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Normalisation des relations entre le Maroc et Israël: Manifestations et colère au Maroc

par El-Houari Dilmi

La normalisation des relations entre Rabat et Israël continue de susciter moult réactions à travers le monde, y compris dans le royaume chérifien, avec un premier enseignement : la question du Sahara occidental côtoie, désormais, la question palestinienne.

En effet, pour tenter d'étouffer dans l'œuf toute velléité de dénonciation de cet «accord entre deux colons» selon la propre expression de la députée européenne Marie Arena, les autorités marocaines ont violemment réprimé, vendredi à Fès, des manifestants rassemblés devant la mosquée ?El Imam Malem', pour dénoncer la normalisation des relations avec l'entité sioniste, selon des médias locaux. Cette manifestation, à laquelle ont participé plusieurs fidèles après la prière du vendredi, intervient en réponse à l'annonce officielle de la Normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Toujours selon plusieurs médias locaux, «les autorités marocaines se sont attaquées à des fidèles pacifiques et les ont fait sortir de force de la mosquée, faisant plusieurs blessés». Les autorités marocaines ont saisi également des banderoles et des pancartes brandies par des fidèles portant des messages de solidarité avec le peuple palestinien.

Un «compromis cynique», selon James Baker

Au niveau international les réactions se multiplient, dénonçant une «violation du Droit international» au sujet de la prétendue marocanité du Sahara Occidental. L'ancien secrétaire d'Etat américain, James Baker, a déclaré vendredi que la normalisation des relations entre le Maroc et Israël représentait un «compromis cynique» qui a «sacrifié» le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Réagissant vivement à l'annonce du président américain sortant, Donald Trump sur la reconnaissance de la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, James Baker a indiqué que l'accord de normalisation devait être conclu de «manière appropriée (?) et non pas en sacrifiant cyniquement le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination», a encore estimé l'ancien émissaire de l'ONU pour le Sahara Occidental.

Ce dernier, a également indiqué «être d'accord « avec James Inhofe, le président de la Commission défense du Sénat américain, lorsqu'il a qualifié cette évolution de «choquante et profondément décevante». «Il semblerait que les Etats-Unis d'Amérique, qui ont été fondés avant tout sur le principe de l'autodétermination, ont abandonné ce principe s'agissant du peuple du Sahara Occidental» s'est indigné James Baker avant de conclure que cette situation était «très regrettable». Faut-il rappeler que le Maroc a eu déjà à saborder les efforts de cet ancien émissaire américain, en 2004, lorsqu'il a rejeté son plan de paix qui maintenait le principe d'autodétermination, en exigeant la tenue d'un référendum au terme de cinq années de la mise en œuvre de l'accord de paix.

«Une humiliation au peuple marocain»

L'Organisation marocaine de soutien aux causes de la nation a annoncé son rejet à l'accord de normalisation entre le Maroc et l'entité sioniste, en contrepartie de la reconnaissance du président américain sortant, Donald Trump, de la prétendue souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental et l'ouverture d'un consulat à la ville occupée Dakhla, affirmant que «le peuple marocain n'acceptera point cet accord».

Dans un communiqué publié jeudi, l'Organisation marocaine a rejeté catégoriquement cette «démarche unilatérale et irréfléchie qui aura des incidences négatives sur la Cause palestinienne ainsi que sur l'histoire, la stabilité, l'avenir et les relations régionales du Maroc». La même organisation a estimé que «l'accord de normalisation des relations entre le Maroc et l'entité sioniste constitue un coup asséné à la Cause et au peuple palestinien ainsi qu'une humiliation au peuple marocain qui a toujours refusé toute normalisation et soutenu le droit des Palestiniens». Répondant aux justifications du régime marocain concernant l'accord de normalisation, ladite organisation a fait savoir que «tous les pays ayant conclu un accord de normalisation ne dévoilent pas les clauses humiliantes et abjectes de cet accord et annoncent des objectifs imaginaires à leurs peuples».

Saluant la position des Marocains «qui rejettent l'accord de normalisation et soutiennent le droit des Palestiniens», l'Organisation a appelé «toutes les instances décisionnelles des partis et les organisations syndicales à condamner cet accord et à lancer une action collective afin de faire face à toutes ses formes».

Elle a également lancé un appel au peuple marocain afin d' «organiser des manifestations pacifiques pour exprimer sa position vis-à-vis de cet accord, tout en respectant les mesures sanitaires», affirmant que la Cause palestinienne est également celle du peuple marocain.

Les droits des Sahraouis troqués contre 3 milliards de dollars

Pour convaincre le Maroc d'accepter de normaliser ses relations avec Israël, Trump a reconnu la souveraineté du royaume sur le Sahara Occidental et promis «trois milliards de dollars» d'investissements, relate le «New York Times», qui précise qu'une société du roi Mohamed VI en est bénéficiaire. «Le Maroc n'a pas commenté ces informations», selon l'Agence de presse ?Sputnik' qui a relayé cette information.

En 2017, alors que les États-Unis étaient en négociations avec le royaume chérifien sur la question de la normalisation des relations avec Israël, en contrepartie de la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, l'administration Trump « a promis trois milliards de dollars d'investissements directs au gouvernement marocain», rapporte le ?New York Times' (NYT). Selon ce même média, un sénateur républicain a indiqué que les négociations ont eu lieu entre les deux parties «par l'intermédiaire de l'homme d'affaires Yariv Elbaz». «Lors de discussions datant de 2017, les responsables ont discuté de la promesse de la reconnaissance américaine du Sahara Occidental comme condition du réchauffement des relations avec Israël», écrit le NYT. «Par la suite, M. Elbaz a informé le gouvernement marocain que l'administration Trump était disposée à aider le royaume en investissant jusqu'à trois milliards de dollars dans le pays». Indiquant que cette opération sera parrainée par la Société américaine de financement du développement international, le média précise qu'« une bonne partie de ces fonds sera investie dans des banques marocaines, des hôtels et une société spécialisée dans l'énergie renouvelable appartenant au roi Mohamed VI». Par ailleurs, le journal cite le sénateur républicain de l'Oklahoma, James Mountain Inhofe, président du Comité des forces armées du Sénat des États-Unis, qui a adressé une missive à l'administration Trump sur ce sujet, affirmant que «les droits du peuple du Sahara Occidental avaient été troqués».

Des drones américains pour le Maroc

Le 10 décembre, quelques heures après l'annonce par Trump de l'accord de normalisation des relations entre le Maroc et Israël, ?Reuters' rapportait que «les États-Unis négociaient la vente d'au moins quatre gros drones avancés, à Rabat et que des discussions avec les membres du Congrès auront lieu dans les prochains jours, à ce propos». Selon la même source, il s'agirait de quatre drones de type ?MQ-9B Skyguardian' d'un rayon d'action de 11.000 km, ce qui permettra au Maroc de balayer de vastes territoires en mer et dans le désert. Dans un entretien accordé à ?Sputnik', Oubi Bouchraya Bachir, membre de la direction du Front Polisario chargé de l'Europe et de l'Union européenne, affirme que la « démarche du Maroc n'est pas du tout surprenante et a le mérite, enfin, de démasquer auprès des peuples marocain, arabes et musulmans l'hypocrisie de 60 ans de fausse solidarité du royaume avec le peuple palestinien et sa cause juste contre l'occupant israélien».