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L'Algérie a déjà payé, et chèrement !

par El Yazid Dib

Que va rapporter la marche du 12 février 2011 ? L'Algérie a déjà lourdement payé son passage vers la démocratie. Nous ne nous sommes pas contentés de marches ou de manifestations. Nous lui avions offert des milliers de morts. La route a été longue, meurtrière et l'est toujours. Voilà qu'une autre jeunesse, outre le travail et le logement, réclame plus de démocratie, plus de liberté, plus d'écoute.

Apres Tunis et le Caire, un nombre important « d'observateurs » parie sur le prochain sort émeutier devant arriver en Algérie. Ils le prédisent dans la trajectoire de l'effervescence insurrectionnelle agitant les boulevards et places-phares des capitales arabes. Le pronostic serait ainsi vrai et possiblement réalisable, si les fondements sociaux de toutes les sociétés étaient identiques. Ni la fibre nationaliste, ni la rigueur de l'histoire, ni les motifs génésiaques, tant des uns que des autres ne se ressemblent.

La facture macabre et les cortèges funéraires

L'Algérie, faudrait-il le dire sans langue de bois ou d'ébène, n'a de leçon à ne recevoir de personne. Où étaient ces pronostiqueurs, tous ces laboratoires d'analyse quant le sang a commencé à couler au début des années 90 ? En ces années là, au moment où le peuple créchait avant le crépuscule, les autres se baignaient qui sur le bord de la Marsa, qui sur les berges du Nil. En ce moment là, l'éclatement des crânes de nos gosses, nos vieux et l'éventrement de nos femmes faisaient l'ouverture des flashs d'info de la Cinq et autres satellites alors balbutiants. L'on ne peut oublier qu'en face de cette terreur, de cette monstrueuse atrocité, les pires commanditaires roulaient la mécanique, en, toute impunité dans les sofas des salons somptueux sis à Londres, Paris ou Washington. Les puissances mondiales de l'époque méconnaissaient les méfaits de ce que nous avions préludé, dans nos chairs, à qualifier de terrorisme. Ils prétendaient qu'il s'agissait là, de mouvement politique ou de manifestations populaires. Le « qui tu qui » finissait le travail de sape pour aboutir dans un cycle diabolique à un isolement entier et hypocrite. L'Algérie se trouvait être l'enfant contagieux, lépreux. A ne plus approcher. Seuls nos mines et gisements, nos bouches et nos hydrocarbures continuaient à nous faire exister sous la forme d'un marché. Dans le corps d'un concitoyen en voyage, l'on décryptait un tueur, l'on y sentait un assassin. A peine prononcé, que le nom de l'Algérie, comme effluve nauséabonde de nos tombes se répandait sur le visage étranger qui vous faisait face. Pour certains, l'on est arrivé aux limites de la dénégation pour se faire passer maladroitement pour un autre, qu'algérien. En ce moment, nous enterions nous même nos morts et couvrions de pleurs nos nécropoles. Si les tunisiens auraient donné pour leur « révolution » 219 morts, les égyptiens 309, et c'est trop et regrettable ; nous c'est 200 000 entre morts et disparus ! Et le compte est toujours ouvert. Qui dit mieux !

Les condoléances à l'époque n'exprimaient qu'un désarroi quotidien et itératif tant le va-et-vient vers les sépultures prenaient un rite habituel. Les cimetières devenaient nos maisons et lieux de travail, tant que nous y étions en permanence. Les ambassades se rétrécissaient et mettaient le peu d'agents consulaires sous très haute protection. En fait, elles n'étaient là que pour transmettre le chiffre des meurtres ou le décompte des carnages commis ci et là. Chaque algérien compte dans sa famille, dans ses proches ou dans son entourage une victime. Nous avions tous pleuré un mort ou plusieurs. La patience, l'endurance et la forte résistance furent nos uniques remèdes locaux. En sommes nous avions vécu seuls notre mal, et avions souffert, esseulés le martyre. C'est grâce, pour nous au 11 septembre que le monde s'apercevait, après coup qu'un monstre innommable courait les monts et les piedmonts. Le terrorisme dans tous ses sens diabolique devint ainsi un fléau international qu'il fallait abattre. C'est pour cela, que nous disons, ils le savent ; que l'Algérie a assez payé.

La gérontologie, la vieillesse et le personnel momifié

Les événements de Tunis et du Caire ne peuvent à vrai dire qu'enthousiasmer à coté d'un rêve difficile toute une jeunesse désemparée. Cette jeunesse à l'égard de qui le pouvoir n'a pu hélas se mettre au diapason de ses doléances, se voit en net décalage avec ce même pouvoir. La gérontologie, la vieillesse et le personnel momifié tiennent en attache la gérance de cette masse juvénile. Le temps des révolutions classiques et légendaires est une inconnue pour cette frange sociale. Leur révolution est une débrouillardise pour le comment arriver à vivre. Diplômé ou chômeur, le jeune reste totalement incompris par ceux qui, sans lui demander, décident de gérer son avenir. Le monde actuel national a été fait et continue de l'être sans eux. Ces jeunes n'arrivent point à s'atteler à de vagues engagements tant répétés par des visages super vus et connus, devenus cauchemardesques, criant à l'emploi ou à la solidarité nationale. Dites leur d'aller voir Louh ou Ould Abbes ! Ils sauront à bonne parole vous répondre. Victimes apparentes et dans leur grande majorité des inégalités sociales qui de jour en jour déchirent l'équilibre des classes, ils requièrent une justice applicable uniformément à tous. Certains fréquentent pour leurs études les universités de prestige, d'autres les abandonnent pour vivre en travaillant le cabas, le trabendo ou la vente à la sauvette. Certains usent à longueur de boulevards et de campus universitaires les pneus de la Q7 de papa quand les autres font le lèche-pare-brises aux carrefours des feux tricolores. Ces lycéens, pris en pauvres otages entre la grève d'enseignants dégoutés et un ministre inamovible et terne n'arrivent pas à suivre un programme au kilo et changeant à l'humeur de cet ennuyeux ministre.

Toute cette jeunesse est donc une production made in l'école algérienne. L'unique alternative qui leur est offerte devant l'échec scolaire répétitif et précoce, demeure principalement le marché informel. A défaut de fugue ou d'immolation.     Les souks sont remplis d'étals précaires, de tentes de fortune, de gardiennage forcé et vulgaire. Les kiosques en tôle ou en petites baraques occupent tous les coins de la ville et des hameaux. La chaussée des routes nationales est jonchée sur ses bords de toute espèce de marchandises. Des fruits et légumes, patates et bananes aux cigarettes et produits de terre cuite. La débrouillardise bat son plein.

La vulgarité, l'incivisme voire la brutalité, que nous condamnons tous, leur devient une réaction de survie et un acte d'arracher son goûter. Ils ne prennent pas en odeur de sainteté les services d'hygiène ceux de la sureté et de gendarmerie avec qui, ils se trouvent continuellement antithétiques. La légalité telle qu'édictée leur est une entrave. Ils voient en leur intervention une censure de vie et une coupure de rezk. Ces jeunes, par contre s'en foutent de la levée d'état d'urgence. Ils ont bien, enfin mal vécu durant toute sa période. Le commandement unifié des forces de sécurité, le secteur opérationnel, les commissions de sécurité, les centres de sureté, les rassemblement ou libertés publiques sont leur dernier souci.

Ce qui importe à leurs yeux ce sont ces agents qui les pourchassent aux angles des rues, ces commerçants patentés qui les haranguent. Ils ne connaissent pas les avantages fiscaux qui à leur sens n'ont enrichi que beaucoup d'opportunistes. Que pensent-ils alors de la politique, des partis, des élections ? Absents sur toute la case, ces citoyens rebelles à une certaine vision sociopolitique, n'aperçoivent que du trompe-œil.

Les partis politiques n'y ont parfois recours que pour coller les affiches ou perturber moyennant de modiques sommes, le trajet électoral d'un adversaire.

L'on n'a jamais vu un nom de chômeur porté en pole position sur une liste électorale. Si au FLN, le mouvement dit de redressement censé insuffler une nouvelle fraicheur est dirigé par un vieillard n'arrivant plus à réguler le débit irrésistible de sa vessie, si dans le corps d'un état major la destinée est entre les mains d'un ancêtre, si dans leur wilaya, leur wali les embauche pour chasser le sachet noir le long des routes en insistant sur la mise d'un gilet phosphorescent et les présente conduisant une brouette neuve à un ministre de la jeunesse coupé de leur voix, si dans une direction de ressources humaines, la ressource en chef est une source desséchée, aride et tarie ; que vont-ils dire ces jeunes ? En qui et quoi vont-ils croire ? En ces prêts bancaires draconiens et jamais remboursés ? Dans ces jouets de transport public Harbin, Chana ou DFM les fainéantisant davantage ? De la vie de la cité, ils n'ignorent cependant pas ce qui se trame en son sein.

Ils sont les premiers à savoir l'augmentation des prix, la rareté d'un produit ou le bon écoulement d'un autre. A défaut de ce militantisme et cet engament politique, « ils » les ont obligé à préférer les fumigènes des stades aux défilés d'un premier novembre ou d'un 8 mai 1945. La grande bleue reste aussi une issue pourtant fatidique et mortelle pour ces centaines de jeunes qui se sont jetés dans de frêles embarcations bravant les vagues, les cotes espagnoles ou italiennes.

La réserve juvénile de la république

Il existe cependant une autre caste de jeunes branchés, lettrés et diplômés. Cette catégorie qui se trouve partiellement un peu partout dans les rouages de l'Etat, administrations et entreprises publiques fait fonction de nègre. En leur oppose à chaque fois, leur inexpérience, leur tiédeur ou leur candeur. La promotion éventuelle ne leur est qu'un rangement dans l'obséquiosité presque religieuse du chef sectoriel. Ainsi la fuite vers l'ailleurs, l'étranger est devenu un exil forcé. Là bas, ils pensent y trouver un rang apprécié et conforme à leur compétence. Au moins, s'estimeraient-ils heureux et libres. Si dans certains cercles d'autorité, la fonction supérieure n'a comme élément de sélection que l'appartenance régionale, ould bled ou ould flen, que diront ces jeunes cadres parqués dans la réserve de la république ?

 Donc, que faire ? Cette marche du 12 février, ou autres futures car portant sur des revendications politiques hautement légitimes, ne semble pas empiler cette jeunesse dans son volet le plus politicien. Ils pourront y être autrement et pour autre chose. Gueuler, se défouler et essayer de se faire entendre. Récupérées tactiquement, leurs actions sociales sans apparence politique pourraient toutefois faire une véritable révolution. À contrario justement de la jeunesse tunisienne ou égyptienne, les algériens ne s'attendent pas à un déni de parole. Ni faire face à des matraques ou bombes lacrymogènes. Surtout à ne pas voir leur « révolution-bis » être prise en charge par des partis, « société civile » ou « commissions » « coordination » tous improductifs, en désaccord et atteints de divergence. Il faudrait seulement leur tendre une oreille attentive dès à présent. Il n'est jamais trop tard. Alors pourquoi ne pas, desserrer l'étau d'un seul coup et offrir une transition de pouvoirs sereine et tranquille ? C'est aussi simple pour tous. Mais dur et insoutenable pour les « tenants du pouvoir ». A voir ce qui se passe et ce qui en toute évidence arrivera un jour chez nous, il est recommandé que l'on assiste au passage de ce flambeau qui a brulé toutes les mains neuves qui tentent de s'y approcher. L'avenir national appartient aux jeunes. C'est à eux et eux seuls qu'échoira le rôle de tracer la destinée, voire la leur, du pays vers des horizons plus cléments et pleins d'espoir et de bonheur. Laissons-les faire leur avenir.

L'honneur bafoué des présidents: partir n'est pas mourir

Benali son sort est scellé. Le pauvre, il serait entrain de faire, avec Elhadja Leila des Omras itératives. Ces cheveux auraient redécouvert naturellement leur blancheur par défaut de teinturier à domicile. Pensez-vous que, s'il le savait ainsi, il ne serait pas parti avant le 15 janvier ? Il aurait même synthétisé ses multiples concessions successives en un seul mot : « merci, je vous ai compris, je démissionne. » il serait en ce jour, loin des affres de l'exil, mais tous prés d'un brin de jasmin sur la cote de Sousse, sa ville natale. Epargnant de ce fait, la fawdha, et l'instabilité continue qui ébranlent son pays. Lequel n'en sortira pas de si tôt. Chadli et Zeroual l'ont fait différemment. Pour le Rais égyptien, ayant peur de sortir par la petite porte, lui qui a donné beaucoup à l'Egypte, résiste encore et s'agite pour continuer son mandat. Dans l'espoir que cette courte période allait lui permettre de redorer la fin de son règne. Mais l'on ne peut corriger en six mois une erreur qui a duré trente ans.

 Qu'il soit ainsi. Mais quel crédit aura-t-il après septembre (fin de son mandat), s'il se maintient par la force, les Etat unis et le sang ? L'histoire qui commence à s'écrire dira qu'il a été chassé, injurié, offensé, hué. Que son honneur d'homme et de général a été affreusement bafoué. Que sa famille honnie a volé le peuple. Ses petits-fils vivront, les pauvres comme des minables fils de harki. Ils n'oseront afficher notoirement leur patronyme Moubarak. La « place de Tahrir » résonnera toujours aux sons de « irhal » « tu es Aar (la honte) de Misr » « yaskot erraiss »? alors mon vieux ?

Je dirai enfin que pour un président, général, ministre ou autre chef ; partir courant ou avant terme n'est pas un acte de fuyard. Il ne peut être qu'une réflexion sage et paisible. Car il provient d'une analyse qui anticipe les évènements. Surtout si ceux-ci sont impérieux et tenaces. Une bonne entrée donc dans l'histoire, avec un siège éternellement confortable est sujette à la nature de sortie du pouvoir. C'est cette dernière qui validera l'immortalité ou l'insanité. Car partir dans un choix réfléchi et voulu n'est pas mourir. C'est une raison ou personnelle ou d'Etat. La postérité saura reconnaitre les siens. Les autres également.

L'agenda des actions politiques d'appui à la démocratie

 Chez nous ; si la décantation immédiate n'est pas dans le départ de Bouteflika, nullement d'ailleurs suscité ; le changement de régime, la rupture de la continuité et le remodelage radical du pouvoir politique est à exécuter aussitôt. Rapidement. Il est grandement salutaire pour la nation que le président arrive paisiblement à l'échéance de son mandat. Il ne peut sans ça, donner l'occasion à ces millions de jeunes de lui réserver un sort funeste, lui qui a marqué aléatoirement les annales de la postérité nationale. L'histoire saura consigner, durant ce qui lui reste comme temps ; s'il allait ou non sauver son peuple de ce marasme généralisé, de cette traitre immobilisation gouvernementale. Pour ce faire, l'urgence après les promesses, est celle de passer aux décisions. Non pas, celles régulant les prix, suspendant le retrait de permis, ajournant la destruction de l'habitat précaire ou créant virtuellement du travail; mais celles qui ont un rapport direct avec la vie politique du pays. Le temps imparti d'ici à la prochaine présidentielle (avril 2014) est largement suffisamment pour mener à bien des actions d'envergure démocratique. Un agenda précis est à élaborer pour être respecté et suivi de près par la rue, les jeunes et les autres. Agréer les partis bannis jusqu'à présent, à l'exception du FIS et ses acolytes, les associer à la révision des lois fondamentales (constitution, loi électorale, codes de la wilaya et communes), nomination d'un gouvernement apolitique et non partisan, sans fil à la patte, ni bornes présidentielles ou sous spectre de forces occultes, élections législatives anticipées.

 Le président n'a pas à le faire par annonces successives et réparties dans le temps, croyant ainsi gagner du temps. Le peuple sait attendre. D'un seul coup, il peut regagner la confiance ébréchée, due à l'exercice d'un pouvoir inefficace et éloigné des aspirations populaires. Ainsi ce que l'on appellerait « L'agenda des actions politiques d'appui à la démocratie » sera souscrit et corroboré, loin des icones conspuées du pouvoir (UGTA, autres unions, partillons, société civile) mais par l'ensemble des acteurs politiques réels, personnalités, intellectuels et représentation légitime. Il peut faire, cet agenda concordataire l'objet d'une annonce globale et solennelle.

 Sans chantage, ni péril, ni menace ou encore de pression ; la nation, le président, les partis, le citoyen auront toute la latitude, une fois ainsi réhabilités ; de montrer aux autres que l'Algérie, est bel et bien un cas unique et encore « spécifique ». L'Algérie, faudrait-il le dire sans langue de bois ou d'ébène, n'a de leçon à ne recevoir de personne. Eh oui ; c'est l'algérianité grégaire de votre serviteur qui se dénude.one, two, three et free, viva l'Algérie.