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![]() ![]() ![]() ![]() Partir ou rester ? Rester ou partir ? Rester pour ne plus
partir. Partir pour ne plus rester. C'est l'éternelle ritournelle du migrant,
du déraciné. Le plus drôle et le plus dramatique à la fois, c'est lorsqu'on ne
part ni on ne reste. La valise est quelque part dans la tête, mais le cœur n'y
est plus. On se cherche dans la brume; la brume des
incertitudes; les embruns de la nostalgie. Cela devient particulièrement vrai
quand, à l'intérieur de nous-mêmes, on ne sait pas ce que l'on veut au juste :
partir ou rester, rester ou partir ? La déchirure devient intime et creuse dans
nos tripes une béance qu'il est difficile de combler sans que l'on remue le
couteau dans nos blessures. Pleurer sa terre, c'est comme pleurer sa mère, la
nuance, si tant est qu'il en existe une, est si ténue qu'elle nous ramène à nos
faiblesses d'humains. Car, si la mère est l'auteure de nos jours, la terre mère
c'est l'auteure de nos rêves. Et c'est cette fondamentale alchimie, à nulle
autre pareille, qui nous rend «forcément» orphelins, surtout quand on les perd,
la mère et la terre mère s'entend. Etre orphelin, ce n'est pas finalement une
question d'âge, mais de conscience. Etre conscient qu'on a perdu un ami, un
être cher, un parent, une mère ou une terre, rend malheureux. C'est autrement
plus douloureux que n'importe quelle sensation provoquée par une faillite ou un
échec quelconque. Perdre, sans aucune possibilité de récupérer ni de rembourser
ce que l'on a perdu n'est pas une sinécure. Cette perte, outre qu'elle est
cruelle, nous plonge dans l'angoisse. L'angoisse de rester seul, face au vide
existentiel, face au précipice, face à soi. Plus aucune chance de se revoir, ni
de se serrer la main, ni de se croiser, ni de se regarder, comme autrefois, au
temps bénit de la joie. C'est un adieu non choisi, sans protocoles ni consignes
particulières. J'aime quand d'aucuns me parlent de la chance, c'est-à-dire la
chance d'avoir beaucoup de sous, de diplômes, de connaissances, alors qu'il me
semble que rien n'égale dans la bourse de la conscience le fait d'avoir cette
opportunité d'être chanceux, mais d'une autre manière. De consommer son temps
sans trop porter le fardeau de la vie sur ses épaules, d'être libéré, sans
contrepartie, des ondes négatives, d'être dans son élément, tel un poisson qui
nage dans la mer, d'être, et c'est là l'essentiel, utile pour sa société.
L'osmose, ou plutôt la paix morale, c'est de ne pas se sentir être en trop là
où l'on vit, c'est de ne pas avoir de frontières dans sa tête, d'être libre dans
son esprit, dans son existence. Partir ou rester, rester ou partir, n'a alors
plus aucun sens. Cela devient d'autant plus une question marginale qu'on se
rend compte, peut-être à nos dépens, que la plus grande chance de la vie, c'est
d'être encore en vie...
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