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Alliés sous tutelle

par Mustapha Aggoun

Il y a des accolades qui sonnent comme des gifles. Des poignées de main qui scellent non pas des accords, mais des humiliations. Ainsi fut la première visite officielle de Donald Trump en mai 2017, fraîchement installé à la Maison Blanche, dans une tournée moyen-orientale qui fit halte à Riyad avec le faste des sultans et l'aplomb d'un shérif venu collecter son dû.

À l'époque déjà, les images avaient de quoi choquer : Trump dansant maladroitement le sabre à la main, Trump applaudissant un contrat d'armement de 110 milliards de dollars signé avec l'Arabie Saoudite, Trump salué comme un sauveur par des élites locales ravies de le servir. Mais derrière la scène et les lustres d'or, une vérité glaçante se profilait : celle d'une diplomatie de l'arrogance, où l'homme fort de Washington traitait ses partenaires comme des vassaux, et où ceux-ci, pourtant bardés de pétrodollars, s'inclinaient sans un mot.

Le plus frappant n'est pas que Trump ait cherché à faire fructifier les intérêts américains. Après tout, tout État défend sa balance commerciale, surtout quand il est dirigé par un président qui se vante d'être un négociateur hors pair, un «deal-maker» sorti tout droit de ses propres légendes. Ce qui heurte, ce qui indigne, c'est la manière. Ce ton condescendant, ce verbe tranchant, cette façon de rappeler à qui veut l'entendre que sans les États-Unis, « ces pays ne survivraient pas deux semaines ». Une phrase martelée avec le même mépris en 2017, répétée en 2018, et de nouveau ressassée en 2025, à la veille de sa première tournée internationale depuis le début de son second mandat. Une obsession rhétorique qui en dit long sur sa vision de la région : un gigantesque coffre-fort à ciel ouvert, que l'on peut piller à volonté, du moment que l'on sourit devant les caméras.

Et pourtant, les dirigeants du Golfe, ces monarques habillés de soie mais politiquement pieds et poings liés, ne bronchent pas. Mieux encore : ils déroulent le tapis rouge à cet homme qui les rabaisse en public. Ils multiplient les contrats, vantent l'« alliance stratégique » et se félicitent des « liens indéfectibles ». Pourquoi ? Pourquoi accepter d'être perçus comme des distributeurs automatiques de cash sans contrepartie en dignité ? Pourquoi tolérer que l'on parle d'eux comme de valets que l'on protège moyennant finance ?

L'histoire regorge d'alliances inégales. Depuis la rencontre de Roosevelt et du roi Ibn Saoud, à bord du USS Quincy en 1945, l'axe Riyad-Washington repose sur un pacte tacite : pétrole contre sécurité. Mais ce pacte, à l'origine politique, s'est au fil des décennies transformé en lien de dépendance toxique. Il ne s'agit plus de coopération, mais de soumission. Les milliards d'armements, les promesses d'investissements dans des infrastructures américaines ou dans des startups de la Silicon Valley ne servent plus à construire une autonomie stratégique, mais à acheter, au prix fort, une protection militaire dont l'efficacité reste, elle, sujette à caution.

La guerre au Yémen en est un exemple cruel. Malgré le soutien logistique américain, malgré les milliards investis dans l'armée, les monarchies du Golfe n'ont pu venir à bout d'une milice armée et mobile : les Houthis. Pis encore : ces derniers, malgré leur posture anti-américaine affichée, ont récemment accepté de suspendre leurs attaques contre le trafic maritime en mer Rouge... non pas en solidarité avec les enfants de Ghaza, ni pour les prisonniers palestiniens, mais en échange d'une simple médiation américaine pour libérer un citoyen américain détenu. Un échange grotesque qui montre à quel point la valeur symbolique d'un seul Américain l'emporte, dans les négociations régionales, sur les souffrances de peuples entiers.

Il faut oser le dire : ce n'est pas Trump qui humilie les pays du Golfe. Ce sont eux-mêmes qui acceptent l'humiliation. Ce sont leurs dirigeants, prisonniers d'un imaginaire de puissance fondé sur les yachts et les gratte-ciels, qui consentent à être traités en sous-traitants dociles de l'empire américain. Ils échangent leur souveraineté contre des assurances de sécurité, leur fierté contre des sourires hypocrites, leur mémoire contre des contrats temporaires.

Pendant ce temps, leurs peuples, tenus à l'écart, dépolitisés, infantilisés assistent à ce théâtre sans pouvoir intervenir. Ils voient bien, derrière les discours ronflants sur la « modernisation », que l'essentiel leur échappe. Que la politique étrangère se joue sans eux, que leur avenir est bradé dans des salons feutrés, loin des préoccupations réelles.

Il serait temps de poser la question de la dignité. De rappeler que le respect ne se quémande pas avec des milliards, qu'il se conquiert avec des actes de souveraineté. Que la diplomatie ne se résume pas à des signatures en bas de page, mais à la capacité de dire non, de se tenir droit. Et qu'aucune alliance ne vaut la perte de soi.

Trump, dans son cynisme décomplexé, ne fait qu'exploiter les failles qu'on lui tend. Ce qui devrait nous inquiéter, ce n'est pas qu'il se comporte comme un prédateur, mais qu'il trouve si peu de résistance en face. Que les capitales du Golfe, si promptes à censurer leurs peuples, se montrent si silencieuses devant l'arrogance de leur « allié » américain.

L'histoire retiendra peut-être que des empires peuvent s'effondrer sans bruit, non pas sous les coups de leurs ennemis, mais dans l'indifférence de ceux qui les financent et qui acceptent, pour un siège à la table des puissants, d'y être servis en dessert.