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Plan de développement de Sonatrach : de quelles entreprises Algériennes parle-t-on ?

par Reghis Rabah *

Position du problème

Ce n'est qu'en 2015, après une baisse des recettes pétrolières persistante et, selon toute vraisssemblance, chronique, que les dirigeants se rendent comptent qu'il faudrait associer les autres entreprises, aussi bien nationales que privées, pour participer au développement du plan national d'investissement de ce mastodonte, 2015-2019. Qu'on découvre subitement que le système bancaire national est obsolète, 99 000 commerçants fraudent le fisc, un taux de chômage de diplômés qui commence à inquiéter sérieusement, le marché informel, lui menace l'économie nationale, les importations sont exagérées et qu'il va falloir les revoir, la nécessité de contrôler le marché du transfert de devises, le devoir de faire partir les retraités pour laisser la place aux jeunes, nos frontières sont devenues une vraie passoire pour le trafic de carburants, la corruption métastase la société etc. On apprend aussi, et à notre grande surprise, que l'Algérie d'abord dispose d'une stratégie puis maîtrise parfaitement sa dimension temporelle (01). Ainsi, aujourd'hui, si on insiste, selon le discours officiel, de maintenir le programme d'évaluation du potentiel du gaz de schiste, c'est uniquement pour penser aux générations futures, comme si cette ressource va s'envoler. Bien que tout le monde reconnaisse l'inefficacité des banques étrangères au service de l'investissement national, on ne rate pas l'occasion pour annoncer le retour du crédit à la consommation qui fera leur bonheur. Pour le gouvernement actuel, les hydrocarbures devront constituer le levier essentiel pour assurer tout cela, et le développement économique en perspective doit se faire avec le pétrole, énergie qu'il conviendrait de mobiliser au maximum de sa capacité pour booster encore plus l'économie nationale. (02) Pour le Premier ministre actuel, parler de l'après pétrole est un discours démagogique qu'on rabâche depuis 1962. Pourtant, le discours d'aujourd'hui semble balayer du revers de la main la trajectoire du modèle de développement national pour prendre une autre orientation qui semble tout effacer pour repartir de zéro, sans pour autant tirer la moindre leçon des erreurs du passé.

Quelles sont justement, chronologiquement, ces erreurs ? Qui en est responsable ? Les orientations actuelles peuvent-elles contribuer à faire décoller l'économie nationale ? Sommes-nous en face d'un discours démagogique qui ne fera qu'allonger l'économie de rente pour plusieurs générations ?

Les erreurs s'accumulent mais apparaissent seulement lorsqu'il y a un problème

Contrairement à ce qu'on oublie de dire dans le discours actuel : que les premières années de l'indépendance nationale, l'Algérie ne comptait que très peu sur la fiscalité pétrolière. Les hydrocarbures ont commencé à prendre du poids après la nationalisation pour s'imposer d'une manière définitive avec la réorientation de l'économie nationale du début des années 80. Qu'en est-il exactement ? Il faut rappeler que les années 70 ont connu une période où les hydrocarbures servaient d'assise pour le développement de tous les pôles de l'économie nationale, dans l'avènement de ce qu'on appelait industrie industrialisante. Elle visait une approche auto-centrée pour qu'à long terme l'économie nationale ne dépende pas uniquement du pétrole ; et ce sera justement le secteur industriel qui prendra le relais. Début des années 80, des technocrates fortement influencés par le modèle américain ont procédé à une destruction sous forme d'une restructuration organique et financière de tout le secteur économique, à commencer par celui des hydrocarbures sensé servir d'appui aux autres secteurs. Cette approche part du principe que plus l'entreprise est petite plus elle est maîtrisable. Mais en éclatant les grandes sociétés nationales, cela a favorisé une cassure du processus intégré et un effritement du savoir et du savoir-faire capitalisés pendant plusieurs années. Cela a vu des efforts et des sacrifices de toute une génération partir en fumée. La première conséquence : la chute brutale des prix du pétrole, conjuguée à celle du dollar de l'année 85 ont trouvé une économie fragilisée, fortement dépendante de la rente pétrolière et un secteur industriel en décadence. Depuis cet échec, maintenant admis par tous, les gouvernements successifs ne cessent d'être contraints par la rue de cumuler erreur après erreur pour entretenir un climat social qui arrange les affaires d'un système né de cette réorientation de l'économie nationale. Le comble, c'est à chaque fois qu'on échoue, on tente de mettre cette échec sur le dos de cette période dite dirigiste alors que c'était la seule qui avait pour objectif de sortir le pays de la dépendance des hydrocarbures. Ne sont-ils pas aujourd'hui en train de répéter les mêmes erreurs sans pour autant tirer la moindre leçon du passé. Ce n'est pas la première fois, depuis plus de trois décennies, qu'on parle de la sous-traitance, en vain. Aujourd'hui, lorsque l'argent s'est mélangé avec la politique, que le secteur public est à terre, le ministre de l'Energie appelle les entreprises privées à contribuer au plan de développement d'investissement ; pourquoi ? Pour partager la croissance de Sonatrach au détriment des entreprises publiques, car de nombreux leader privés se rapprochent de la sphère du pouvoir. Sonatrach a échoué dans toutes les actions stratégiques que l'Etat lui a confiées. D'abord comme réservoir de capitalisation, ensuite pour encourager la fabrication nationale lorsque le secteur public était debout. Qu'est devenue la base logistique Béni Merad de Blida, heureusement sauvée in extremis par l'armée, l'Institut Algérien du Pétrole qui est passé d'un pôle d'excellence à un simple centre de formation, où sont les milliers de cadres formés à coup de devises et qui sont aujourd'hui au service des entreprises étrangères ? La facture supportée par le trésor public pour l'importation des besoins annuels de Sonatrach avoisine les 20 milliards de dollars par an, dont l'amont pétrolier prend prés de 70%.

L'Etat continu d'être le seul pourvoyeur d'emploi

Le sureffectif en Algérie est la conséquence directe de la politique de plein emploi menée dès la promulgation du premier plan triennal, et qui prévoyait l'emploi de toute la population masculine algérienne (03).Ceci paraissait logique étant donné le sens même de la Révolution armée qui aspirait à l'épanouissement du citoyen algérien après une souffrance de plus d'un siècle d'indigénat. Les sociétés nationales restructurées avaient des objectifs politiques, celui de servir d'assise à l'indépendance économique de l'Algérie. Il était donc demandé aux salariés de les défendre comme des acquis de cette nouvelle bataille après celle armée. Parler donc comme l'ont fait ces technocrates de rentabilité et sur la base de simples opinions « mimétistes » les a déroutés. Les objectifs deviennent peu clairs, l'Etat qui assurait aux salariés presque tout (emploi, salaire, logement, règle leurs problèmes sociaux etc.) se désengage progressivement de leur environnement.  L'erreur réside dans le fait d'avoir imposé un traitement économique aux problèmes du sureffectif alors qu'il est principalement et éminemment politique. Il s'agissait d'affectation arbitraire, de reconversion forcée, voire de dislocation sociale. L'alliance est donc rompue. Sont apparues des fissures dans la cohésion sociale qui ont permis aux dysfonctionnements, qu'on est en train de subir aujourd'hui, de s'enraciner. Cette déroute a rendu l'Algérien au travail narcissique, replié sur lui-même et complètement désintéressé de l'intérêt général. Il ne pense qu'à lui et à son entourage immédiat et il éduque ses enfants dans ce sens. Les entreprises issues de la restructuration, y compris Sonatrach, ont été totalement noyautées par des recrutements familiaux lorsqu'ils ne sont pas de complaisance. Est instauré un processus d'encanaillement qui fait grossir ces cercles pour les rendre un champ de bataille favorable à la corruption mais très loin des objectifs de rendement tel que souhaité par ces technocrates. Pourquoi s'étonne-t-on aujourd'hui que dans les dossiers de corruption en cours comme celui de Sonatrach I et II, lorsqu'un dirigeant est impliqué, c'est toute sa famille qui le suit. C'est le cas de certains PDG de Sonatrach, de l'épouse du vice-président commercialisation, la femme et les deux enfants de l'ancien ministre de l'Energie et des mines et ceci n'est que l'arbre qui cache la forêt. De la même manière, les procès liés à la corruption sont fortement médiatisés mais n'aboutiront jamais en Algérie. Qu'avons-nous retenu de l'affaire Khalifa ? Les larmes d'émotion de la juge en charge du dossier, de l'acquittement total des cadres dirigeants qui ont reçu des enveloppes sous différentes formes. Le secrétaire général de l'UGTA qui « assume ». Le ministre qui a autorisé cette banque s'est trompé de champion. Le golden-boy lui-même devait être difficilement extradé de la Grande Bretagne. Par contre, les seuls perdants restent ceux qui ont fait confiance à l'Etat pour déposer leurs économies qu'ils ne récupéreront sans doute jamais. Les affaires en cours risquent de suivre le même cheminement si des changements profonds ne se produisent pas dans la société.

Ce que Chakib Khellil a commencé, d'autres vont le terminer

En prenant en charge le secteur de l'Energie avec toutes les entreprises qui le composent, en 1999, Chakib Khellil a tenté d'ouvrir le capital de Sonatrach aux multinationales en déverrouillant les fameux « 3i » que feu Benhamouda et le président Zeroual ont placés pour la protéger des convoitises. (04) Il n'a pas réussi parce qu'il s'est confronté à une très forte résistance du monde du travail, y compris leurs syndicats. Aujourd'hui, les corporations syndicales autonomes ont été sciemment affaiblies et le principal syndicat du pays s'est définitivement rangé à la démarche du gouvernement actuel, depuis la reconduction de son secrétaire général, lors du dernier congrès (05). Il faut signaler, par ailleurs, que le secteur privé non plus n'a pas donné l'exemple de bonne gestion. Les affaires de la banque El Khalifa, celle de Tonic emballage, le groupe Sim, pour ne citer que ceux là, sont éloquentes. Connaissant la compétence, le savoir-faire et les intentions stratégiques des uns et des autres, que peuvent-elles donner à un secteur aussi névralgique que celui des hydrocarbures, sinon de permettre à des partenaires étrangers d'en prendre possession. C'est une manière indirecte de privatiser Sonatrach, seule vache à lait du pays, avant même que l'économie décolle et sa diversification commence. Donc, on est en face d'un autre coup de publicité pour faire passer la vague de contestation liée l'exploitation des ressources conventionnelles, sans plus ni moins. De nombreux signes pourvoyeurs abondent dans ce sens. Les avocats qui connaissent très bien le statut de Sonatrach comme une société par actions, avec toutes les parts appartenant à l'Etat. C'est l'Etat qui nomme ses responsables à travers un décret présidentiel. Quand elle est en difficulté, c'est le trésor public qui lui vient en assistance et il garantit les lignes de crédit qu'elle obtient de l'extérieur. Et pourtant, ils ont contesté la présence du trésor au tribunal, lors du traitement judiciaire de Sonatrach I et II. Est-ce une façon indirecte d'envoyer un message aux citoyens pour leur dire que l'argent de Sonatrach doit rester dans la sphère privée ? Ou est-ce un manque d'arguments pour défendre des gestionnaires qui ont apparemment fauté ? Ce qui est incontestable est que le trésor public agit pour le compte de l'Etat, pour être le seul garant de l'argent du peuple. Qu'il assiste ou pas aux différentes phases de l'instruction, n'est qu'un problème de pure forme, puisque la force publique est représentée par le procureur de la République. Sommes-nous en train d'assister à une préparation de l'opinion publique pour renvoyer aux calendes grecques des affaires pour ne plus servir d'exemple et ouvrir la voie à l'impunité dans la gestion ?

La mode de gestion de Sonatrach l'a vidée de son encadrement

En dépit des sommes considérables consenties pour la formation, dans l'espace et dans le temps, des cadres dans les différents secteurs d'activité de l'économie nationale, l'ordre établi par le rouage clanique a empêché l'apparition d'une vraie élite de gestionnaires capables de conduire et de gouverner les entreprises publiques. Dans de nombreux cas, ce n'était pas le savoir et le savoir-faire qui faisaient défaut mais c'est le savoir-être et l'audace managériale qui leur manquaient. Ils obéissent et ne savent pas dire non quand il le faut. Si on se réfère aux affaires de Sonatrach par exemple, le passage d'à peine deux ans de Chakib Khellil comme PDG du groupe aura suffit pour violer la culture de cette entreprise cumulée depuis près de 40 ans. Il a facilement réussi à mettre dans les postes clés ses collaborateurs du ministère, notamment son directeur des hydrocarbures comme Pdg, son assistante aux ressources humaines et son chef de cabinet au secrétariat général du groupe et, plus grave, son neveu dans un poste névralgique. En dépit de toute une direction juridique dotée de cadres de haut niveau et formés dans les universités étrangères, il coopte un américain pour lui rédiger une loi rejetée avant même d'être mise en application. Cet américain a perçu une rémunération de 2 millions de dollars, démotivant ainsi les compétences qui ont vidé l'entreprise au profit de celles étrangères. Lorsque les deux principales affaires de Sonatrach ont éclatées, c'est eux qui ont servi de fusibles en mettant tout sur son dos sans fournir la moindre preuve. Aujourd'hui si un mandat international est lancé contre lui, c'est parce que la justice algérienne est mise devant un fait accompli par le parquet de Milan et des fuites d'information ont circulé sur le fait qu'il avait nargué la justice algérienne qui l'a convoqué à deux reprises, uniquement pour répondre et confronter les lampistes qui l'accusent. Rôdé dans le système de gestion international et très informé des points faibles et des prédispositions des dirigeants algériens, cet ancien ministre instruit verbalement mais ne formalise que très peu.        D'ailleurs, c'est durant son règne que s'est développé le réseau Internet qui a remplacé la communication interne. On se contacte et on instruit d'une manière virtuelle. Désormais, ses collaborateurs appliquent les instructions la bouche ouverte car une de ses qualités c'est qu'il sait récompenser d'une manière pavlovienne l'obéissance par des artifices divers : mission à l'étranger, logements, recrutement de complaisance, avantages divers. La plupart de ses vice-présidents, le PDG actuellement sous contrôle judiciaire et de nombreux directeurs centraux ont bénéficié de logements dans la résidence Chaâbani en contractant des prêts CNEP que la Sonatrach paye, croit-on savoir indirectement, sous forme de prime de logement cette fois-ci directement versé aux intéressés, en terme plus simple, le beurre et l'argent du beurre. Aucun algérien n'aurait pu imaginer que des cadres nationaux permettent ou ferment les yeux pendant que des étrangers comme SAIPEM vide le pétrole du gisement Sif Fatima ou le trafic de la filiale de Londres, en attendant l'ouverture de la boîte de Pandore par la justice d'autres pays. Plus grave, à en croire un site électronique (4), la DRS enquête actuellement sur des taupes à l'origine d'importantes fuites d'information de Sonatrach vers ses conquérants. Si cette fuite se confirme, elle expliquerait pourquoi les investisseurs choisissent les gisements existants ou les blocs qui leur sont mitoyens. Depuis 1986, très peu, sinon aucun d'entre eux n'a risqué un dollars pour rien. Tous les blocs ont été fructueux pour rendre ainsi le risque géologique du domaine minier algérien presque nul. Par contre, aucun de ces investisseurs ne s'intéresse aux 761751 km2 du domaine libre, et que l'Algérie souhaite valoriser.

En conclusion, il est important de tirer les leçons du passé pour pouvoir faire un pas productif en avant, sinon les mêmes méthodes produisent les mêmes erreurs. Si cet appât lancé à l'intention des entreprises algériennes pour participer au plan de développement de Sonatrach a fait sortir certains responsables de leur hibernation pour se défouler dans certaines chaînes de Radio et plateaux de télévision, le commun des mortels n'en croit pas un mot.

* Consultant, Economiste Pétrolier

Renvois

(01)-La déclaration de Sellal sur l'échéance d'exploitation du gaz de schiste à l'horizon 2040.

(02)- Réunion avec les représentants du patronat et de la centrale syndicale de l'UGTA, en novembre 2012

(03)- lire le préambule du plan triennal couvrant la période 67-69

(04)- Incessible, Insaisissable et Indissociable

(05)- déclaration de son secrétaire fraichement élu à Oran

(06)- Article paru sur le site de TSA, le samedi 10/08/2013 à 17 :31