
La mort de
Djamel Bensmail devrait être célébrée en Algérie
comme le jour de la communion et de l'espérance. Le jeune Djamel fut un artiste
dans l'âme, un amoureux de la vie, un modèle de vivre-ensemble par excellence
qui s'est donné pour mission la propagation des semences de l'amour et de
l'espérance. Aux plus sombres journées de la Kabylie, le fils de Miliana a
couru au secours de ses compatriotes encerclés de tous les côtés par les
incendies. Mais la main de la traîtrise l'a fauché, provoquant une des pires
polémiques de l'Algérie contemporaine. Je ne sais pas pourquoi je vois une
saisissante similitude entre feu Président Boudiaf et lui. Les deux ont pris le
risque d'aller sauver ce qui pourrait encore l'être d'un pays au bord du
gouffre, les deux ont pris l'initiative de ressouder les rangs d'un peuple en
butte aux feux de la discorde, les deux ont payé de leur vie, leur amour
inconditionnel pour une Algérie fraternelle, unie et résistante. Comme le
militant indépendantiste Mohamed Boudiaf, Djamel est un martyr de la cause
nationale. Un martyr qui nous rappellera pour l'éternité les centaines de
victimes ayant péri l'été 2021 dans les flammes de la Kabylie, un
martyr-symbole d'une fraternité en lutte pour sa survie, un martyr qui nous
rappellera non seulement nos blessures béantes, nos cris étouffés, nos morts
arrachés aux leurs dans la douleur, mais aussi et surtout cet élan de
solidarité ayant resurgi des tréfonds de la patrie, au lendemain de
l'assassinat de l'artiste mélomane à Larbâa Nath Irathen. Tel père, tel fils,
dit-on. Un adage qui a trouvé sa plus parfaite illustration dans l'attitude « bravissime» de Noureddine Bensmail,
le père-courage de la victime, lequel a fait montre d'un énorme don de sagesse,
de lucidité et de fraternité, en évitant au pays la rechute dans le cycle
infernal de la violence fratricide. « Nous sommes tous la Kabylie, nous sommes
tous Djamel Bensmail», s'écrient des centaines
d'internautes qui ont pris conscience des dérives pathogènes et suicidaires du
discours haineux véhiculé par les marchands des rancœurs sur le Net.
Et à
l'attitude du père s'est jointe comme par une réelle contagion de pardon et de
tolérance, la prise de position honorable des sages de Larbâa
Nath Irathen qui ont su
déjouer les manœuvres des saboteurs, en désamorçant une bombe à retardement
susceptible de faire entrer l'Algérie dans le cyclone d'une guerre sans fin.
Tous les Algériens ont crié d'une seule voix : non à la hiérarchie des émotions
et des amours, les martyrs des incendies de la Kabylie ne sauraient voiler le
meurtre sauvage de Djamel Bensmail et l'assassinat de
ce dernier ne devrait pas nous faire perdre de vue les dégâts humains et
matériels causés à la Kabylie, théâtre d'un drame estival indélébilement
inscrit dans la pellicule de notre mémoire collective. Une mémoire, la nôtre,
qui est appelée à être exclusivement inclusive. Ce serait, sans doute, le début
de notre salut, à nous tous.