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Coup de gueule : de quelle prévention sanitaire s'agit-il ?

par Mohamed Mebtoul*

Le discours rhétorique sur la prévention se transforme parfois en dogmes qui occultent la réalité sociosanitaire complexe vécue par les patients qu'il s'agit au préalable de comprendre et de décrypter avant de greffer des normes médicales et diététiques. Qui ne connaît pas aujourd'hui l'importance du régime alimentaire ou de l'activité sportive ou du suivi scrupuleux du traitement ? La pratique quotidienne de la prévention consiste à reproduire à l'identique ces normes dans une société identifiée rapidement et faussement à une cruche vide qu'il s'agit de remplir de connaissances et d'attitudes dont seuls les professionnels de santé auraient le monopole. On oublie pourtant que les premiers actes de santé et de prévention sont assurés par la mère dans l'espace familial (laver son enfant, le protéger contre le froid, le veiller, etc.).

Comment rester silencieux quand le discours sur la prévention devient unique et standardisé pour toutes et pour tous, comme si les patients dans leur diversité et leur complexité, disparaissaient, pour ne faire émerger que la pathologie en soi ? On prône une idéologie de la prévention immuable, universelle et mécanique, parce qu'il faut que les personnes soient plus «sages», plus «disciplinées» et surtout qu'elles n'oublient pas qu'on veut leur «bien» mais sans jamais leur demander leurs contraintes et leurs attentes, leur façon de penser leur mal dans leur vie quotidienne, faisant fi de leur langage et des métaphores utilisées pour objectiver leurs symptômes.

Nous avons pu constater durant ces vingt ans d'investissement sur le terrain, le peu d'engouement pour une prévention adaptée, respectueuse et scrupuleuse de «l'autre», mais surtout qui se construit avec la personne et sa singularité. A contrario, la prévention se transforme en une vérité unique et parfois silencieuse, devenant une simple gesticulation sans mots. Les consultations de contrôle se limitent à une remise rapide et mécanique d'une ordonnance qui permet aux patients chroniques d'acquérir les médicaments. Nous étions souvent conduits à noter cette observation : «Le médecin remplit et remet en silence l'ordonnance au patient».

Quand on parle de prévention, il semble que la prudence doit être de mise, car elle est faiblement ancrée dans nos différentes structures de soins qui y consacrent en réalité peu de moyens. La prévention ne peut pas se réduire à réciter unilatéralement le discours médical aux familles et aux patients, loin d'être passifs, sont au contraire porteurs de représentations sociales, d'interprétations et de savoirs d'expériences sur leur propre souffrance. Une prévention sans prise en compte de la parole de «l'autre», de ses perceptions et de ses contraintes sociales, à l'égard du mal, n'aura en réalité aucune efficacité pratique ou symbolique.

Les logiques de la dramatisation, de la culpabilisation ou de la peur déployées par certains professionnels de santé face aux risques liés aux maladies chroniques, peuvent aussi produire des effets contraires à ceux qui sont souhaités. Combien d'aliments sont continuellement imposés ou proposés par les praticiens de la santé, sans qu'ils se traduisent par une application stricte auprès de beaucoup de patients. «Je continuerai à manger tel ou tel aliment, mais si je sais qu'il y a des risques sur ma santé», disent-ils. Le médecin tente de rationaliser le comportement du patient chronique, alors que la question de l'éducation pour la santé doit être nécessairement repensée à partir des déterminants sociaux et psychologiques des différentes conduites ayant une influence sur la santé.

L'alimentation est indissociable des habitudes fortement incorporées dans l'histoire des familles, sans oublier l'importance de la construction sociale du plaisir, du goût de tel ou tel plat qui dépassent la stricte norme diététique. En outre, la médecine est impuissante, à elle seule, à donner sens aux «bonnes pratiques» que ce soient celles de l'hygiène ou de l'alimentation face à l'hégémonie d'un environnement qui opère comme un acteur collectif destructeur, mettant à nu ses multiples dérives : saleté, pénurie d'eau, absence de toute sécurisation sanitaire et alimentaire, production quotidienne d'un stress qui recouvre une dimension sociologique et politique indéniable.

Voila pourquoi, il est important de retravailler dans une optique plus sociale et collective, la notion de prévention, en remettant sérieusement en question la responsabilité individuelle face à la maladie. Le sociologue, comme les malades qu'il observe, sait que la cause de leur mal n'est pas toute entière en eux.

*Sociologue, directeur du laboratoire de recherche en anthropologie de la santé (Université d'Oran).