bien rémunéré? mais, aussi, d'un côté, l'incompréhension des Français dits de souche, de l'autre, une religiosité rampante teintée d'islamisme intolérant et l'envoi de recrues en Afghanistan? la famille se reconstitue autour de la matriarche? Des hauts, des bas. Une déconstruction- reconstruction difficile mais finalement réussie? seulement grâce à la volonté de réussir, la tolérance et la liberté. Les choses changeront-elles avec la mort de la matriarche, petite fille de pieds-noirs limousins, devenue musulmane et algérienne bon teint ? Enterrée en France bien qu'elle ait souhaité l'être auprès de son époux, en Algérie. Le choix est fait. Une intégration en voie de réussite ?

L'Auteur : Natif de la ville de Mascara, diplômé de l'Ecole nationale d'Administration, spécialiste en sciences criminelles, ancien magistrat, membre du barreau.

Avis: Les sagas familiales sont toujours lourdes à lire, tout particulièrement lorsque tout est en un seul ouvrage. Avec des histoires qui se chevauchent de manière inattendue, parfois dans le même chapitre .Tout va trop vite. Et, l'histoire du pays en «diagonale», à travers des dates et périodes-phares et des évènements bien souvent dramatiques, alourdit le récit. On y retrouve même un procès de la presse nationale .Bof ! on s'y est habitué.

Extraits : «Qu'importe la rive, c'est la même terre» (p 300), «Avoir le choix n'est pas un cadeau, bien au contraire, c'est toujours une remise en question» (p 300) UN HOMME, ÇA NE PLEURE PAS. Roman de Faiza Guène. Hibr Editions, Alger 2014, 315 pages, 800 dinars

C'est l'histoire compliquée (comme toujours) d'une modeste famille d'origine algérienne installée en France (à Nice), assez bien intégrée? mais la terre du pays colle toujours aux semelles des uns et aux cerveaux d'autres.

Le père ayant trimé toute sa vie pour que ses enfants puissent «réussir» (il n'était que cordonnier et ne savait ni lire ni écrire), une «mamma» qui ne veut pas lâcher ses enfants, tout particulièrement ses filles (qu'elle veut marier comme au «bled»), une fille qui rentre dans les rangs et une autre qui brise tous les tabous et part voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs : les traditions, les habitudes, la famille? elle n'en a rien à foutre. Elle veut vivre sa vie dans la société qui l'a vue naître, grandir, étudier et s'épanouir? A-t-elle tort ? a-t-elle raison ? Aucune réponse de fournie par l'auteure. Si, à la fin de l'ouvrage, le héros (le jeune frère instituteur assez coincé et encore pensant aux jupes de sa maman, fils tranquille, gentil, respectueux? qui veut mais n'ose? ayant seulement peur de devenir un «vieil obèse poivre et seul») a un «accrochage» verbal avec l'amant de sa sœur, un ministre de l'Intérieur de droite qui s'en prenait à tous ceux qui refusent ou n'arrivent pas à se faire à l'intégration totale et à se fondre dans la République laïque et républicaine.

Il y a, aussi, ?le cousin débrouillard, une sorte de «harrag» gigolo?

Bref, l'image d'une communauté qui vit (encore) presque «à part», et qui ne veut ni n'ose (ni n'arrive d'ailleurs, sinon très difficilement sauf au prix de larges concessions) à s'intégrer pleinement à la société d'accueil. D'où, toutes les incompréhensions et tous les conflits internes et externes. Dramatique choc de cultures ? Simple choc de manières de vivre ?

Des vies de tous les jours décrites mais, en filigrane, une problématique qui n'en finit pas de se poser et de s'imposer à nos «émigrés»: Ne restent-ils pas (trop) attachés à leur pays d'origine (qu'ils ne connaissent bien souvent qu'à travers Canal Algérie, les exploits des sportifs ou durant de très courtes «vacances» ou un emblème national traînant au fond d'un tiroir). Boulet pour les uns, alibi pour les autres ?

L'Auteur : Elle est née en 85 à Bobigny de parents originaires de l'Ouest algérien. Elle a grandi dans un «quartier sensible (Pantin). Elle est venue à la littérature romanesque en 2004 avec un roman surprise et surprenant, son premier, Kiffe Kiffe demain qui avait fait beaucoup de bruit (400 000 ex vendus uniquement en France et traduit dans 26 langues). Puis deux autres?

Avis: Ecriture fluide. Langue «revigorée», n'hésitant pas à utiliser de l'argot. Histoire toute simple.

Extraits : «Personne ne repart jamais de zéro. Pas même les Arabes, qui l'ont pourtant inventé» (p 124), «Pas la peine de goûter au piment pour savoir qu'il pique. Contente-toi de le renifler et tu as déjà les yeux qui pleurent» (p 205), «La vérité, tu peux la cacher, la cacher longtemps, mais le jour où elle sort, elle est grande et elle est nue» (p 236)

C?UR DE METAL. La fin de toute peur. Récit de Micha. Editions Dalimen, Alger 2013, 336 pages, 700 dinars

C'est l'histoire vraie, si l'on en croit l'éditeur, d'une jeune fille, issue de la classe moyenne (ou, du moins, ce qui en restait durant les années 90). Elle raconte sa vie : d'enfant, de jeune, d'étudiante, de chômeuse, de cadre ( ???). Heureusement, au sein d'une famille soudée, aimante, solidaire?

L'exil à partir des années 2000.

Un récit qui raconte sa vie à l'intérieur de sa famille, de sa société, des entreprises au sein desquelles elle a activé? Terrible ! Terrible ! Pour un(e) jeune : le terrorisme, la pression islamiste, les tabous, les regards des autres, les jalousies, les coups fourrés, les impasses, ?

Heureusement, il y a la musique, même durant les moments les plus dramatiques. Un refuge?entre copains, malgré tout. Et, quelle musique? Pas le rap. Pas le rai. Pas le gnawi? La dure. Celle qui fait le plus de bruit. Celle qui contre-ravage. Celle qui aide à continuer à vivre et, surtout, à lutter, à lutter et encore à lutter Celle qui vide des haines quotidiennes accumulées çà et là dans une atmosphère obscure. La «Metal Music»! De l' «extreme music for extreme people». Une musique puissamment ardente et vivante car «continuellement inscrite dans une démarche d'insoumission et de quête de la vérité? La mort y est abordée dans tabou».

Avec ses orchestres, ses fans, ses tenues, ses attitudes, ses concerts, tout cela presque «underground» ; tout cela au nez et? à la barbe d'une société qui, alors, s'entre-déchirait. Les jeunes vivaient alors leur vie dans un monde parallèle, conscients des dangers mais n'acceptant pas les sorts funestes qui leur étaient tracés (ou réservés) d'avance par leurs aînés. Des petits monstres ? Peut-être. Mais que pouvaient-ils faire, ces «fous d'intelligence et du mépris que leur portait leur mère patrie». En tout cas, ils savaient ce qu'ils étaient et ils «emmerdent la vie». Suite à la très forte prise de conscience qu'ils étaient «non intégrés et non intégrables au système, en somme une sorte de bug, d'erreur de la matrice». D'où une volonté «métallique» pour s'en sortir et pour s'imposer. Un phénomène qui existe encore, peut-être encore plus fort? et toujours «invisible». Le vrai moteur du changement ?

L'Auteur : Un pseudonyme, assurément, plus par modestie et discrétion que par peur, certainement. Elle est née en Algérie (à Alger, ou à Oran ou? qu'importe) en 74. En Novembre, ce qui en fait, pour les «nationalistes», une battante. Années 80 et 90 en Algérie : Etudes (à Babez' au début de la décennie «noire»), chômage puis expériences professionnelles «marquantes» pour ne pas dire décevantes et traumatisantes. Puis, l'exil? en France, à partir des années 2000. Une intégration pas facile? car «même en Europe, l'obscurantisme a survécu et il vit sous des formes insoupçonnables» ! Mais, depuis, elle va bien, merci. Et, elle revient souvent auprès de sa famille, au pays qui l'a fait tant souffrir. Sacrée Algérie !

Avis: Un livre dur, terrible, comme sa musique. Mais à lire : pour savoir qu'il y (a) avait d'autres Algérie (s). Et des tas de «jeunesses» qui, bien que «ravagées» par le «système», résistent, luttent et réussissent. Hier, aujourd'hui, demain. Ici? et, hélas, dans l'exil

Extraits : « Ce type de réaction de «barrage» aux initiatives, aux projets et à l'innovation était courant, si ce n'est systématique dans le monde du travail en Algérie. Une forme d'auto-destruction collective mi-consciente, mi-inconsciente» (p 76), «Dans le mot Algérie, il y a rien» (p 116), «Mes potes étaient comme moi, malades de vivre en contradiction avec leurs natures vives et intelligentes, malades d'être ignorés et refoulés comme une vulgaire tare? dans un pays fait de contradictions, d'incohérences et de non-sens, nous poussant à la folie» (p 140), «Soyez-vous-même et regardez les choses comme elles sont. Soyez objectif dans votre analyse, et prenez position dès lors que vous avez compris. Soyez honnête avec vous-même, vous le devez à vous-même, c'est le premier pas vers cette liberté intérieure que l'on ne peut trouver que seul» (p 312)