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Insaisissable société !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

La robe blanche de Barkahoum. Roman de Farida Saffidine. Casbah Editions, Alger 2029, 197 pages, 700 dinars



Barkahoum ! Il était évident qu'avec un tel prénom, elle allait «ramer» dur pour se sortir de l'impasse sociétale qu'on lui avait «fabriquée » dès sa naissance, tout particulièrement par une grand-mère paternelle assez conservatrice et, à la limite, méchante comme pas possible, toujours à l'endroit de tout ce qui était fille, préférant de loin les garçons, même les plus «imbéciles». Surtout Zamen et Chams. « Des idiots, des simplets, des cerveaux à deux neurones, rien dans le ciboulot. Ils ne réfléchissent pas, ne se posent jamais de questions».

Barkahoum est la dernière d'une famille de dix enfants, sept filles et trois garçons, qui, non désirée, mal-aimée (sauf par son père, un peu trop taiseux) va passer tout son temps à se battre pour se faire une place dans la vie. «Aïcha -radjel» ? Une féministe avant l'heure ? Non ! Tout simplement une femme qui veut «exister» à la maison, dans la rue, au travail...

Elle sera médecin. Elle travaillera, durant son service civil, à l'hôpital, elle s'installera à son compte (à Bordj Bou Arréridj), elle vivra seule, elle achètera une voiture après avoir passé son permis de conduire, elle voyagera à l'étranger..., elle fait face au machisme ambiant même chez sa clientèle de malades et, surtout, n'arrive pas à trouver son «prince charmant». Pourtant, elle était attirante. Il est vrai que les «postulants» étaient beaucoup plus intéressés par le logement ou par les rentrées d'argent, tout en exigeant le port du foulard dit «islamique», la limitation des déplacements, des sorties contrôlées, etc., etc.

Heureusement pour elle, elle arrive à traverser la décennie rouge sans trop de dégâts : il est vrai qu'elle avait un frère dans l'armée et l'autre au «maquis» terroriste (les «deux imbéciles»).

Cinquante cinq ans d'âge, et encore vierge (si, si, ça existe !), et faisant toujours ses prières quotidiennes sans pour autant porter le hidjab et le foulard, elle rejoint une de ses sœurs, médecin installée à Paris, et elle s'y installe, non pour exercer mais surtout pour «souffler» dans une autre atmosphère moins pesante ? Heureux (et curieux) hasard, elle y rencontrera celui qu'elle attendait tant. Happy end !

L'Auteure : Née en 1953 à Bordj Bou Arréridj. Etudes secondaires à Sétif puis supérieures à Constantine (langue et littérature anglaises). Enseignante (Université Ferhat Abbas de Sétif). Retraite en 2006. Déjà un premier roman, «Voix de femmes. Voies de fait» (2018) et un recueil de poèmes.

Extraits : «Si, au départ, les gens furent éblouis par les bâtiments flambants neufs, les équipements sophistiqués et un accueil plus décent dans le secteur privé (Note de la Santé), bien vite ils déchantèrent car on avait oublié de dépoussiérer les mentalités pour qu'elles aillent de pair avec la nouveauté des lieux et des appareils» (p 31), «A ma naissance, on m'avait affublée d'un costume qui me gênait aux entournures. Je ne connaissais qu'interdits depuis mon premier jour» (p 34), «Un cabinet médical est un microcosme d'une société et s'y dévoilent toutes les tares, tous les drames de ses membres «(p 126).

Avis : Un gentil bon roman. Un récit de vie chargé de colère (féminine) mais aussi plein de volonté et d'espoir. A lire par toutes les femmes révoltées ou non. Ah, j'allais oublier : le procès en règle du secteur de la Santé en général et médical en particulier.

Citations : «Certaines décisions ayant contribué à l'état désastreux actuel de la médecine étaient plus politiquement et idéologiquement orientées que scientifiquement et médicalement justifiées» (p.52), «Nous aurions voulu que tous les hommes portent leur virilité comme un présent pour adoucir le sort des femmes, pas comme une arme pour les asservir, pas comme un exutoire pour panser les multiples blessures que leur infligeait la société, pas comme une armure pour protéger leur ignorance et leur extrême vulnérabilité (p.82), «Nous aussi, les femmes, sommes nées avec un attribut sauf que le nôtre ne pendouille pas entre nos jambes.

Il faut bien, à l'humanité, cet attribut féminin pour la perpétuer» (p.96), «Le monde change, les mentalités ne suivent pas, hélas. La bêtise est la chose la plus dure à éradiquer après la méchanceté» (p.109), «La société dans laquelle je vis diabolise la femme en même temps qu'elle l'érotise à l'excès, la transformant en objet sexuel consommable en tout temps et en tout lieu, mais si possible en secret» (p.148), «Peut-on guérir la misère, le malheur avec les médicaments ? Que peut-on prescrire contre l'ignorance, contre les abus, contre le manque d'éducation et les préjugés ?» (p 159).



Recueil de mots, de maux et d'émotions d'un Algérien. Netrabaw ga3, bech yetnahaw. Eduquons-nous tous pour qu'ils dégagent. Abécédaire de Abdelhamid Senouci Bereksi. Rafar éditions, Alger 2020, 132 pages, 300 dinars.



Au départ, l'auteur cherchait, dit-il, seulement à «apprivoiser les blessures pour mieux les exposer dans l'espoir de les exorciser et restituer le droit à l'espérance». On a donc eu droit à un jeu de mots, de calembours et autres boutades. Tout un abécédaire correspondant à des termes choisis et classés par ordre alphabétique, accompagnés d'un condensé de réflexions subjectives. Il est vrai que le tout (ou presque tout) a été rédigé au temps de Bouteflika, un temps pas facile pour les cadres supérieurs qui ne rentraient pas assez vite dans les rangs ou qui sortaient du cadre. D'ailleurs, ambassadeur en Italie (et auprès du Vatican) après avoir été secrétaire général de son ministère (les AE), si mes souvenirs sont bons, il avait été vite rappelé. De la hogra ? «Un sentiment particulièrement ressenti par les Algériens. Toutes les frustrations se cristallisent autour de la hogra (forme de mépris). Certains ont prétendu que j'avais pratiqué la hogra durant ma carrière ! Oui, j'assume et cela à chaque fois que j'appliquais la règlementation sans distinction (p 57).

Revenons à l'ouvrage : en langage peu diplomatique, il balaie très largement le champ social, politique et économique en empruntant la voie et le style littéraires les plus aisés à comprendre par le commun des citoyens. Il est vrai que, durant sa carrière et peut-être même bien plus après, il a su engranger bien des situations, de la plus cocasse à la plus délicate ainsi que les émotions sociétales telles que nous les avons vécues ou que nous les vivons journellement en tant que décideur, d'employé, d'employeur de citoyen.

De A à Z, le chemin est long. D'où près de 600 mots, autant de maux et d'émotions, de simple fonctionnaire, de responsable, de subordonné, de voyageur, de citoyen aimant l'ironie, la plaisanterie et la critique. Normallllll, kho ! Il est même remonté à son enfance (durant la guerre de libération nationale et juste après l'indépendance : «Ce jour-là, dit-il, mon père, ancien prisonnier, était président d'un centre de vote de la ville de Tlemcen. La nuit, il fut ramené à la maison tout ensanglanté et ecchymosé». «Son crime ? poursuit-il, il avait refusé d'avaliser la liste d'élus que voulaient imposer les nouveaux occupants de mon pays (Ben Bella) et qui ne correspondait pas à celle des urnes !»), à sa jeunesse (en nous rappelant la fameuse «Autorisation de sortie» du territoire national alors obligatoire), à ses études (à l'Ecole nationale d'administration, section Diplomatie). Ah ! Il a oublié quelques mots : Énarque, Énarchie des mots pourtant beaucoup utilisés par la critique populaire. Why ?

Note personnelle : Je l'ai connu durant la période cherchelloise du service national. Même bataillon, même section, même chambrée, toute une promo de «diplomates» de l'Ena. Déjà, l'humour ne lui manquait pas. Heureusement, car on en avait vraiment besoin.

L'Auteur : Natif de Tlemcen. Diplômé de l'Ena (1970). Diplomate de carrière. Inspecteur général (MAE), SG, ambassadeur (dernier poste, je crois, Rome et Vatican) et retraite en 2018. Il a récemment publié -in english- un second ouvrage : «An introduction to Algerian diplomacy», toujours chez Rafar (111 pages).

Extraits : «Air Algérie : pavillon national dont la devise devrait être «se servir avant les clients et avec leur pognon» ! C'est un établissement public de vol en altitude !» (p 8), «Autoroute : chez nous, la construction d'autoroutes enrichit des légions et appauvrit les régions !» (p 14), «Brosse : chita en arabe, elle sert à faire luire les chaussures qui vont servir à nous botter les fesses !» (p 23), «Communication : le silence et le démenti sont les composantes fondamentales de la communication en Algérie; ce déficit porte un grand tort à l'Algérie qui n'est pas crue même quand elle est de bonne foi alors que les bons communicateurs sont crus même et peut-être surtout, quand ils sont de mauvaise foi !» (p 29), «Librairie : ancêtre de la pizzeria, du fast-food et du cybercafé» (p 73), «Pétard : ce n'est pas un pet tardif» (p 91), «Qatar : abréviation de Quatre tares : l'argent, le flousse, le pèze et le riyal» (p 97), «Vache : un éleveur qui a reçu de l'Etat 14 vaches pour se lancer dans l'élevage et la production de lait, demande maintenant à l'Etat de lui donner un terrain pour s'agrandir. Demain, il va demander des camions, des machines et, bien sûr, l'augmentation des crédits et l'effacement des dettes ! Traire les vaches et l'Etat ! Y a-t-il une injustice, lorsque l'Etat traie le pays tout entier» (p 124).

Avis : Apparemment il en a gros sur le cœur, tout en gardant de l'humour, un humour accompagné de critiques qui régalent tant les vérités exprimées visent et touchent juste.

Citations : «Au-delà du fait de mettre des mots sur les maux, je cherche à apprivoiser les blessures pour mieux les exposer dans l'espoir de les exorciser et restituer le droit à l'espérance» (p 5), «On aime bien le Droit avec ses détours, ses courbures, ses inclinaisons ! C'est notre spécificité !» (p 38), «En démocratie, les institutions protègent les libertés par des textes; en dictature, les institutions se protègent des libertés par des textes !» (p 65), «En Algérie, nous sommes tous frères (kho) et sœurs (ouhkt); je ne sais pas comment on arrive à se reproduire » (p 71).