Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Grisaille sur l'Arabie heureuse : entre le grand Satan et l'Axe du mal

par Abdellatif Bousenane

Les attaques contre les houthis au Yémen lancées effectivement par quelques armées arabes dirigées par l'Arabie saoudite dépassent largement l'équation binaire, chiites versus sunnites. Par conséquent, tout le monde s'interroge aujourd'hui sur les dessous de cette guerre par procuration.

A la première vue, cette énième guerre dans la région semble pour un bon nombre d'observateurs comme étant une guerre par procuration, un classique pour les peuples arabo-musulmans, qui oppose deux protagonistes défenseurs des intérêts stratégiques ou au mieux les idéologies des deux parties qui sont l'Iran perse chiite contre l'Arabie sunnite. En contemplant néanmoins les événements géopolitiques qui se sont succédés ces dernières années dans cette partie du monde l'équation devient beaucoup plus complexe. Fins connaisseurs des jeux d'échecs et de la philosophie politique, certes, les Persans essaient depuis des décennies d'étendre leur influence en appuyant les groupes du même bord doctrinaire et idéologique, minoritaires dans la plupart des cas et majoritaires en Irak et au Bahreïn, en leurs fournissant les aides logistiques, d'expertises et même d'armements. Ce qui n'est pas forcément du goût des dignitaires arabes sunnites qui essaient de contrer ce « péril » chiite par tous les moyens.

Equation à plusieurs variables

Ceci étant dit et malgré la plausibilité de cette thèse très populaire et/ou populiste dans les pays arabes, toutefois il faut noter tout de même que la République islamique d'Iran est en fait sous embargo américain depuis maintenant plus de 40 ans, tout le monde connait très bien le grand conflit qui oppose d'un côté, le « grand Satan » selon les Ayatollah et de l'autre côté le leader de « l'axe du mal », le mal absolu pour les Etats-Unis d'Amérique et ses alliés atlantistes. Les pays arabes du Golfe, à leur tête l'Arabie saoudite, ainsi qu'une bonne partie des pays arabes de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient tels que l'Egypte, le Maroc, la Jordanie?etc. sont des alliés naturels sous influence occidentale et qui représentent un pan extrêmement important dans les stratégies américaines dans le monde.

Dans ces pays, les bases militaires de l'OTAN « poussent » comme des champignons et les ambassades ou, au moins, des représentants commerciaux de l'Etat sioniste sont synonymes de cette fidélité implacable à l'Oncle Sam.

Ainsi donc, nous sommes là devant une configuration à plusieurs variables qui dépassent largement la simple équation binaire, sunnites versus chiites. Les fragmentations de ce conflit qui se concrétise au sud de la péninsule arabique et qui rend tristes les habitants de l'Arabie heureuse (l'ancien Yémen), risquent d'aller beaucoup plus loin qu'on imagine. Car une puissance nucléaire comme la Russie ne voit pas d'un bon œil cet acharnement contre un pays (l'Iran) avec lequel elle entretient des relations plus au moins ambiguës cependant que ses intérêts restent indiscutablement plus compatibles qu'avec les autres monarchies arabes.

Au-delà du conflit interne au Yémen qui remonte à des décennies et qui est lié surtout à des considérations tribales et culturelles qui peuvent paraitre incompréhensibles pour beaucoup de gens, cette situation qu'on a essayé de convertir en « printemps arabe » en destituant le président déchu Ali Abdallah Saleh qui est d'origine sunnite ! et dont on a constaté un échec lourd. Il faut souligner quand même que l'ancien président Salah et ses alliés sunnites soutiennent les houthis chiites, pour dire à quel point la scène politique yéménite est complexe.

Bref, on est donc entre une alliance sunnites-chiites au Yémen soutenue par l'Iran chiite, « maudit » à son tour par le « grand Satan » occidental qui explique, grosso modo, qu'il ne faut pas laisser les arabo-musulmans accéder à la technologie nucléaire en avançant un argument de taille qui se résume ainsi : ces pays sous-développés ne sont pas aptes, c'est-à-dire ils ne sont pas encore arrivés à un stade de maturité tel où ils peuvent acquérir une technologie de cet ampleur car très dangereuse.

En même temps ce même Occident, dans une gigantesque contradiction, veut imposer la démocratie à tous ces pays qui ne lui inspirent pas beaucoup de confiance quant à leur capacité à gérer une technologie à haut risque ! Peut-on dès lors avoir l'aptitude à gérer des pays de plusieurs millions en démocratie avec toutes les qualités humaines et la maturité intellectuelle nécessaire à son fonctionnement quand on n'est pas apte, a contrario, à gérer d'une manière mûre et responsable trois ou quatre usines nucléaires dans ces mêmes « démocraties » ?

La solution est à Alger !

Fidèle à sa posture coriace de non-ingérence, l'Algérie a refusé fermement la participation de près ou de loin à cette guerre. Elle justifie sa position, en effet, par sa doctrine qui stipule l'interdiction à ses armées de franchir ses frontières puis par les expériences précédentes de ce genre d'interventions qui sont toutes vouées à l'échec. Par une activité diplomatique impressionnante et sans précédent de ce dernier mois, là où on a vu avec ébahissement le « défilé » des chefs d'Etats et de gouvernements ainsi que les délégations d'une trentaines de pays, nous avons noté l'arrivée de deux chefs d'Etats en une seule journée, ce qui reste inédit en termes de coutumes diplomatiques dans une situation normale, c'est-à-dire sans l'organisation de conférences ou autres événements qui nécessitent la présence de plusieurs délégation en même temps, l'Algérie inspire effectivement le respect sur la scène internationale. Peut-être cette densité hors norme est due à l'agenda du président de la République qui s'est absenté plusieurs mois l'année passée pour des raisons de santé. Cela peut s'expliquer également par l'expérience de l'actuel chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, qui est un ancien commissaire de l'Union africaine. Mais ceci ne contredit pas la confirmation du leadership de l'Algérie dans la région et son retour fracassant sur la scène internationale grâce justement à ses positions originales qui se distinguent par une hauteur de vue et une rare flexibilité dans le service de la paix dans le monde. Hélas, cette disposition n'arrange pas la politique de domination qui persiste, malgré ses échecs consécutifs, dans une démarche complètement suicidaire. Pourquoi donc provoquer un nouveau bourbier sinon pour créer un « chaos créateur ». On a la certitude maintenant que l'intervention militaire dans un pays ne fait qu'aggraver le problème et ne constitue guère la meilleure manière de le régler. Le dialogue, seulement le dialogue autour d'une table, peut éventuellement apaiser les tensions, car tôt ou tard on finira certainement par s'assoir à cette même table. Pourquoi donc perdre du temps, des milliards et des âmes ? En géopolitique, cette question parait très naïve puisque les stratèges des uns et des autres cherchent à marquer des points, à impressionner leurs ennemis, à gagner du terrain ; ils cherchent en fait à dominer. Mais le dilemme, c'est qu'ils vont, sûrement, revenir au final à la « sagesse algérienne » parce qu'on a vu pratiquement les mêmes antagonismes en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, au Mali, qui ne sont pas tous des conflits à caractère confessionnel. Saddam Hussein était-il chiite ? Au contraire, il faisait la guerre à l'Iran ! Par conséquent, les mêmes causes produiront les mêmes effets. C'est une loi universelle.