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![]() ![]() ![]() ![]() Excusez-moi de
commencer par une banalité qui reprend l'argument en alerte de l'isolement des
êtres humains par le smartphone et les réseaux sociaux alors qu'ils non jamais été
aussi connectés dans l'histoire.
Un paradoxe qui est relayé si souvent qu'on le définit comme une vérité. Cette vérité trouverait son fondement dans la réalité observable du quotidien. Dans une rame de métro, dans la rue, au bureau, en classe et à tout moment l'humanité dans sa grande majorité est reliée avec elle-même, c'est-à-dire avec l'humanité. C'est vrai que cette connexion semble isoler tous les individus dans un silence et une communication hors du lien social. Le phénomène qu'on croyait circonscrit aux jeunes s'est maintenant généralisé à toutes les générations jusqu'aux plus avancées. Je n'y échappe pas plus que le lecteur qui lit ma chronique. D'ailleurs je pourrais l'épater en lui disant à distance et à l'aveugle où se trouve son portable et quand l'a-t-il utilisé pour la dernière fois. Devant lui pour la première réponse, il y a moins d'une minute pour la seconde. Épatant, non ? Le smartphone est le bonjour du matin, au réveil, il est le dernier salut, au coucher. Sa fidélité est sans faille et on le pleure en cas de perte autant qu'un être cher. Tout cela est vrai mais je n'irai pas plus loin dans la conclusion car elle camouffle à mon sens une toute autre vérité. Jamais les humains n'ont pu autant sortir de la solitude individuelle. Je vais argumenter ma position qui semble difficile à priori de défendre. Reprenons le cas du métro, avez-vous connu un passé où les personnes se mettaient à discuter spontanément entre elles ? Il n'y avait pas de smartphone et pourtant chacun regardait ailleurs et on ne peut affirmer que la communication ait été intense. La discussion ouverte et favorable aux échanges qui sont considérés comme la définition même du lien social n'étaient pas si évidente à constater. Le monde méditerranéen serait, selon certains analystes et d'une manière générale et fantasmée, le lieu de la culture des discussions, des bavardages, du bruit et des rires autant que des colères explosives. Mais cela est un cliché lourdement ancré dans les mémoires qui s'accrochent désespérément pour se donner l'illusion d'une société passée qui aurait été en permanence en communication et en échanges. Il n'y avait pas de smartphone et c'est vrai cependant qu'on entendait perpétuellement les discussions envahissantes des voisines sur le balcon, dans un mariage ou chez un marchand de tissu. Et chez les hommes, dans un café ou dans un stade. Mais on cite trop souvent ces exemples pour valider la certitude que les communications étaient systématiques, à tout moment et en tous lieux. Si souvent qu'on peut soupçonner qu'il n'y en avait pas beaucoup d'autres. En réalité, les jeunes n'avaient jamais eu aussi massivement la possibilité de communiquer avec d'autres jeunes que dans la génération actuelle des smartphones. Il y a quelque mois, j'avais rédigé une chronique dans cette rubrique pour déplorer les conversations à très hautes voix qui perturbaient, surtout dans les transports, et qui nous obligeaient à entrer dans une intimité de conversation qu'on ne désirait pas entendre. Ce n'est absolument pas une contradiction avec mon propos présent car ces personnes sont en lien avec d'autres personnes et même si longtemps et si fort que cela exaspère les nerfs. Ce sont des échanges entre humains, non ? Les jeunes passent leur temps sur les réseaux sociaux qui finissent par tuer les liens du contact social vivant, nous dit-on. Répétons-le encore, croyez-vous qu'ils étaient toujours en lien direct à notre époque ? Pensez-vous que nous passions notre temps adossés au mur, à discuter, à jouer au foot ou aller ensemble au cinéma ? Certes, cela existait mais on exagère malhonnêtement le phénomène. C'est avoir une mémoire de concombre ou une mauvaise foi, de celle qui veut embellir le passé car la nostalgie nourrit notre certitude de pouvoir le retrouver. De plus, l'objectif était de se différencier des sociétés du Nord qu'on traitait de froides et inhumaines dans leur lien social en public. Cela aide à se rassurer sur la bonne méthode de notre communication. Au contraire, nous étions constamment à la recherche de nos retrouvailles d'adolescents tant nous en étions privés si souvent. Pas de smartphone, mais un téléphone fixe lorsqu'il y en avait un. Et lorsque vous l'utilisiez, il y avait trente oreilles curieuses qui guettaient la conversation avec l'air de faire autre chose. Vous appelez cela de la communication et des échanges ? Une telle frénésie d'envie de contact qui avait même donné cette impression aux parents que nous étions toujours en recherche d'échapper aux devoirs. Les analystes contemporains semblent ne jamais avoir connu ce passé. Ils n'ont jamais connu la terrible solitude des moments des devoirs. Peut-être pourrions-nous avec malice leur rétorquer que le sérieux de la concentration dans l'isolement n'est pas de ce monde dans lequel ils sont nés (et vlan !). On se trompe de problème car il est ailleurs et d'ailleurs si parfaitement identifié et dénoncé. Il s'agit du fléau de l'abus de communication pour un temps dangereux pour la vue, le sommeil et l'attention focalisée sur les communications entres jeunes. Le fléau est donc dans le contraire de ce qui est dénoncé, ce n'est pas la réclusion dans la solitude mais le trop-plein de communication. Parmi les autres dangers qui sont dénoncés est que les réseaux sociaux amplifient le phénomène des pseudos qui permettent le courage des insultes permanentes et des fausses nouvelles dangereuses. Ah bon ? Et la propagation des ragots, des contrevérités et des insultes n'existaient pas auparavant ? Ils se propageaient dans la ville à une vitesse qui rendrait jaloux les plus performantes puces numériques. Ils étaient pour beaucoup aussi faux et dangereux. Avec tous ces inconvénients le monde n'a jamais été autant en relation pour combattre et contourner les blocages des communications numériques par les dictatures. Pourquoi ces dernières en auraient-elles peur s'il n'y avait pas la naissance d'une conscience collective de combat dans les sociétés modernes de smartphones, de mails et de réseaux sociaux ? Bien sûr que le smartphone est un danger si sa pratique n'est pas maîtrisée et régulé par un esprit conscient, libre et éduqué. Les innovations ont toujours inquiété ceux qui en avaient peur car elles menaçaient leur pouvoir. Raison pour laquelle elles ont été aussi fortement combattues comme si c'était le diable. L'imprimerie, le téléphone, la radio et ainsi de suite. Oui, les réseaux sociaux sont mère de tas de risques. Mais a-t-il existé une seule fois dans l'histoire de l'humanité un moment qui n'était pas confronté au risque ? Pourtant ces dangers au départ ont toujours été par la suite le moteur qui la fait avancer. Bon, j'arrête cette chronique, mon smartphone s'impatiente. |
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