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Mémoire chaude et vivante

par Mustapha Aggoun

Ces souvenirs-là ne se transmettent pas dans juste par la froideur des livres, mais dans l'intimité du foyer, dans les éclats de voix d'une mémoire qui refuse de se taire.

Il y a, dans le silence fragile d'une salle de classe, dans les regards perdus qui se posent sur une vieille photographie jaunie, dans ces récits murmurés d'un grand-père qu'on n'avait jamais entendu raconter ainsi, quelque chose de puissant, de viscéral, qui résiste à l'effacement du temps. Ce quelque chose, c'est la mémoire. Pas celle des livres d'histoire, ni celle que l'on voit figée lors des commémorations officielles. Non, celle-ci est différente. C'est une mémoire chaude, vivante, intime. Parfois éclatée, souvent entrecoupée de silences lourds, mais toujours vibrante, palpitante. Une mémoire qui ne se perd pas, qui traverse les âges, parce qu'elle trouve à chaque génération des âmes prêtes à l'écouter, des cœurs prêts à l'accueillir et des voix prêtes à la porter, pour qu'elle ne meure jamais. Le 8 Mai 1945, bien que marqué par l'éloignement du temps, ne se laisse pas oublier. Ce n'est pas juste une date gravée dans les archives. Ce jour-là est un cri qui traverse l'histoire, un cri longtemps étouffé, une souffrance qui s'élève du fond des âmes meurtries et qui, malgré les années, continue de vibrer, de faire écho dans le présent. Ce n'est pas seulement une date, c'est une douleur partagée, un souffle collectif, une mémoire brûlante que l'on n'ose effacer. C'est comme un écho lointain, que la mémoire du peuple refuse de laisser s'éteindre.

Dans les foyers algériens, spécialement à Sétif, à Guelma, à Kherrata..., le 8 Mai 1945 est bien plus qu'un souvenir. C'est un héritage vivant, gravé dans les âmes, tissé dans les vies. Les jeunes grandissent dans l'ombre de ces noms, ces visages qui leur échappent mais les hantent tout de même. Un oncle disparu dans la brume de la répression, un père revenu, mais marqué à jamais, un grand-père fusillé sans sépulture. Ces noms, ces fantômes du passé, ne sont pas seulement des mots, ils sont des présences invisibles, des souffles qui flottent dans l'air, des souvenirs murmures dans le secret des nuits. Ils sont là, dans les yeux des mères qui racontent sans fin... ne pas oublier. Ces souvenirs-là ne se transmettent pas dans juste par la froideur des livres, mais dans l'intimité du foyer, dans les éclats de voix d'une mémoire qui refuse de se taire.

C'est là, dans ces récits, que la mémoire prend toute sa force. Elle n'est pas un fardeau. Elle est un héritage. Elle n'est pas un poids. Elle est un levier. La mémoire du 8 Mai 1945, loin d'être une ombre du passé, est un phare qui éclaire le présent. C'est une flamme que l'on se passe de génération en génération, qui ne se consume pas, mais s'intensifie, se nourrissant des témoignages et des silences qui l'entourent. C'est une flamme qui brûle dans les cœurs des jeunes, qui leur parle de ce qui a été perdu, mais aussi de ce qui peut encore être gagné.

Au-delà des murs des écoles, où les manuels d'histoire ne peuvent rendre toute la grandeur et toute la souffrance de cet événement, la mémoire du 8 Mai s'épanouit ailleurs. Elle se nourrit des voix des jeunes artistes, des poètes, des créateurs qui réinventent l'histoire. À travers les écrits, à travers l'art, ils font revivre cette mémoire, la sculptent, la façonnent, la rendent plus vivante encore. Ils transforment la douleur en art, la souffrance en poésie, le passé en création contemporaine. Leur voix, leurs rythmes, leurs vers, sont des témoins du 8 Mai 1945, mais aussi des messagers qui propagent cette mémoire à travers le monde moderne, dans le bruit et la fureur des réseaux sociaux, dans l'instantanéité du partage. Leurs mots, leurs images, leurs vidéos ne sont pas de simples réminiscences : elles sont des révoltes, des appels à la justice, des manifestations vibrantes de l'identité algérienne, une identité construite sur les fondations de la souffrance, mais aussi de la résistance.

Les jeunes, à travers leurs créations, redonnent vie à cette mémoire, là où les archives n'ont pas su atteindre. À travers leurs écrits, leurs morceaux, ils s'imprègnent de cette mémoire, l'adaptent à leur époque, et en font un cri qui résonne dans les rues d'Alger, de Sétif, de Constantine. Les réseaux sociaux, ces espaces d'expression infinie, sont devenus des antres de mémoire vivante, où chaque publication, chaque hashtag, chaque vidéo devient un acte de résistance, un acte de mémoire collective. Ces jeunes n'écrivent pas seulement l'histoire, ils la réécrivent, ils la vivifient. Ils lui donnent une voix, une forme, une présence nouvelle, afin qu'elle ne soit pas seulement l'ombre d'un passé lointain, mais une partie vivante du présent.

Ce travail de mémoire n'est pas que rétrospectif. Il est anticipation, il est engagement. À travers leurs voix, leurs mains, leurs cœurs, les jeunes artistes et militants transmettent aux générations futures l'urgence de ne jamais oublier. Leur lutte pour faire revivre le 8 Mai, c'est aussi une lutte pour redéfinir l'avenir. Car cette mémoire ne s'arrête pas au passé. Elle est une force motrice, une énergie qui pousse à l'action, à la transformation, à la révolte contre l'injustice qui perdure. Elle appelle, elle incite, elle souffle dans les consciences qu'il est toujours temps de changer le cours des choses.

Ainsi, la mémoire du 8 Mai 1945, loin d'être une relique du passé, est une flamme qui brûle encore aujourd'hui, vive, brûlante, irrésistible. Elle se transmet de génération en génération, se déploie dans les silences et les bruits, dans les regards et dans les créations. Elle se nourrit du présent, elle se réinvente, elle trouve de nouveaux visages, de nouvelles voix. Elle ne s'éteindra jamais, tant qu'il y aura des jeunes pour en être les gardiens, les témoins, et les porteurs.