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Modernité ou absurdité ? - L´architecture algérienne à contre-climat

par Elhabib Benamara

Alors que l'Algérie s'interroge sur sa souveraineté énergétique et écologique, une question fondamentale refait surface : notre architecture est-elle adaptée à notre climat ?

Depuis l'indépendance, l'urbanisme algérien peine à se défaire de l'influence des modèles occidentaux. Immeubles à façades vitrées dans le Grand Sud, quartiers résidentiels conçus sans ombrage ni ventilation naturelle, matériaux inadaptés au contexte saharien... Autant de signes d'une rupture entre les formes bâties et l'environnement dans lequel elles s'insèrent. Ce mimétisme architectural, souvent perçu comme un symbole de modernité, s'avère en réalité coûteux, inefficace, et profondément déconnecté des réalités locales.

L'illusion de la modernité : une architecture énergivore et déconnectée

Dans de nombreuses villes algériennes, notamment au sud du pays, les bâtiments modernes arborent fièrement de larges baies vitrées orientées plein soleil, sans protection ni réflexion sur leur impact thermique. Ces choix esthétiques, hérités d'un urbanisme importé, entraînent une surconsommation d'énergie pour le refroidissement, alimentant une dépendance accrue aux climatiseurs et à une électricité souvent produite à partir d'énergies fossiles.

Le comble, c'est qu'à l'intérieur de ces bâtiments, sous un soleil de plomb, l'éclairage des couloirs et des pièces est assuré... par des lampes ! Le verre, censé capter la lumière naturelle, échoue même dans sa fonction première. La fonction du vitrage est pervertie. Le goût aussi.

Ces aberrations ne sont pas le fruit du hasard, mais d'un système où les compétences sont marginalisées, où toute critique est étouffée, où le marché de la construction est dévoyé par les dessous de table. Le résultat ? Des catastrophes climatiques, économiques et culturelles, hélas trop visibles.

Les racines d'une crise architecturale : décoloniser le bâti

Cette crise de l'adaptation urbaine s'enracine dans une forme de continuité coloniale : l'imitation de normes architecturales occidentales considérées comme supérieures, au détriment des savoirs vernaculaires et des solutions endogènes. Pourtant, l'Algérie possède un patrimoine riche de constructions bioclimatiques : médinas aux ruelles étroites, maisons à patios, kasbah en pisé, oasis structurées autour de la fraîcheur de l'eau et de l'ombre végétale...

Redonner leur place à ces principes, ce n'est pas revenir en arrière, mais au contraire, avancer vers une architecture résiliente, adaptée, et ancrée dans son territoire.

Vers une architecture climatique et enracinée : les pistes d'avenir

Adapter l'urbanisme au climat algérien ne relève pas de l'utopie, mais d'un changement de paradigme. Plusieurs pistes concrètes peuvent être explorées :

Limiter les surfaces vitrées exposées au soleil, particulièrement dans les régions arides.

Utiliser des matériaux locaux comme la pierre, la terre crue ou la brique, dont les propriétés thermiques sont mieux adaptées.

Favoriser la végétation urbaine : planter des arbres dans les rues, créer des îlots de fraîcheur, verdir les façades et les toitures pour lutter contre les îlots de chaleur.

Repenser l'eau comme un élément structurant du tissu urbain : utiliser les eaux pluviales, réutiliser les eaux usées épurées grâce à des systèmes de phytoépuration, et intégrer des noues, bassins, jardins filtrants et fontaines climatiques dans les espaces publics.

Planter l'eau en mettant en place toutes les mesures qui facilitent sa rétention, son infiltration et sa circulation lente dans le paysage urbain. Chaque goutte retenue contribue à la recharge des nappes et à la résilience hydrique.

Créer des ceintures vertes autour des villes pour freiner les vents chauds et poussiéreux, améliorer le microclimat et offrir des espaces de biodiversité et de loisirs.

Valoriser l'orientation des bâtiments, les patios, les brise-soleil végétalisés, la ventilation croisée, autant de stratégies pour un confort passif.

Ces solutions, inspirées à la fois des techniques anciennes et de l'architecture écologique contemporaine, permettent de concilier confort, durabilité et identité.

Conclusion : reconstruire une architecture de résistance

L'architecture ne doit plus être une simple vitrine de modernité importée, mais un levier de résistance face aux défis environnementaux et climatiques. En repensant nos espaces bâtis à partir des réalités du territoire, nous posons les bases d'une souveraineté architecturale — une architecture qui protège, qui économise, qui raconte, et qui résiste.

Car adapter notre urbanisme au climat, c'est aussi réconcilier modernité et mémoire, progrès et racines, durabilité et dignité. L'eau, la végétation et l'ombre deviennent alors des matériaux à part entière de l'architecture de demain.