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L'écoute en vertu de sagesse, c'est ne prendre aucun risque

par Sid Lakhdar Boumediene

Je lis souvent que l'homme sage est celui qui sait écouter. Rien n'est plus vrai mais rien n'est également aussi trompeur si on ne prend pas garde à ne pas isoler l'écoute comme une absolue vérité de la sagesse à elle seule. L'écoute est par nature silencieuse. De même, on fait souvent l'éloge du silence comme étant éloquent et révélateur. Selon certains, l'écoute et le silence seraient ainsi les vertus d'un homme réfléchi qui enregistre, analyse, sélectionne et ordonne les pensées de ses interlocuteurs.

Le souci de l'écoute est justement qu'elle est silencieuse. J'ai toujours été méfiant pour valider une interprétation du silence. Car à ce jeu de décryptage, toutes les interprétations peuvent être proposées. Je ne sais davantage interpréter les interprétations. Nous irions loin à vouloir démêler ce qui est indicible. C'est vrai qu'on pourrait arguer que l'écoute et le silence sont, le plus souvent, accompagnés d'une posture, de mimiques et de gestuelles. Elles seraient interprétatives de la qualité de l'écoute. On pourrait ainsi y lire l'approbation, la critique, la tendresse ou l'amusement qui accueillent les propos des autres. Mais là, également, nous irions très loin pour une interprétation peu fiable. Qui peut démêler le faux et le vrai d'un regard ou d'un geste exprimés avec silence ?

Car une écoute est parfois, tout simplement, la marque des convenances sociales. On écoute parce que c'est la politesse envers l'autre. On dit aux enfants qu'ils doivent écouter en silence lorsqu'ils sont en présence des adultes. On écoute par déférence aux gens plus âgés comme à ceux qui ont une autorité comme le professeur, le médecin ou une parole des responsables hiérarchiques. Dans ces conditions, l'écoute et le silence évitent souvent d'exprimer l'ennui, le désintérêt, la détestation de la personne ou tout simplement l'incompréhension du langage et de ses nuances. Nous sommes loin de la sagesse.

L'expérience m'a montré que l'écoute par certaines personnes cachait, effectivement, cette impossibilité de prononcer une parole et d'avouer qu'ils n'ont rien compris. On peut interpréter le silence par le mépris mais aussi par l'illettrisme ou l'incapacité de répondre, parce qu'on ne sait quoi dire ou qu'on n'a aucune envie de le dire. Laquelle des interprétations serait-elle valide ? Non, l'écoute et le silence ne sont pas interprétables. Il serait illusoire d'y voir une quelconque sagesse et même dangereux de les théoriser en leur attribuant une signification vertueuse. Pour que l'écoute soit authentifiée comme une marque de sagesse et de compréhension, il faut qu'elle prenne des risques, qu'elle s'aventure vers des terres où elle ne peut se réfugier et se dérober derrière le flou.

Il n'existe aucune autre manière de le faire que par la parole, les actes et les écrits. Ainsi on pourra vérifier si l'écoute enfante une réponse par une parole ou un acte qui répond aux questionnements des autres, à leur trouble ou à leur demande de conseil. Si l'écoute sort de sa zone de confort, c'est-à-dire du silence, nous pourrions alors juger de sa qualité bénéfique ou non.

J'écoute pour comprendre, réfléchir, m'exprimer et agir. Le silence sans prise de risque donne le flanc à toutes les superstitions, manipulations et dissimulations. Et lorsque le silence est associé à la méditation, tous les charlatanismes ont porte ouverte. Ceux qui communiquent avec l'au-delà, ceux qui appellent les esprits et ceux qui trouvent la sagesse profonde dans l'ascétisme. On pourrait me rétorquer que la parole, l'écrit et les actes peuvent également être porteurs de tous les travers. Certainement mais le temps finit, toujours, par déceler des palabres creuses, des mensonges, des contradictions et des falsifications.

L'écoute et le silence n'ont ni de début ni de fin pour qu'on les éprouve à travers le temps. Ils peuvent même emporter le secret du fond de leur âme jusqu'à l'éternité. On dit bien, muet comme une tombe.