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Yemen : l'absurde guerre fratricide arabe

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Qu'est-ce qui a motivé la Ligue des Etats arabes à choisir la voix des armes et de la guerre au lieu et place de la médiation politique et diplomatique pour régler l'instabilité et la violence politique au Yémen ? Est-ce, comme il est prétendu, une question de leadership entre chiites et sunnites ? Voilà donc les pays arabes et musulmans décidés à mettre en place une force armée commune d'intervention pour contrer les rebelles houthis au Yémen qu'ils soupçonnent être à la solde de l'Iran. Menée par l'Arabie saoudite, gardienne de la tradition sunnite, l'expédition au Yémen est présentée comme une riposte aux supposées velléités expansionnistes dans la péninsule arabe de l'Iran, gardien de la tradition chiite. Une guerre d'influence entre les « gardiens » des deux grands courants et dogmes religieux au sein même de l'islam. Un retour dans le passé, celui des 7ème et 8ème siècles, marqué par des luttes, guerres, divisions, révoltes et intrigues sanglantes dans le cœur même des pouvoirs successifs qui ont dominé l'histoire du monde musulman en ces temps-là. Pathétique prétexte et triste réaction des pays de la Ligue arabe. Depuis quand et sur quel argument doctrinal, à supposer que la guerre civile au Yémen est d'ordre religieux, les houthis relèvent-ils du courant chiite iranien ? Faut-il rappeler que les houthis chiites du Yémen sont depuis le 7ème siècle considérés comme des adversaires, voire des ennemis du chiisme iranien ? Faut-il rappeler que le courant chiite est lui-même divisé en divers courants opposés notamment sur la question du « pouvoir » en terre d'Islam et de sa légitimité ? Faut-il signaler que les zaydites, autre courant chiite majoritaire présent au nord du Yémen, n'a rien à voir avec le courant iranien et s'oppose à lui sur la légitimité successorale du pouvoir en pays musulman ? Bref, les chiites yéménites ne font pas partie du chiisme duodécimain suivi par l'Iran (12 imams, dont le l2ème, l'imam El Mahdi, a disparu par la volonté divine, selon eux, en 874. Son retour sur terre est attendu pour mettre de l'ordre dans le monde et asseoir définitivement l'islam comme religion universelle).

Ces quelques brefs rappels sont nécessaires pour dire toute l'absurdité à expliquer le soutien iranien aux rebelles houthis du Yémen par l'argument religieux : les chiites yéménites, zaydites et autres ismaéliens n'adhèrent pas (et s'opposent souvent) au chiisme duodécimain iranien. Les vrais raisons de la guerre civile au Yémen, récurrente par ailleurs depuis l'indépendance du Yémen en 1967, sont d'ordre économique et politique : l'affrontement entre ceux partisans d'un ordre constitutionnel présidentiel fort, avec un pouvoir central fort et ceux partisans d'un régime politique fédéral avec une large autonomie des régions, notamment entre les régions nord et sud. Parce que les populations du Sud, minoritaires avec près de 3 millions d'habitants, ne bénéficient pas de la rente gazière (et pétrolière) autant que celles du Nord, majoritaires avec quelque 11 millions d'habitants. Et puis, le Yémen a un passif récent à solder avec l'Arabie saoudite : l'expulsion, lors de la 2ème guerre du Golfe menée contre l'Irak de Saddam Hussein en 1990-91, de près d'un million de Yéménites qui vivaient et travaillaient en Arabie saoudite. Enfin, la position stratégique du Yémen sur le golfe d'Aden, où le cabotage des navires marchants et autres méthaniers est l'un des plus denses au monde. Le passage de « Bab El Mandeb » sur la mer Rouge vers le canal de Suez est capital pour le commerce mondial. Le Yémen n'en tire pas grand bénéfice comme bénéficie l'Egypte du canal de Suez par exemple. Considéré comme un des pays les plus pauvres au monde, malgré ses ressources minières et sa position stratégique, le Yémen subit, de surcroît, un dictat du FMI et de la Banque mondiale par le système des prêts financiers à des taux très élevés. Le pays est surendetté et enfermé dans une spirale qui risque de le disloquer. Dans de telles conditions de misère économique, couplées à une sociologie compliquée marquée par un pouvoir des chefs de tribus et régions, le Yémen vit dans un état de guerre civile permanente depuis plus de quarante ans. Seul un soutien financier et une médiation politique de ses riches voisins (frères ?) arabes avec lesquels il partage une histoire millénaire, lui ouvriront une perspective de paix et de stabilité. Malheureusement, les voisins et frères arabes n'offrent comme seule réponse au calvaire des Yéménites que la voix des armes et de la guerre. Ainsi, pour sa première initiative politique d'envergure, la Ligue des Etats arabes fait le choix de la guerre dans la maison du voisin yéménite, déjà affaibli par quarante années de violence et d'instabilité. Triste défi arabe face à une situation de crise politique majeure d'un des leurs. S'il ne faut pas occulter les surenchères politiciennes pour le leadership au Moyen-Orient entre l'Iran et l'Arabie saoudite, les réduire à la seule dimension religieuse entre chiisme et sunnisme est une tromperie et une hypocrisie dangereuses. C'est tomber dans le piège du « clash des religions et des civilisations » tendu par les cercles occultes qui rêvent d'un chaos mondial où survivront les plus forts, les mieux armés, les plus nantis.

En ces temps modernes, la guerre n'est jamais la solution définitive, ni la réponse aux injustices et humiliations que vivent les populations. Nous en avons les preuves tous les jours ailleurs, en Syrie, en Irak, en Libye, en Palestine occupée, au Yémen, disons-le, dans les pays arabes et musulmans. C'est pourquoi la Ligue des Etat arabes devrait plus s'interroger sur les raisons de cette réalité de violence, de guerre et de misère qui mine ses sociétés, et s'atteler à construire des stratégies politiques et diplomatiques, d'user de compromis politiques et de solidarités multiples, de préférer le dialogue, la tolérance et la justice au choix des armes, de la violence et de la guerre. Triste palmarès politique de la Ligue des Etats arabes : pour une fois qu'elle avait l'opportunité de marquer son histoire diplomatique et politique par une initiative de paix, elle a fait le choix de la guerre. Contre un membre affaibli et malade de sa propre famille.