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RÉVOLUTIONS ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Algérie. La seconde révolution. Essai de Sanhadja Akrouf et Patrick Farbiaz. Koukou Editions, Alger 2021, 265 pages, 800 dinars



On a déjà eu beaucoup d'ouvrages sur Hirak et bien d'autres sont annoncés ou en cours d'édition. Bien plus que ce qui avait été produit sur les événements d'Octobre 88 et la «décennie rouge», lesquels, à mon avis, ont joué un rôle effectivement révolutionnaire en ce sens qu'ils ont entraîné assez rapidement le basculement d'un système politique monopartisan (dominé par le parti unique, le Fln, durant près de trois décennies) à celui d'un système pluripartisan.

Peut-être pas assez (ou trop lentement) démocratique et républicain, en raison des menaces radicales, surtout islamistes et culturalistes.

Cela est dû, certainement, à la présence, en dehors des frontières d'une diaspora se sentant pleinement concernée par le présent et le devenir politique du pays.

C'est ce que nous avons comme ouvrage. Bien écrit, en un style franc, clair (pour les lecteurs acquis à la cause !), et direct, tout en présentant des analyses de situations générales («Les racines de la seconde révolution» avec son incontournable sujet sur la «Sécurité militaire»), et particulières : «Les stades de foot, les «vendredires», la «bataille des casseroles» (à noter, ici, qu'au début des années 60, l'utilisation des casserole a été le fait des «pieds noirs» et des ultras et non des «indigènes»), les «gilets oranges», les hymnes du Hirak, les marches des étudiants...) . Un véritable rapport !

Les Auteurs : Sanhadja Akrouf est originaire de Bordj Bou Arréridj, féministe de gauche connue dans les milieux militants en Algérie et en France où elle y vit depuis 1992. Parmi les principaux animateurs du Hirak dans la diaspora en France (à travers l'Acda, constituée en janvier 2011).

-Patrick Farbiaz, né à Paris (années 50).Militant de gauche, engagé dans le»soutien aux peuples en lutte pour leurs droits et contre le racism».

Table des matières : Première partie. En guise d'introduction, dont les «itinéraires» des auteurs / Deuxième partie : Naissance d'une révolution/ Troisième partie : Le soulèvement d'une société /Conclusion : Chronologie politique du Hirak

Extraits : «Sous Bouteflika, la corruption qui était la norme des puissants s'étend désormais à toute la société. La force du système réside dans la prévarication généralisée, du sommet de l'Etat jusqu'au petit fonctionnaire...» (p34), «Le monde du travail, en tant que collectif est donc relativement absent du Hirak, dans sa première phase (...). Même si, individuellement, les travailleurs marchent le vendredi, l'expression collective ouvrière est absente» (p 128), «La France compte 2 millions de Franco-Algériens. Plus de 800.000 «émigrés» dont 400.000 «bi-nationaux» sont inscrits sur les listes électorales (...). La diaspora concerne des cadres et des intellectuels qui sont arrivés dans les années 1990, durant la «décennie noire», soit environ 100.000 à 200.000 personnes (...).Celle de Paris est plus aisée ou très diplômée, ce qui lui permet de travailler. Elle est aussi plus politisée» (p 185)

Avis : Un dossier documentaire, sur le hirak, ses causes et son évolution, bien plus qu'un essai. Des analyses certes (toutes très orientées) accompagnées de textes et de documents.Peut-être un peu trop, ce qui éloigne de l'essentiel.

Citations : «On ne réussit pas parce qu'on s'accroche ; on réussit parce que le téléphone décroche» (p13), «Le Hirak est né sur les gradins des stades de football» (p 45), «L'Algérie, depuis la guerre d'indépendance a une tradition bien ancrée :celle de la répression d'Etat» (p 163), «Aujourd'hui, la rue d'Alger donne envie à tous» (p 186)



Le coup d'éclat : De la naissance du Fis aux législatives avortées de 1991 (Préface de Mustapha Hammouche). Essai de Amer Ouali. Editions Frantz Fanon, Boumerdès, 2021, 279 pages, 800 dinars



Comment a été créé (et par qui a-t-il été agréé«.alors que la loi du 5 juillet 1989 sur les Acp interdisait expressement la création de partis sur une base exclusivement confessionnelle. Kasdi Merbah, Belkaid et Belkheir ? Chadli écoutant Mehri ?) le Fis ? Ses objectifs (avoués et déclarés et/ou cachés)? Les voies et moyens de leur mise en œuvre ? La violence, option tactique ou ligne stratégique ? Ses dirigeants... et leur vision de la responsabilité politique ? Leurs points de convergence et de divergence ? La paix civile menacée et la pérennité de l'Etat algérien en danger ? Chadli Bendjedid et sa démission ? La dissolution du Fis ? Le terrorisme islamiste ? etc...Une foule de questions auxquelles le journaliste de terrain tente de répondre, ou au moins d'apporter, grâce aux faits collectés (avec le souci d'exactitude et la presque complétude qui font le bon journaliste d'agence) les éléments d'analyse et d'appréciation des situations. Pas facile tant il est vrai que faire de la politologie en Algérie, hier (et aujourd'hui aussi) relève du travail d'Hercule.

Heureusement pour lui, le Fis n'est pas, comme pour beaucoup d'autres observateurs sociaux, dont les envoyés spéciaux de la presse étrangère ou les experts reconnus ou autoproclamés, un «sujet exotique» ou une matière abstraite. Il a connu ses militants de près «déjà lorsqu'il n'était qu'enseignant (dans un lycée de la petite ville de Bordj Menaiel) et que collaborateur de journaux nationaux, il a vu nombre de ses élèves (et des collègues) se «métamorphoser» au fur et à mesure que le Fis prenait racine et étendait son influence«il fera aussi partie, par la suite, de la liste des journalistes «condamnés» à être tués et il écrira, parallèlement, sous pseudonyme dans «Liberté».

L'Auteur : Né à Ait-Saada (Tizi Ouzou) en 1961. Journaliste à Algérie Actualités, Parcours Maghrébins puis à l'Afp (dont directeur du bureau d'Alger de 2014 à 2017 après en avoir été un des correspondants de mai 1991 à 2002). A couvert la guerre en Irak en 2004 et en Syrie en 2012. Auteur notamment de «Idir l'éternel» (Koukou éditions, 2020) co-signé avec Said Kaced (ouvrage déjà présenté in Mediatic)

Table des matières : Préface/Le golem/ «La désobéissance civile» / «Ordre de combat»/ Premiers maquisards/ «Un nouveau typhon» /Les «Afghans» attaquent/ Un raz-de- marée/ Le coup d'éclat/ Le Fis échoue à mobiliser la rue / Prêts pour la clandestinité/ Du verbe au fusil/ La tragédie/ «Régression féconde» ?

Extraits : «A force de lui avoir seriné que la démocratie est«kofr», la base du parti n'en a cure du suffrage universel. Pour elle, le pouvoir ne se conquiert pas par la force des arguments et des programmes mais par la menace et la violence» (p141), «9 février : Ces affrontements réveillent le récent souvenir de début juin 1991.Comme à ce moment-là, l'état d'urgence est décrété pour quatre mois renouvelables. Il durera vingt ans» (p217), «La mission (de Ali Haroun, portant la bonne parole diplomatique en Europe, en février1992, après l'interruption du processus électoral) se révèlera particulièrement ardue en France prioritairement où la gauche fait des islamistes son nouveau prolétariat» (p225).

Avis : De l'observation de terrain toujours, de la large collecte d'informations souvent et, parfois, du commentaire de professionnel d'agence de presse.

Citations : «Le Fis a démonétisé la «légitimité révolutionnaire» instrumentalisée jusqu'à l'aversion par le pouvoir et présenté la guerre d'indépendance comme un djihad appelé à être poursuivi jusqu'à l'établissement d'un Etat islamique» (p 220), «L'autorisation illégale de ce parti (Fis) avec l'idée sournoise de lui déléguer un peu de contrôle social et la gestion des «espérances utopiques» de la population, comme le dit Lahouari Addi, aura été la faute originelle, aggravée par l'organisation forcenée d'un scrutin sur la base de sondages erronés .La contradiction a conduit à la confrontation» (p 278)

POUR RAPPEL

- Chroniques d'une démocratie «mal - traitée» (Octobre 1988-Décembre 1992) de Belkacem AHCENE-DJABALLAH, Editions Dar El Gharb, Oran 2005, 323 pages.

Note : Une période mouvementée mais riche en changements présentée, avec détails et de manière critique.

- Note de l'auteur: L'ouvrage, bien qu'édité, n'a été tiré alors qu'en très peu d'exemplaires (50? 100?) par l'éditeur et a même été retiré du catalogue (sans explication) et n'a été diffusé, en dehors des premières semaines, que dans quelques très rares librairies. Ré-édité aux Editions européennes en 2019

- Fis: Chronologie d'une mort annoncée (23 mai 1991 - 5 octobre 1992) de Belkacem AHCENE-DJABALLAH, Editions Dar El Gharb, Oran 2005, 367 pages.

Note: Une période mouvementée et tragique qui montre l'inconscience et la vanité des hommes dans leur rapport au pouvoir.