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«L'ETAT» DES MILICES

par M. Saadoune

En Libye, un autre vendredi-samedi avec son lot de morts sur fond de montée d'un fort sentiment anti-milices, d'arrogance de ces dernières souvent islamistes et d'une grande faiblesse du gouvernement. Il y a une semaine déjà, ce sont bien des citoyens qui se sont exprimés car ils ne supportaient plus que la milice «Bouclier de la Libye» régente leur vie. Ils voulaient qu'elle quitte leur ville et ils l'ont obtenu au prix d'une trentaine de morts.

Ce week-end, les choses sont moins claires. Pour les uns, ce sont les miliciens chassés de la ville qui se sont livrés à des attaques pour montrer aux gens de Benghazi qu'ils n'ont pas gagné la partie. Du côté de l'état-major, qui par incapacité à mettre en place une armée régulière, ce sont les anti-milices qui sont incriminés. On attend d'avoir plus d'informations sur ce qui s'est passé réellement à Benghazi et les acteurs de cette nouvelle flambée de violence. Mais au-delà, il est manifeste depuis longtemps pour de nombreux Libyens que devant l'incapacité de ce qui reste d'Etat à mettre au pas les milices, être armé est le seul recours. Que ce soit pour se protéger des exactions des milices et de «l'ordre» qu'elles veulent imposer ou pour exister politiquement.

Les péripéties de ces dernières semaines où des miliciens ont pris à la gorge les institutions élues en organisant l'encerclement de plusieurs ministères ont fini par édifier les moins pessimistes. Ce sont les «armes» qui font la décision en Libye, pas les urnes. Ces milices, souvent marquées islamistes, ont imposé une loi d'exclusion politique à la classe politique «nouvelle» et au gouvernement élu. Manifestement, cette loi n'est pas utile à la Libye, l'exclusion politique pouvant très logiquement être limitée à ceux qui se sont rendus coupables de violences, de détournement et de corruption. Ils existent bel et bien mais tous ceux qui, à un moment ou un autre, ont travaillé pour le compte de ce qui faisait office d'Etat libyen ne sont pas automatiquement des criminels et des voleurs. Cette loi d'exclusion politique imposée par les armes n'a fait qu'indiquer aux Libyens - et singulièrement à ceux qui se retrouvent exclus - qu'on ne peut se faire entendre si on n'est pas organisé en «groupe armé».

Il ne serait pas surprenant dans une forme de paradoxe très libyen que les anti-milices pour se faire entendre choisissent de prendre les armes et de se constituer, à leur tour, en milices. La boucle libyenne sera ainsi bouclée si ce n'est déjà fait. Cela fait des mois que les signaux de la suprématie des armes sur la loi se sont multipliés en Libye avec un discours lénifiant de ce qui fait office de gouvernement. On en a eu une illustration après le carnage de Benghazi où l'état-major de l'armée qualifiait de «force légitime» la milice «Bouclier de la Libye». Une justification de trop pour des Libyens qui passent de l'Etat bizarre de Kadhafi à «l'Etat» des milices et des groupes armés.