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RACHID LE GRAND !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'Insolation - Roman de Boudjedra Rachid. Editions Anep, Alger 2002 (première édition en 1972).253 pages, 400 dinars



Un homme, prof de philo de son état (Un « fou » disent-ils ! mais l'est-il vraiment ou n'est-ce pas un sage, un être sensé posant un regard critique sur sa société, sage que tous les autres ignorent ?) enfermé dans un asile car s'étant laissé aller à contre-courant des codes sociaux de l'époque, traditions archaïques et conventions sociales, petit-bourgeoises. Il avait osé « déflorer » une jeune étudiante (fifille d'un oligarque) qui, d'ailleurs, ne demandait que ça.

Un séjour assurément forcé qui va l'amener à faire ressurgir -sous forme d'une confession, d'un monologue- l'histoire de sa vie, la sienne, de sa famille, de son entourage immédiat et aussi du pays. Son enfance rejaillit. Voilà qui va entraîner la pensée et les réflexions à aller jusqu'au bout d'elles-mêmes. C'est ce qui fait aussi la beauté de la littérature. C'est aussi ce qui fait la beauté et le génie de l'écriture boudjdréenne. Du Camus, du Kateb... ? Mais, surtout, du Rachid Boudjedra tel qu'il s'était révélé au tout début de son parcours d'écrivain-philosophe avec, entre autres, « La Répudiation » (ce qui lui avait alors valu bien des critiques de la société et des pouvoirs conservateurs de l'époque... et même un certain exil).

On a donc, en vérité, un non-fou qui porte le masque de la folie. Et dans tout le « jeu » de la folie, au milieu d'un vrai asile de « fous », l'auteur opérant par opposition et dédoublement entre le vrai et le faux, le réel et l'irréel, le souvenir et la réalité, va nous montrer le jeu de la folie... La « folie » de ce personnage lève le voile sur le double jeu de certains personnages qui gravitent autour de lui, notamment sa mère, sa tante, son oncle et Djoha, représentant un microcosme social, l'infirmière et les fous, quant à eux, renvoyant, a contrario, à un macrocosme. Les personnages, dans le texte, fonctionnent comme des signes représentant une classe et une situation sociales presque réelles. En réalité, dans le texte, la folie ne fait que délimiter les marques de la société. Les marginaux sont les hommes de lettres, les artistes, les laissés-pour-compte, les non-fous de l'asile. Cette marge sociale est la souche consciente du peuple. Ils ne sont pas fous mais ils s'écartent de la norme sociale. Ils sont internés parce qu'ils sont la preuve tangible de l'incapacité de la société à reproduire le moule social. Ces fous sont utilisés comme subterfuge de dénonciation et de dévoilement de la facette cachée de la société mais surtout du pouvoir. Ils fonctionnent comme des signes qui renvoient aux conflits sociaux et aux maux du peuple. Et, les insensés sont, en fait, tous les êtres, hors des murs de l'asile, soumis au pouvoir.

L'Auteur : Né en 1941 à Ain Beïda (Aurès), études en maths et en philo. Enseignant universitaire puis, à partir de 1972, il se consacre à l'écriture. Auteur d'une œuvre considérable, traduite dans le monde entier.

Extraits : « Nous faisions la guerre et il n'y avait pas de fleurs dans nos songes. Seulement le napalm déversé par les insectes d'acier tourbillonnant dans le ciel, au-dessus de la lagune. Mille et millier villages détruits. Il nous fallait surgir de l'ombre et même du soleil, frapper et nous faire avaler par les forêts et les prairies des matins gris » (p 99), « Oublierait-elle (note : l'infirmière-surveillante) que nous venions de vivre une guerre meurtrière de sept ans, durant laquelle les meilleurs d'entre nous furent décimés, catapultés, pulvérisés par le bombes et les avions, le napalm et les services psychologiques ? Oublierait-elle aussi que beaucoup parmi les malades venaient de France où on les avait tellement exploités, brimés, méprisés qu'ils en étaient devenus fous, à aller de métro en bidonville et de bidonville en chantier avec des contremaîtres corses et italiens ou polonais qui exècrent les Arabes parce qu'ils sont eux-mêmes en butte au racisme des autres habitants du pays, susceptibles et sourcilleux, fiers d'y être nés comme si » (p 120), « Algériens sanguinaires ! Mais oui, sept années qu'ils ont fait la guerre, à massacrer de gentils colons et de rustiques garde-champêtres (Constantine : 20 août 1955.la ratonnade gigantesque fit des centaines de morts, tous algériens, abattus au fusil-mitrailleur par les Européens déchaînés et haineux protégés discrètement par les autorités coloniales de la ville ...) mais tous armés jusqu'aux dents, tirant à vue, jouant aux justiciers du Far West partis à pourchasser les mauvais Indiens... » (p167).

Avis - Pour moi, le plus grand jongleur de mots et de phrases de la littérature francophone. A vous y perdre... avec plaisir ! Pour découvrir le monde intérieur d'un auteur à nul autre pareil. Un peu de Camus ? Un peu de Kateb Yacine ? Peut-être ! Mais beaucoup, beaucoup de Boudjedra... On comprend, en le (re-) lisant pourquoi le monde littéraire français, celle d'hier et celle d'aujourd'hui, voyant en lui le meilleur d'entre tous, a commencé (et a continué de nos jours encore) à le boycotter. Il est vrai que c'est un personnage exceptionnel au caractère plus que trempé,... et à l'algérianité nationale-patriotique aiguisée... et ne s'en laissant pas conter. Qui s'y frotte s'y pique !

Citations : « Aller de la prison du père à celle du mari, c'est comme sucer des petits cailloux pour tremper sa faim » (p17), « Les pauvres exagèrent toujours l'avarice des riches » (p 36), « Je me sentais toujours à l'étroit dans une photographie, enfermé définitivement dans le temps et dans l'espace, figé pour l'éternité comme si je n'allais plus vieillir ni jamais quitter tel ou tel décor » (p 218), « Imagine-toi un cadi ! C'est beaucoup plus leste derrière une voiture mortuaire, malgré sa bedaine gorgée d'eau et malgré la sieste faite dans de mauvaises conditions un jour d'enterrement. Un cadi, ça a l'habitude ! Il ne vit que pour ça. Sans les enterrements, il n'aurait aucune valeur. Si les gens le respectent, c'est parce qu'ils l'associent à la mort » (p 228),





Les contrebandiers de l'Histoire - Pamphlet de Rachid Boudjedra, Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2017, 400 dinars, 91 pages (Fiche de lecture déjà publiée

le 20 janvier 2019. Extraits pour rappel seulement ? Fiche complète in www.almanach-dz.com/culture/bibliotheque d'almanach)



Avec notre Rachid Boudjedra national (et nationaliste devenu, avec un «âge n'aidant pas», de plus en plus sourcilleux), il faut s'attendre à tout... ce qui peut «révolutionner» le paysage culturel algérien, à tout moment et en tous lieux, durant ses brusques «montées» en attaque ou après les «pièges et harcèlements » médiatiques. Depuis quelque temps, il semble redoubler de «férocité», se mettant à tirer dans tous les coins et sur tout ce qui bouge... surtout ailleurs (en France, tout particulièrement) et alentour (ce qui vient de France, tout particulièrement). Parfois, on le comprend... sans l'approuver. Souvent, on s'en inquiète.

Donc, l'ouvrage est plus d'un simple pamphlet. C'est un écrit-brûlot (et il le reconnait amplement, p 85), décidé, «pour ne pas mourir de ma lâcheté» dit-il .... (...)

Dans sa large «radiographie clinique», il y a beaucoup d'(im-) patients : B.Sansal, K.Daoud, (...) (et bien d'autres dans la littérature, la peinture, le théâtre ou le cinéma dont les réalisateurs de «productions cinématographiques produits sur commande», des «films-propagande à la guimauve», et les «dizaines de peudo-«artistes» algériens (qui) ont rejoint les Sas de l'armée française... Certains de ces jeunes «jaunes» sont devenus des artistes importants et reconnus par l'Algérie indépendante», voir 83) ... et, dans le même sac, A. Camus, F. Furon, A. Arcady, M. Onfray... sans oublier B.H.Lévy, Finkielkraut, E.Zemmour, Bruckner, Glucksmann, R. Menard, J.P Chevènement (et tant d'autres), les «camarades socialistes français», à leur tête G. Mollet et F. Mitterrand, L. Visconti, Melina Mercouri, Delacroix... Beaucoup de monde. Trop de monde ?

Heureusement, il y a F. Yveton, A. Tebboune, S. Bencheikh (de l'Onda), H'mida Ayachi, A. Fenni, A. Cherif, Omar Ourtilane, L. Hamina et bien des «chrétiens, juifs, athées mais algériens jusqu'au bout des ongles», dont bien d'entre eux «vivent en Algérie et sont fiers d'être Algériens» et... J-P. Sartre, Mandouze, Amos Giataï, Shlomo Sand, Jeanson, Yves Lacoste, L . Mauvignier, J. Ferrari, J. Andreas, Picasso, J . Genêt, P. Guyotat... (...)

L'Auteur : Voir plus haut

Extraits : « La très longue colonisation ottomane de l'Algérie qui dura des siècles a été celle aussi d'une très grande cruauté, mais comme ces janissaires étaient des musulmans, leurs crimes leur ont été pardonnés» (p 37) , « Le monde occidental trop riche et trop pauvre à la fois, a tout empommadé, tout traficoté, fait de la contrebande avec toutes les valeurs, y compris les siennes propres que nous, progressistes et laïcs algériens, avions adoptées avec enthousiasme» (p 49), «Ce qui nous manque, à nous intellectuels et artistes, pour être efficaces, c'est, peut-être, un niveau d'enracinement dans la propre conscience de l'individu écrivant ou peignant, ou réalisant (dans le cinéma ou dans le théâtre), etc.» (p 68), «Si j'ai donc consacré ce «brûlot» à des contrebandiers de l'Histoire, c'est pour dire que l'Algérie va mal. Que les Algériens sont malheureux. Fragiles. Désemparés. Humiliés dans leur fierté nationale par des larbins et par les nouveaux harkis de l'ère moderne» (p 88).

Avis - C'est un pamphlet comme annoncé en couverture. Pamphlet : «Petit écrit satirique agressif dirigé contre quelqu'un, une institution... Libelle» (Le grand Larousse illustré 2016, p 830). Donc, point d'étonnement connaissant le «militantisme» et l' «épidermisme» ( sic !) de celui qui reste, malgré tout, le plus grand de nos écrivains contemporains de langue... français... alors, et je l'ai déjà écrit, «les meilleurs sont aujourd'hui ailleurs».

Une remarque très personnelle : je ne pense pas qu'il n'y ait pas d'écrits suffisants -édités en Algérie même- sur le combat de l'Algérie pour se libérer de l'occupation coloniale ou pour décrire (à travers des mémoires, des études et des récits et aussi, des romans) la vie quotidienne. Il y a en assez (en général en français mais traduits, pour beaucoup, en arabe) pour occuper bien des journées de lecture. Certes la qualité n'est pas toujours présente, mais en attendant, on s'en contente. Mieux que rien ou peu et bien mieux que les ouvrages édités à l'étranger (...)

Citations : «La démocratie est le contraire du mensonge et des petits arrangements» (p 19), (...), «Notre production artistique manque de finesse, de métaphysique, de passion et de... folie» (p 69).