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Ces bruits qui nous agressent et nous perturbent?

par Abdelhamid Benzerari *

« Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. » Saint François de Sales.

Le parc d'engins roulants sur nos routes, qui a connu ces dernières années un développement impressionnant, ne cesse de grossir avec son tohu-bohu insoutenable. Les nuisances qui troublent nos villes, la plus dénoncée comme la principale c'est le bruit.

Le bruit des véhicules, des poids lourds, des bus, des chantiers de construction, des entreprises industrielles? met nos nerfs à rude épreuve.

Les habitations bordant certains axes routiers de grande circulation en subissent journellement jusqu'à une heure tardive de la nuit. Des bébés qu'un coup de klaxon fait sursauter en plein sommeil, des malades qui n'arrivent pas à fermer l'œil, des personnes âgées qui ont le sommeil léger, restent éveillées parfois toutes les nuits.

Aux abords des grands aéroports, le son des avions est aussi insupportable pour tous les riverains. Quand ils volent à basse altitude, c'est le tremblement des habitations assuré.

La ville de Constantine se prépare pour l'événement du 16 avril prochain : capitale de la culture arabe. Aujourd'hui, elle est encore un vaste chantier de relooking. De longues files de camions, de bus, d'engins de gros tonnage, de voitures encombrent ses avenues et chaussées étroites formant des bouchons interminables au centre-ville, sur les axes de la voie rapide, circulation paralysée partout surtout aux heures de pointe :

Place de la Brèche, Bab el Kantara, cité des Castors (agglomération qui souffre le plus des nuisances sonores et de l'engorgement de la circulation), Stah el Mansourah, Sidi Mabrouk, cité Daksi? Les émissions bruyantes occasionnées sont insoutenables. Les habitants de ces quartiers en supportent les conséquences : stress, fatigue, état dépressif, et parfois agressivité.

Est-il possible de combattre ces nuisances ? Et pourtant la loi algérienne a émis des décrets réglementant l'émission des bruits : Décret exécutif n°90-78 du 27 février 1990 relatif aux études d'impact sur l'environnement suivi du décret exécutif n°93-184 du 27 juillet 1993 qui fait référence à la loi n°85/03 relative à la protection de l'environnement dans le cadre du développement durable.

Art. 3 : Les niveaux sonores maximums admis dans les zones d'habitations et dans les voies et lieux publics ou privés sont de 70 décibels (70 DB) en période diurne (6h à 22h) et de 45 décibels (45 DB) en période nocturne (22h à 6h).

Art.4 : Sont considérés comme atteinte à la quiétude du voisinage, une gêne excessive, une nuisance à la santé et une compromission de la tranquillité de la population toutes les émissions sonores supérieures aux valeurs limites indiqués ci-dessus.

Art.6 : Toute personne physique ou morale exploitant des activités exigeant l'emploi de moteurs, d'outils, de machines d'équipement ou d'appareils générateurs de niveaux supérieurs aux valeurs limites telles que définies par le présent décret est tenue de mettre en place des dispositifs d'insonorisation.

Art.9 : Les engins de chantier dotés de moteurs à explosion, les brises béton, les marteaux piqueurs, les groupes électrogènes de puissance, les groupes moto-compresseurs, les compresseurs et les suppresseurs doivent être munis d'un dispositif d'insonorisation lorsqu'ils sont utilisés à moins de 50 m des locaux à usage d'habitation ou des lieux de travail.

A-t-on mis en vigueur les mécanismes nécessaires et suffisants à l'effet de mesurer les niveaux des émissions sonores entre les segments de temps définis par ce décret ? Non ! A-t-on formé le personnel adéquat pour satisfaire ces mesures ? Non. Qui mesure ces intensités et dispose-t-il de moyens ou appareils de mesure ? Personne.

Certains pays, en particulier les européens, appliquent aujourd'hui des mesures. Toute action visant à renforcer les normes d'émission sonore des véhicules à moteur neufs en Europe dépend à présent des directives de la CEE, qui ont force de loi pour les principaux pays d'Europe occidentale constructeurs d'automobiles. En ce qui concerne les véhicules neufs, le Transport and Road Research Laboratory du Royaume-Uni a recommandé les limites suivantes, comme objectifs, à réaliser : 75 dBA pour les voitures particulières et 80 dBA pour les voitures commerciales (1).

A Lausanne, en Suisse, une brigade est spécialement chargée de veiller au respect de la réglementation sur le bruit des véhicules. A cours de la dernière décennie, elle a convoqué pour vérification 20 000 véhicules trop bruyants. Les contrevenants étaient en majorité des véhicules à deux roues ; il n'y avait parmi eux qu'un très petit nombre de camions. Au cours de la même période, 1 900 véhicules ont été saisis pour infraction à la réglementation concernant le bruit.

Les initiatives tendant à limiter le bruit émis par les avions, de même que celles visant les émissions sonores des véhicules neufs, sont maintenant prises au niveau international, mais il existe également sur le plan national des réglementations concernant l'utilisation des avions. De nombreux pays européens ont établi des procédures et une réglementation pour lutter contre le bruit lors de l'atterrissage et du décollage des avions et interdisent des vols de nuit à partir des aéroports internationaux

BRUIT DES CHANTIERS DE CONSTRUCTION

Quant au problème soulevé par le bruit des chantiers de construction, on s'y attaque en Europe. En France, aux termes de la réglementation de 1969 et de 1972, certains types d'engins neufs utilisés sur les chantiers doivent être homologués et certains dispositifs essentiels d'insonorisation doivent être montés sur les engins qui n'en sont pas équipés. L'objectif des autorités françaises est de parvenir à limiter à 80 dBA le niveau sonore (mesuré à 7 mètres) des matériels destinés à être utilisés en zone urbaine.

En Suisse, l'initiative de la réglementation applicable aux engins de chantier et de la protection de l'environnement dans lequel il est précisé les normes acoustiques applicables à ces engins est mise en application depuis1971.

En Allemagne, une loi de 1965 autorise le gouvernement à imposer des limites au bruit des engins de cette catégorie. Les règlementations adoptées en la matière stipulent que ces engins devront être équipés d'un dispositif d'insonorisation abaissant en général de 5 dBA la limite de bruit correspondante. Les matériels qui répondent déjà à cette condition sont officiellement déclarés " conformes aux spécifications les plus récentes en matière de bruit ", afin de rendre les matériels plus intéressants pour les acheteurs et par voie de conséquence pour les producteurs.

La loi allemande sur le bruit des chantiers de construction fixe des limites globales de bruit qui peuvent varier selon la sensibilité du voisinage au bruit. La Suisse fixe des limites de bruit pour les chantiers de construction. Au Royaume-Uni, le parlement a divulgué une loi sur la protection de l'environnement, habilitant les autorités locales à fixer, en consultation avec les entrepreneurs et avant le démarrage des travaux, des limites au bruit des chantiers de construction. Cette prérogative viendra s'ajouter au droit dont dispose chaque citoyen d'intenter une action en justice contre tout fauteur de bruit appartenant au secteur privé.

BRUIT INDUSTRIEL

Le bruit des entreprises industrielles a certaines caractéristiques communes avec le bruit des chantiers, mais sa durée n'est pas limitée de la même façon. Des mesures sont actuellement prises en Allemagne pour lutter contre le bruit des entreprises ; dans ce pays, la réglementation édictée en application de la loi de 1968 sur la limitation du bruit émis par les installations varie selon le type de localité. En Suisse, la loi fédérale de 1964 sur l'emploi soumet à une approbation préalable les projets d'installations industrielles, ce qui permet de s'assurer du respect des " limites de référence " élaborées en matière de bruit par une Commission fédérale d'experts.

La loi britannique sur la protection de l'environnement prévoit que les autorités locales seront habilitées à créer des " zones de bruit " dans lesquelles les nuisances acoustiques dues aux entreprises industrielles pourront faire l'objet d'une action spéciale. Les niveaux sonores aux limites d'une entreprise donnée seront mesurés et officiellement enregistrés. Tout dépassement de ces niveaux sans autorisation constituera une infraction. Cette autorisation pourra toutefois être accordée si une entreprise vient à s'agrandir, par exemple, ou si elle passe d'une exploitation à temps partiel à une activité à plein temps. La prochaine phase des opérations de lutte contre le bruit consistera à abaisser, à l'intérieur de la " zone de bruit ", le niveau sonore toléré aux limites de l'usine.

L'approche adoptée au Royaume-Uni diffère de celle qu'appliquent d'autres pays d'Europe (de même que les Etats-Unis et le Japon) en ce sens qu'aucune limite générale rigoureuse n'est fixée. Ceci est conforme aux principes qui inspirent la lutte contre le bruit au Royaume-Uni, selon lesquels toute norme générale de ce type tend nécessairement à être, soit trop rigoureuse pour pouvoir être appliquée raisonnablement dans tous les cas, soit trop libérale pour être réellement efficace en tous lieux sauf dans quelques localités. On estime que le système envisagé par le projet de loi sur la protection de l'environnement donnera aux autorités locales les pouvoirs nécessaires pour réaliser les améliorations les plus opportunes dans leur domaine. En matière de lutte contre le bruit, la limite que l'on peut considérer comme raisonnable dépend souvent de l'attitude de la population qui peut varier d'un lieu à l'autre.

PLANS D'UTILISATION DES SOLS

Outre la lutte contre le bruit à la source par une nouvelle conception des véhicules et de l'équipement, plusieurs pays membres ont déjà adopté, en matière d'utilisation des sols, des mesures visant à éviter l'apparition de nouveaux problèmes dus au bruit. Aux Pays-Bas par exemple, la mise en valeur des terrains situés le long des routes a été divisée en trois zones : rouge, orange et verte, selon leur degré d'exposition au bruit. L'utilisation de ces zones varie selon leur classification.

Une zone " rouge " par exemple ne convient pas à la construction d'habitations mais celle d'usines ou d'entrepôts peut y être permise et encouragée. En zone " orange ", on peut autoriser la construction de bâtiments sous réserve que ceux-ci soient insonorisés pour protéger leurs habitants contre le bruit de la circulation.

Une zone " verte " convient à tout usage qui n'est pas interdit pour d'autres raisons.

En Allemagne, en France, en Suisse et au Royaume-Uni, des plans d'utilisation des sols sont déjà établis ou envisagés dans les zones situées aux alentours des aéroports, de façon à empêcher que de nouvelles nuisances acoustiques apparaissent dans les régions qui sont les plus exposées.

La loi britannique de 1973 sur la compensation contient des dispositions relatives aux problèmes posés par la construction d'ouvrages importants, tels que des routes dans les agglomérations. Aux termes de cette loi, les portes et fenêtres des façades des maisons situées à proximité immédiate des routes peuvent être insonorisées aux frais des autorités : cette disposition s'applique si le niveau sonore prescrit L10 supérieur à 68 dBA (2) est ou doit être dépassé dans les quinze ans. Enfin une indemnité peut être versée aux propriétaires si, du fait de l'utilisation de la route nouvelle ou reconstruite et en dépit des travaux d'insonorisation effectués, leur bien se déprécie.

La procédure actuelle de la loi de 1960 sur la lutte contre le bruit permet à des citoyens de poursuivre les fauteurs de bruit devant les tribunaux.

REDEVANCES SUR LE BRUIT DES AVIONS

Le recours à des redevances sur le bruit pourrait efficacement contribuer à résoudre le problème d'environnement lié au bruit des avions.

Les redevances sur le bruit pourraient à la fois :

-Fournir les bases du financement des mesures antibruit prises au voisinage des aéroports ;

-Constituer pour les compagnies aériennes, ainsi que pour les constructeurs de moteurs et d'avions une incitation supplémentaire à mettre au point des appareils plus silencieux que ne l'exige la norme minimale fixée actuellement par la réglementation relative au bruit.

Le même principe pourrait d'ailleurs s'appliquer aux véhicules à moteur et aux sources fixes de bruit.

STRATEGIES DE LUTTE CONTRE LE BRUIT

Les défenseurs de l'environnement urbain ont examiné l'opportunité de faire participer le public à la lutte contre le bruit, par la voie de programmes d'informations appropriées, ne serait-ce que pour rendre le public plus conscient de la nécessité d'éviter la production de bruits inutiles. C'est une mesure éducative, dans le cadre d'un programme plus général d'éducation qui tiendrait à faire prendre conscience à l'opinion publique de l'importance que revêt la lutte contre les émissions sonores.

Il convient également de souligner qu'un code pratique d'indemnisation des personnes affectées (l'exemple du Royaume-Uni) bénéficierait d'un soutien de l'opinion publique et garantirait aux personnes gênées par des travaux publics ou privés une protection.

*Ancien SG de l'Association Nationale de la protection de l'environnement.

(1) Le sigle dBA correspond au décibel pondéré A, qui tient compte des réactions subjectives au bruit.

(2) L10=niveau sonore dépassé pendant 10% du temps, c'est-à-dire niveau des pointes sonores fréquentes.

Source : L'observateur de l'OCDE.