
Si la
tournée littéraire de Yasmina Khadra en Algérie a été
un total succès, c'est parce que l'écrivain de renommée internationale aurait
réussi à casser un tabou : la littérature ne devrait jamais être l'apanage des
salons feutrés, mais doit « squatter », sinon conquérir le terrain social.
L'écrivain doit renouer avec les siens, s'ancrer dans sa société, ressentir ses
pulsations, ses joies, ses douleurs et ses coups de gueule.
Pour cela,
aucune autre solution n'est possible sauf celle de lui parler. Parler aux
siens, échanger et polémiquer avec eux, ausculter ce corps malade qu'est
l'Algérie, lui proposer les soins qu'il faut et dessiner à l'unisson les
contours de l'avenir en commun. L'intervention de l'imam d'Ath Yenni et ce qu'elle a soulevé comme commentaires dans les
réseaux sociaux est un signe d'espoir pour un pays qui survit, qui résiste, qui
lit, qui réagit, qui s'accroche à son salut, malgré l'impasse qui lui pèse sur la
tête. Elle démontre que l'Agora de la cité est encore vivante, non seulement
comme espace ouvert à la lecture, au dialogue et au débat contradictoire, mais
aussi au vivre-ensemble et à la communion de toutes les voix, sans exclusion.
En vérité, Khadra a été partout accueilli par des
foules de femmes, de jeunes, de vieux, d'amis du livre, d'associations,
d'éditeurs, comme un des leurs. Ce bain de foule littéraire est, on ne peut
plus, la preuve de la vitalité de notre société, sa soif du savoir, la lecture
et la culture. C'est un message fort aux décideurs pour l'exigence de
l'ouverture du pays sur le monde, l'altérité et la diversité, par ces temps de
doute et de crispations identitaires. Indépendamment des critiques que d'aucuns
peuvent porter sur les œuvres et les déclarations de Y. Khadra,
il n'en reste pas moins que ce dernier a marqué un point, un point très positif
: il a su fédérer des foules de gens autour de l'idée de la culture. Il a fait
parler les siens et suscité leur curiosité ; il a apporté une autre vision du
monde ; il a provoqué des polémiques utiles ; il a libéré la parole en la
partageant avec son public. Un pari d'autant plus crucial et complexe que, ces
dernières années, la sécheresse culturelle des espaces d'expression et de
création, enfonce l'Algérie dans une longue léthargie.