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Une question d'Etat de droit

par Abdelkrim Zerzouri

L'ampleur du phénomène de l'inexécution des décisions de justice n'a été quantifiée, par aucune partie, jusque-là, mais pour que le président de la République en fasse un axe dans son discours à l'ouverture de l'année judiciaire, cela donne toutes les raisons de s'en inquiéter. Qualifiant d'illogique cet état de fait, dans la mesure où l'exécution de la chose jugée est la consécration par excellence de l'Etat de droit, Abdelmadjid Tebboune a touché du doigt le mal quand il a souligné la nécessité pour tout un chacun, sans exception et qu'importe sa position au sein de l'Etat, de respecter les décisions de la justice et de veiller à leur exécution. Plus explicite, il affirme que le phénomène était monnaie courante au sein de certaines institutions de l'Etat, économiques ou administratives, où «la décision du juge n'était pas respectée».

De toute évidence, on ne peut imaginer que l'exécution d'une décision puisse rencontrer des entraves quand il s'agit de justiciables ordinaires, même quand cela aboutit à des situations dramatiques, à l'exemple des expulsions des logements sans que l'expulsé n'ait un toit où mettre à l'abri sa famille, ou quand ces mêmes institutions de l'Etat font exécuter un jugement rendu en leur faveur. L'exécution d'une décision de justice rencontre des obstacles quand la partie condamnée est investie de pouvoirs publics, qui se croit en position de se dresser contre le pouvoir judiciaire.  

L'huissier de justice ne peut, dans ces cas, que dresser un procès-verbal de non-exécution, le remettre au justiciable et informer les autorités judiciaires, le procureur de la République, à ce propos. Tout peut stagner à ce niveau qui transforme une décision de justice en lettre morte, et mettre à mal la crédibilité de la justice. Que peut faire un huissier de justice quand il ne peut disposer de la force publique contre la force publique ? C'est l'Etat de droit qui en subit un sérieux revers. Ainsi que l'indépendance de la justice. Parce que dans un Etat de droit et à l'ombre d'une justice indépendante, personne ne peut défier la décision exécutoire d'un juge, voire de la souveraineté du Peuple, au nom duquel sont rendues toutes les décisions de justice, comme le fera remarquer le chef de l'Etat. Peut-on s'attendre, après cette intervention du premier magistrat du pays, à ce que les choses aillent pour le mieux sur ce registre ? Et le législateur, n'a-t-il pas pensé à mettre en place des accommodements dans le cas de l'inexécution des décisions de justice ? Certainement que le médiateur de la République trouverait matière à intervenir, et à informer le président de la République quand lui-même n'arrive pas à aller au bout de la logique. En tout cas, la question est d'une sensibilité extrême pour qu'on la laisse entre les mains du bon vouloir d'une autorité ou une autre. Il peut exister ce que les juristes appellent les incidents d'exécution d'une décision de justice, bien définis par la loi, avec ce qu'il y a lieu de faire dans pareille situation, pour que le jugement ne reste jamais lettre morte. A ne pas confondre avec le refus délibéré de ne pas exécuter une décision de justice par l'administration ou une entreprise économique publique.