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Egypte : the time is now !

par Farouk Zahi

Craignant son impétuosité, les pêcheurs en eaux troubles gardent l'espoir que le torrent se calmera un jour.

Tel est l'oracle sentencieux qu'Obama a livré au journaliste qui l'interrogeait sur la transition politique en Egypte. Plus nuancée, mais néanmoins interventionniste, l'Europe n'est pas en reste, elle compte bien faire entendre sa voix dans le modelage du Grand Moyen Orient, si cher au pays de l'oncle Sam. «Nous voulons un processus démocratique sans délai, mais nous laissons aux Egyptiens le soin de déterminer qui doit le conduire et comment». Merci, quand même, pour le soin que vous laissez aux peuples de disposer d'eux-mêmes ! Voici la déclaration ex cathedra, des chefs d'Etats européens réunis, vendredi 4 février à Bruxelles. Mal inspirée, cette déclaration confiée à M. Nicolas Sarkozy, président de la république française ne fait que conforter la conviction établie que le wagon « Europe » est bien accroché à la locomotive américaine. La déclaration du vieux continent, comme de coutume, intervient quarante huit heures après la prise de position tranchée de la Maison Blanche. L'occident, ce « mauvais élève », selon le bon mot de Giap, continue à dicter ses lignes de conduite aux peuples qu'il a, hier, opprimés. L'autoritarisme du déni, n'est-il pas né dans les antres coloniaux ? Le lamentable échec de la démocratisation par les armes des sociétés afghane et irakienne, a fait prendre conscience à ces puissances néocolonialistes qu'elles peuvent à moindre risque, obtenir plus, en manipulant les insurgés, simulant, grossièrement, de défendre leur cause. Comment, d'ailleurs, peut-on assurer une transition démocratique sans consultation populaire préalable ? Et comment a-t-on fait pour s'accommoder des régimes en place pour découvrir, aujourd'hui, qu'ils ne sont pas dans le standard « iso » ?

 N'est-ce pas M. Sarkozi, lui-même, qui disait en 2007, lors de sa visite d'Etat au Caire : « Je voudrais dire au président Moubarak combien j'apprécie son expérience, sa sagesse et la vision modérée qui est la sienne sur L'Egypte est, pour la France, un partenaire essentiel et le président Moubarak est, pour nous, un ami. (?) J'ai toujours pris mes responsabilités, je soutiens un gouvernement qui lutte contre le terrorisme (?) ». (www.oulala.net). Est-ce à dire que le terrorisme islamiste est définitivement réduit et que M. Moubarak n'est plus dans les grâces de l'Occident ? La profession de foi : « Nous sommes tous américains ! » au lendemain de l'arnaque du 11 septembre a fait long feu par l'invasion de l'Irak qui n'a été qu'une parodie sentant fortement le pétrole et dont les héros furent Bush, Cheney et Rumsfield de sinistre mémoire. Gonflé à l'hélium, l'épouvantail Moubarak était présenté comme l'homme qui a contrecarré les Frères musulmans dans leur velléité « d'iraniser » le monde arabe. La mouvance de Hassan El Banna, n'était elle pas, à la première moitié du siècle dernier, la carte à jouer du Royaume Uni au début et des USA plus tard pour contrer le Bolchevisme et les nationalismes naissants et dont l'Egypte en était le fanion ? Honnis hier, il font soudain l'objet de tolérance ; Obama, lui-même, ne voit aucun inconvénient à ce que les « Frères » participent à la composition du gouvernement de transition s'étant assuré que la translation politique qui assurera la stabilité d'Israël est pratiquement acquise par la « continuité » du régime, même si « le Rais » est sacrifié. Seyant parfaitement aux vœux d'Israël, cette option ou du moins, dans sa forme américaine, ne plait, paradoxalement, pas aux dirigeants hébreux qui se disent outrés du « lâchage » de leur allié. Netanyahu, se dit près à recevoir l'autocrate déchu en cas de destitution violente, il va même jusqu'à avancer : « Le président Moubarak se sentira comme chez lui ! »

 Au faite de sa splendeur, le président égyptien qui ruait dans les brancards quand du bout des lèvres les gouvernants occidentaux, sous la pression des organisations internationales de défense des droits de l'Homme, le rappelaient à la retenue, disait tel un enfant gâté : « Ou c'est moi ou c'est l'Algérie ! ». Tout le monde se faisait au caprice du « Rais ». Il est pour le moins singulier, que le Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis, se réunisse sans discontinuer depuis le début de la crise égyptienne mettant, tous les gouvernements sur les dents et tous les médias à l'écoute du moindre bruissement provenant de White House. Etait-il donc impérieux de prendre les devants en gérant en live « Maydène Ettahrir », cœur palpitant de l'insurrection du 25 janvier ; il y allait de la survie de la Pax americana au Moyen Orient. Mettant en sourdine les bons offices de son ambassadrice au Caire, Washington décide d'envoyer un « sniper » en la personne de Frank G. Wisner au palmarès de diplomate manœuvrier est des plus éloquents. Le site électronique « voltaire.org », vient de publier un brulot intitulé : Frank G Wisner est arrivé au Caire. Révélateur, encore une fois, de l'état d'esprit occidental dans la gestion des crises de par le monde, son contenu est édifiant à plus d'un titre, en voici des extraits :

« Le Conseil de sécurité nationale ne considère pas comme suffisant de préserver les intérêts des Etats-Unis, mais comme indispensable de préserver la paix séparée égypto-israélienne, ce qui implique de choisir les prochains dirigeants du pays. Il a donc fait appel à un ancien ambassadeur en Egypte (1986-91), aujourd'hui à la retraite, Frank G. Wisner, et l'a envoyé d'urgence au Caire où il est arrivé lundi 31 janvier 2011 au soir.

 M. Wisner est le fils de Frank Wisner Sr., co-fondateur de la CIA et du Gladio. Il fut, aux côtés d'Alan Dulles, l'un des pères de la doctrine d'intervention secrète des Etats-Unis : soutenir les démocraties qui font le « bon choix », contrecarrer les peuples qui font le « mauvais ». »

 C'est à travers une autre révélation que l'on appréhende la déliquescence des acquis de la politique gaullienne qui s'est historiquement distanciée de l'hégémonie américaine, lamentablement, dilapidés par une gouvernance française, présentement, arrimée solidairement à la realpolitik étasunienne : « Inconnu des Français, Frank G. Wisner a pourtant joué un grand rôle dans ce pays. Il a épousé Christine de Ganay (seconde épouse de Pal Sarkozy(2) et, à ce titre, a élevé Nicolas Sarkozy dans sa période new-yorkaise.

 C'est lui qui a introduit l'adolescent dans les cercles de la CIA et qui lui a ouvert les portes de la politique française. C'est un de ses enfants, qui fut le porte-parole de la campagne présidentielle de Sarkozy pour les médias anglo-saxons, tandis qu'un autre de ses enfants est devenu un des piliers du Carlyle Group, le fond de placement des Bush et des Ben Laden. Par ailleurs, c'est encore Frank G. Wisner qui a imposé son ami Bernard Kouchner comme ministre français des Affaires étrangères avec pour mission de mobiliser les Etats européens en faveur de l'indépendance du Kosovo. » Fin de citation.

 Crédulisés par une infernale machine médiatique occidentale et des discours de nouveaux prophètes politiques, on se surprend à vouloir aspirer à des jours meilleurs en matière de mobilité, d'expression libre et de droits fondamentaux inspirés du monde dit libre qui n'est en fait que le territoire de prédilection de nébuleuses aussi sordides les unes que les autres. Qui penserait que des personnages que tout, apparemment, oppose tels que Bush, Ben Laden aient un trait d'union en la personne de Wisner. Et que viendraient faire un Sarkozy et un Kouchner dans ce magma politico-financier d'une politique sans frontières si ce n'est leur vocation intrigante. Les secrets des dieux sont, décidément, insondables.