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Les (mauvaises) manières du «discours»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Pour la énième fois et ce en très peu de temps, un autre «responsable» politico-administratif, celui-ci pourtant assez ancien dans la sphère dirigeante et, qui plus est, pouvant être classé comme «intellectuel», se retrouve soudainement projeté au-devant de la scène médiatique de bien mauvaise façon pour des propos, tenus à l'endroit de l'histoire contemporaine du pays, considérés comme déplacés, diffamatoires pour ne pas dire insultants pour certains. Devant les membres de l'Association des oulémas (la nouvelle, pas l'historique !) il a, rapporte-on, appelé à «l'éradication des essaims semés (et laissés) par la France» et affirmé qu'«un Algérien ne peut être que musulman» oubliant Audin, Maillot, Peschard, Laban, Ghenassia, Iveton, Fanon, les Chaulet, Annie Steiner et des centaines d'autres, catholiques, protestants, juifs, laïcs, athées, agnostiques, de plusieurs nationalités et couleurs et je ne sais quoi encore, morts pour que l'Algérie se libère du colonialisme puis se développe.

Bien sûr, il s'est, par suite, lors d'une journée internationale d'étude consacrée à la littérature soufie, expliqué et il a précisé ses propos, «incompris et mal interprétés», dit-il, affirmant qu'il s'agissait là non d'une «fatwa», mais seulement d'un appel (aux membres de l'association sus-citée) à l'ijtihad scientifique et à un effort de débat et de réflexion. Redit comme cela, voilà un discours moins «hard». Hélas, cela vient toujours tard, les premiers propos, mal entendus ou mal compris ou déformés ayant causé des dégâts (moraux) chez les uns et apporté de l'eau (imbuvable) au moulin chez les autres, multipliant ainsi les incompréhensions et les cassures sociales. Comme s'il n'y en avait pas assez ! si l'on s'en tient seulement aux multiples nouveaux discours populistes et intégristes à objectifs récupérateurs, parfois sans queue ni tête, et tirant dans tous les coins et sur tout ce qui bouge, qui fleurissent dans les rues, sur les réseaux sociaux, et sur certains plateaux de télés privées.

Hélas, avant lui, on en a eu d'autres qui nous ont fait oublier les sottises langagières de quelques-uns de nos très anciens dirigeants et autres «responsables». Certains ont fait les «unes» des journaux, ont été des sujets à débat télévisuel et/ou à commentaires perfides sur les réseaux sociaux. Une matière première offerte aux éditorialistes, aux humoristes et aux caricaturistes. D'autres ont fait, assez longtemps, rire le peuple des cafés et des souks. Aujourd'hui encore ! Mais, les observateurs sérieux de la vie politique du pays en sortent consternés avec la «preuve par neuf » que le discours «politique» spontané national, celui des «responsables», reste encore globalement bien en deçà des niveaux de responsabilité (nationale et/ou internationale) politique, mais aussi culturelle, sociale, commerciale, industrielle et économique. Pour l'instant n'échappent à la dérive langagière que les Relations internationales, la Défense et l'Energie. La Com' aussi. Car, peut-être, secteurs d'activités sensibles à l'international où chaque mot dit et chaque phrase écrite ou prononcée a son importance et est bien pesée avant d'être émise, à l'oral comme à l'écrit. Certes, parfois trop pesée, devenant austère et sans relief, mais cela vaut bien mieux qu'une bêtise aux conséquences toujours fâcheuses, parfois désastreuses, toujours irrattrapables auprès des opinions publiques, ici et là.

Comme il est très difficile sinon impossible de re-«former» (en termes d'éducation) au discours politique les «vieilles compétences» supposées avérées, il faudrait assurément revenir à la source par l'amélioration (plutôt l'introduction) de l'enseignement de l'art du discours et de l'argumentation à l'Ecole (les lycées puis l'Université). Sans tomber dans le discours -spectacle et/ou le discours- bateau. Et, en ayant en tête que le discours du politique et le langage du politicien en position de responsabilité, ne relèvent ni du cinéma, ni du théâtre, ni du spectacle de rue. Surtout en temps de crise !