Le concept
de « Dhouloucratie » ou « la gouvernance par le
mépris » du penseur marocain Mehdi El-Mendjara
m'interpelle à plus d'un titre au vu de ce qui se passe aujourd'hui en Algérie.
Quand l'écrivain Mario Vargas Llosa s'est présenté
aux élections présidentielles du Pérou, au tout début des années 1990, il a cru
que son peuple, enfoncé dans la misère, la corruption et le militarisme, a
besoin d'une compétence universelle comme lui, pour le sauver, pour le sortir
du marasme dans lequel il se débattait. Or, la réalité qu'il a analysée à
partir de son exil londonien était autre que celle qu'il constata sur place.
L'intellectuel dynamique et volontaire a sillonné de long en large son Pérou
natal et n'en revenait pas : le pourrissement du règne d'Alberto Fujimori
(l'ex-président) fut si profond que toute la société en traîna ses effets
pervers presque inguérissables ! Le syndrome tiers-mondiste a gravement touché
le pays, le sien, dans ses os, son cartilage, sa diastole, sa systole, son
cœur, son cerveau. Le Pérou n'était là qu'un colosse aux pieds d'argile, sans
âme, respirant à peine, juste pour survivre. La pauvreté a cassé les
défavorisés et a atteint les classes moyennes. En retour, l'ascenseur social
n'était tendu d'en haut qu'à ceux qui prêtaient main-forte aux corrompus. La
médiocrité a carbonisé l'oxygène de la liberté et l'embrigadement idéologique
des vioceless (les sans voix) a tué dans l'œuf tout
espoir dans une transition démocratique pacifique. Rien à faire dans l'immédiat
car les soins d'urgences ne suffisent pas quand le traumatisme du Pérou est
interne. L'alternative démocratique moderniste de l'écrivain-candidat fut ainsi
balayée du revers de la main par les masses endoctrinées par la démagogie de
l'ancien dictateur. L'écrivain alors déjà « nobélisable », si nourri aux thèses
du révolutionnaire José Mariátegui, aux idées
fédératrices de Simon Bolivar et à la philosophie de la liberté du Français
Jean-Jacques Rousseau, en fut très déçu. Néanmoins, à l'en croire, seul ce
travail du terrain lui a fait comprendre en une année ce qu'il n'avait pas
compris pendant deux ou trois décennies de séjour à l'étranger. Il a surtout
compris que, si décadence il y a au Pérou, la faute n'incombe pas
nécessairement aux Péruviens mais à leurs élites qui ont failli à leur devoir
citoyen, soit par lâcheté, soit par intérêt et compromission ou par
indifférence. Le cas catastrophique du Pérou de l'époque n'est-il pas semblable
à celui de l'Algérie d'aujourd'hui ? On ne saurait que dire oui, hélas !
Comment changer quand on n'a pas d'assiette ou d'infrastructures d'idées
servant de plateforme de consensus ? Comment changer quand on n'y a pas préparé
psychologiquement les gens ? Comment changer quand on n'a jamais descendu d'en
haut pour voir ceux d'en bas ? Comment changer quand on n'a pas « valorisé les
valeurs » du travail, l'éducation, la culture, l'effort, la compétence, le
pragmatisme, la fraternité ? Comment changer quand il n'y eut aucune
restructuration ni mobilisation de la société ? Comment changer quand l'élite
en connivence avec les grands médias détourne le sens de l'histoire et
n'associe pas le peuple à ses démarches ? Le changement en Algérie, écrit un
chroniqueur algérois, est une nécessité aussi bien pour les Algériens que pour
le régime qui a besoin de changer pour survivre. Mais pour le moment, il n'y a
aucune solution, sauf celle déjà expérimentée depuis toujours : gagner du temps
».