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L'agora de la dignité

par Remmas Baghdad *

«L'esprit sommeille dans la brute et c'est pourquoi elle ne connaît que la loi de la force physique. La dignité de l'homme demande l'obéissance à une loi plus haute, à la force de l'esprit.» Mohandas Karamchand Gandhi

La jeunesse «Facebook» et «Twitter» conduit avec une ferme volonté la fronde anti-Moubarek sur «l'esplanade de la résistance» armée d'une maturité politique sans limites et aux antipodes avec le discours redondant politico-religieux des frères musulmans ou celui de partis nationalistes dont l'archaïsme politique outre mesure est dépassé par le contexte égyptien de l'heure. Pris de court par la succession des événements en Egypte, ces formations d'opposants fossilisés se retrouvent à faire du surplace à la place «El Tahrir» ou s'empresser à s'ériger en interlocuteurs privilégiés avec le régime sur des propositions politiques aux contours aléatoires et sans assises. Alors que ce jeune «mouvement du 25 janvier» est conscient que ce replâtrage démocratique concocté intra-muros par un régime dictatorial ne peut augurer des lendemains meilleurs pour le peuple.

La déconcertante insolence politique de cette jeunesse «virtuelle» poursuit une ligne de conduite inébranlable sur ses convictions à contre-courant des volte-face des partis opposants, aux aguets au moindre chuchotement du pouvoir en place. De par son pragmatisme dans les priorités des revendications, ce mouvement du 25 janvier a engendré un revirement dans la stratégie géopolitique de l'Occident et de l'Amérique. Une approche prônée par une jeunesse qui tranche indéniablement avec le discours des caciques du régime et de l'opposition essoufflés par tant d'années de chamailles politico-politiciennes improductives. Ce vent juvénile révolutionnaire qui souffle sur Maidan El tahrir émerveille l'élite, vieux, jeunes, fellahs d'El Said, artisans, banquiers et même les hommes d'affaires. Son discours réaliste à outrance, franc, tolérant, débarrassé de la gangue religieuse immobiliste est inspiré directement de la convivialité, de l'échange, du partage et de l'entraide de ces chaînes humaines tissées depuis tant d'années sur les réseaux sociaux Facebook et twitter. Chaînes humaines qui s'approprient aujourd-'hui en live «la place de la résistance» que ni les agressions des meutes de la canaille du parti au pouvoir, ni les policiers-mercenaires de Moubarak n'ont pu briser.

Le pacifisme inspiré de ce mouvement de contestation a eu raison des hordes de mulets et de chameaux montées par des ramassis soldés et asservis à un régime aux abois. Des images qui ont fait le tour du monde et qui méditent d'une vérité crue : la marque vomissante d'une dictature sans scrupules, ni vergogne face à une jeunesse sure et mature croyant en un idéal et un avenir prometteur et meilleur que celui qu'elle supporte depuis trente années non vraiment il n'y avait pas photo. La force de ce mouvement réside dans sa constituante composée à première vue de gens aisés, adeptes de la toile et forgés aux valeurs universelles véhiculées par les réseaux sociaux. Leur aspiration : la liberté et la dignité du peuple, tout le peuple. Pour ces jeunes, la manière de donner vaut mieux que ce qu'on donne.

Aucune couleur politique ne l'imprègne, ce mouvement invite à un éveil des consciences. La démocratie et le rejet du système symbolisé par l'indéboulonnable Moubarak, sont leurs principales revendications. Pas de leader qui trône, c'est une collégialité dynamique qui dirige le mouvement. Ce dernier aguerri aux démarches de diversion et aux manœuvres biaisées du régime, est arrivé à le décrédibiliser en lui extirpant coup sur coup une fulgurante cascade de concessions. Butins politiques engrangés en un laps d'une quinzaine de jours et que l'opposition, toutes tendances confondues, n'a pu récolter depuis trente ans.

On assiste non seulement à la mise à nu du régime, mais aussi à celle de ces soutiens internationaux. Ces alliés affublés d'une malhonnêteté dramatique et flagrante et dont les revirements s'engrangent à chaque soubresaut de Maidan el Tahrir devenu en la circonstance baromètre de l'hypocrisie de ces chancelleries. On assiste éberlués à des prises de position incongrues et paranoïaques du genre «le changement maintenant !!?» ou «Moubarak est l'unique qui puisse assurer la transition» Affligeantes tergiversations qui dénotent d'un alarmisme démesuré versant en droite ligne dans la protection des frontières d'Israël et des accords signés avec le régime égyptien. Ni les gesticulations frontalières du Sinaï, ni les sabotages de gazoduc, qui entrent inexorablement dans une stratégie de diversion pour desserrer l'emprise interne et la canaliser sur l'épouvantail de la main étrangère ou plus précisément l'agenda de l'étranger, n'affaibliront ce front de résistance de «l'esplanade de la libération». La volonté de vivre digne et libre l'emportera inéluctablement car le compte à rebours du changement est déjà enclenché. Abou el Kacem El Chebbi en visionnaire avéré l'avait prédit il y a plus de soixante dix ans.