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NOTRALGERIE !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

J'ai rêvé l'Algérie. Témoignages, fictions et récits. Ouvrage collectif : Ecrits de plusieurs auteurs algériens. Editions Barzakh (et Fondation Friedrich Ebert Algérie), Alger 2020, 190 pages. Diffusion gratuite.



Seize auteurs pour quatorze textes... de la fiction et du rêve...des témoignages et des récits. Fruits d'une rencontre, suite à un projet d'atelier d'écriture (non tenu pour cause de Covid-19) réunissant des individus de divers horizons culturels (journalisme, écriture, psychologie, architecture, management, sociologie, médecine, cinéma, pharmacie...), certains déjà expérimentés, d'autres ayant un rapport amateur à l'écriture... mais tous liés par le rêve d'une Algérie autre : «De quelle Algérie rêvez-vous, et pourquoi ?» Question toute simple, toute bête et pourtant relevant d'un exercice complexe et difficile faisant appel à des expressions forcément subjectives (et même orientées par la formulation elle-même du sujet !) Car, pour emprunter à H. Djahnine : «Comment rêver le futur sans le présent ? / Comment vivre le présent sans rêver à demain». Un présent déjà assez compliqué et souvent, sinon toujours, critiqué, un futur chargé de nuages (du moins le croit-on fermement) et d'incertitudes... tout cela avec un passé présent toujours pertubateur car encore indéchiffré totalement.

Bref, des voix singulières... mis à part celles de quelques auteurs comme Chawki Amari, Hajar Bali, Djahnine Habiba, Sarah Haïdar et Samir Toumi, déjà rompus à l'écriture... que l'on peut deviner comme «encadreurs» des ateliers.

On va donc de découverte en découverte. Tout d'abord, côté fiction, c'est le rêve de la transition écologique, technologique et urbanistique qui domine..., nous entraînant, avec Samir Toumi, entre autres, à Alger 80 ans après le hirak de février 2019; avec Hajar Bali rêvant d'une gestion totalement numérisée et participative; ou avec Mohamed Larbi Merhoum et la redynamisation du cadre de vie (le quartier du Hamma en 2034 !). D'autres «rêves» parcourent les récits : la végétation en milieu urbain, les transports propres... Il y a la description (extrêmement affreusement réaliste), par Sarah Haïdar, d'un cauchemar qui n'en finit pas... celui des femmes «enfermées» , parce qu'elles ont refusé de désobéir au «démon», «force ultime de l'âme abattue, dernier sursaut de rébellion d'un cœur à l'agonie». Un cauchemar qui ne finira jamais... Il y a aussi le poème «Terre inconnue» de Habiba Djahnine qui se demande «Avons-nous un pays de rêves ? Ou un pays de fantômes ?» Tout un programme !

Côté témoignages et récits, c'est un peu plus cru : avec un Chawki Amari, au style toujours incisif, présentant un monde de la presse où la «machine remplacera le journaliste qui écrit déjà sur une machine»; Khadidja Boussaïd qui «rêve à la recherche scientifique autrement»; Feriel Kessaï qui n'ose plus se permettre de «rêver» car elle sait qu' «ils» lui voleront ses rêves; Wiame Awres qui imagine un nouveau monde où les femmes ne sont plus assassinées et peuvent réaliser leurs rêves en toute liberté.

Les Auteurs : Chawki Amari, Wiame Awres, Salah Badis, Hajar Bali, Atiqa Belhacene, Khadidja Boussaïd, Habiba Djahnine, Bouchra Fridi, Sarah Haïdar, Arab Izar, Feriel Kessaï, Zaki Kessaï, Louisa Mankour, Mohamed Larbi Merhoum, Akçil Ticherfatine, Samir Toumi.

Tables des matières : Avant-propos (de Amina Izarouken (Chargée des programmes. Fondation F. Ebert-Algérie)/ Fictions (7 textes)/Témoignages et récits (7 textes)/Notices biographiques

Extraits : «Je rêve de mots barricades / Je rêve de mots pour nous réinventer : de mots qui riment avec la liberté tant chantée / Elle est si seule dans mon rêve, la liberté (Habiba Djahnine, p 53), «L'injection forcée d'un libéralisme débridé, en 1986, avait plongé le pays dans une addiction au fric facile, souvent sale, dont il fallait se désintoxiquer» (Mohamed Larbi Merhoum, pp 74-75), «De fait, le journaliste a mauvaise image et pratiquement plus personne ne pense faire carrière dans la profession, si ce n'est pour avoir un bon salaire, ce qui n'est même plus toujours le cas, et dîner aux côtés des plus grands, même si c'est en dehors et d'un mauvais sandwich» (Chawki Amari, p 102).

Avis : Une très bonne initiative, assez louable venant d'un «mécène»... bien que je ne sois pas d'accord avec la «distribution gratuite» (comme cela se pratique durant des campagnes publicitaires, promotionnelles et de propagande... et c'est ce qu'on faisait dans les années 60 et 70). La production littéraire -quel que soit son niveau- ne saurait être «dé-valorisée». Il aurait fallu se contenter d'un prix symbolique, mais d'un prix quand même.

Citations : «Le temps est un oued au débit ininterrompu de données qui vont dans le même sens, un oued... quand il y a de l'eau dedans» (Chawki Amari, p 106), «Aujourd'hui, tout le monde sait lire mais préfère les images, infantilisation ultime par un passage éclair des hiéroglyphes à YouTube» (Chawki Amari, p 107), «Les lendemains -le futur en général- ne sont pas inscrits à l'ordre du jour dans l'agenda des Algériens, alors que pour d'autres peuples, l'avenir est une mine d'or, qui justifie qu'ils s'affrontent pour se la partager» (Chawki Amari, p 111), « Nos affrontements perpétuels à propos du passé nous font véritablement oublier tant le présent que le futur» (Salah Badis, p 118), «Être heureux ne veut pas dire avoir la vie facile, mais se sentir capable de rompre les entraves» (Bouchra Fridi, p 181), «Je prends le parti d'écrire «je» et d'écrire avec le «je». A l'automne de ma vie, je réalise que le «nous» m'a étouffée. Que le «nous» est étouffant. Non que je sois nombriliste, pas du tout, mais juste parce que j'existe» (Arab Izar, p 142), «Si on se comprend, on échange, si on échange, on apprend, si on apprend, on avance» (Akçil Tichirfatine p179).



LE BONHEUR D'ÊTRE ALGÉRIEN. Essai de Fadéla M'Rabet. Enag Editions, Alger 2019, 103 pages, 530 dinars (Pour rappel. Déjà publiée. Extraits)



Quelle mémoire que celle de Fadela M'Rabet ! En peu de pages et en dix-huit textes assez courts, elle vous conte et raconte presque toute sa vie.

Elle nous transporte du Sila à Skikda, de Skikda à Vienne, de Vienne à Ostende, d'Ostende et sa mer à Strasbourg, de Strasbourg à Montréal, Stockholm, Istanbul, Paris... et de Paris à Skikda, une ville qui ne quitte plus sa pensée.

Elle nous raconte sa rencontre (et son amitié) avec Taos Amrouche, «la plus grande cantatrice de tous les temps, dépositaire du chœur antique de l'Algérie, chœur berbère...»...

Elle nous raconte Ben Badis et les oulémas d'antan, ceux modernistes et des Lumières. Elle nous raconte Djedda, sa grand-mère, dépositaire de l'identité algérienne si précieuse... et la grande maison -aux 14 enfants réunis- de Skikda «dont toutes les portes restaient ouvertes».

Elle raconte sa douleur palestinienne et la peur arabe (les dirigeants) de la démocratie. Elle raconte sa vision de la religion et la place de celle-ci dans les combats d'aujourd'hui.

Elle raconte la responsabilité des intellectuels maghrébins dans le jugement que portent les Français sur l'islam. Grande supportrice de la fameuse Jsmp (Jeunesse sportive musulmane de Phillipeville (Skikda), ancêtre de la Jsms), elle raconte le foot, Zidane et Ronaldo. Elle raconte, aussi, la féminité et le féminisme.

Et, toujours, Skikda, Skikda... Nostalgie.

De soliloque en soliloque, de moments bénis en drames inoubliés...

L'Auteure : Née Abada à Skikda. Docteur en biologie... interdite (au milieu des années 60) d'enseignement (lycée Frantz Fanon) et d'animation à la radio chaîne 3 (à la suite de la publication de ses deux ouvrages, «La femme algérienne», en 1965 et «Les Algériennes» en 1967... et de ses émissions avant-gardistes). Exilée (ainsi que son époux, Tarik Maschino) en France, elle a été maître de conférences et praticienne des hôpitaux parisiens. Auteure de plusieurs ouvrages.

Extraits : «L'Algérie est l'âme de mon esprit... la langue française est l'esprit de mon âme... Je pense et l'écris en Français, mais je pleure en kabyle» (Jean Amrouche, cité p12), «La chance de l'Algérie vient d'abord de sa situation géographique. Son socle est l'Afrique... une femme africaine» (p 17), «Pourquoi l'«élite» est-elle devenue si conservatrice ? Parce qu'elle se sent menacée ? Celle qui résiste a été éliminée. Ne reste que celle, dominatrice, qui préfère ses intérêts à la vérité» (p 31)

Avis : De la belle écriture, prose et poésie mêlées... Et, toujours, droit au but !

Citations : «Être Algérien devrait suffire à notre bonheur» (p 19), «Le combat d'aujourd'hui est celui de tous les temps. Il n'est pas d'ordre religieux. La religion n'a jamais été le vrai mobile d'une guerre. D'aucune guerre, nulle part. En terre chrétienne comme en terre musulmane. Il est d'ordre économique entre ou contre les puissances mafieuses, celles des marchands d'armes et de drogue. Pour l'or, pour le diamant...» (p 33), «Une jambe nue, c'est comme un escalier qu'on emprunte par le regard pour découvrir d'autres lieux. Quand ce n'est que chairs qui s'étalent, elles n'invitent pas au mystère du voyage, elles évoquent le porno» (p 67), «Pour Socrate, «l'homme et un bipède sans plumes». Il le serait resté sans le talent des couturiers» (p 85).