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La (?) «bouc-émissaire» !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Viols et filiations. Incursions psychanalytiques et littéraires en Algérie. Essai de Christiane Chaulet Achour et Faïka Medjahed (Préface de Dalila Morsly). Koukou Editions, Cheraga /Alger 2020, 195 pages, 800 dinars.

Un ouvrage qui se présente comme un «ouvrage - dialogue» qui s'écrit à partir de deux parcours de vie et de deux postures scientifiques et professionnelles différents... mais, tous les deux révélant, en creux, des connections: une expérience de rupture, un enracinement dans une histoire marquée par des séquences de violences extrêmes, un militantisme féministe et un travail intense pour penser une pratique, pour se «fabriquer» en tant que spécialiste du domaine professionnel et de recherche...

Deux parcours de vie... deux démarches qui se tissent autour d'une interrogation cardinale : «De quelles transmissions taiseuses avons-nous hérité , nous les Algériennes et Algériens pour laisser nos symptômes parler à notre place ?» .

Le travail de «détricotage » présenté, absolument nécessaire mais délicat, va se faire à travers une approche assez originale, inaugurant, selon la préfacière, un champ et une méthode de travail qui doivent être poursuivis, amplifiés par d'autres chercheurs d'autres disciplines» : des lectures de textes avec des récits de viol ( articles de presse, romans, nouvelles...d'auteurs connus ou moins connus) et des cures psychanalytiques (faisant émerger les souffrances liées au viol et celles liées à la filiation-affiliation... ici, le poids du père guerrier (ou traître) , présent-absent, se faisant encore lourdement sentir dans notre société). Une articulation étonnamment féconde, puisque des «fils complexes» de la vie sont démêlés...en bonne partie.

«Les textes analysés qu'ils soient littéraires ou issus des cures psychanalytiques, montrent bien les ratés, les dysfonctionnements et les entraves dans le collectif et dans les parcours individuels. Néanmoins, la voie vers autre chose est possible et les silences chahutés par des narrations multiples peuvent aider à lever la chape de plomb « (Conclusion. Extrait. P.184))

Les Auteures : Christiane Chaulet Achour est née à Alger en 1946. «Résidence entièrement algérienne de 48 ans... jusqu'à 1994» et «la guerre de libération nationale ayant marqué de son sceau toute la famille» Enseignante universitaire... marquée par Mostefa Lacheraf, Jacqueline Lévi-Valensi , Jamel Eddine Bencheikh et Renée Balibar. Nombreux travaux sur la littérature algérienne et sur l'ensemble des littératures écrites en français par des non-Français.

Faika Medjahed, née en 1950 à Constantine. Enfance (jusqu'à l'âge de douze ans) en Egypte. Chirurgien-dentiste de formation, venue à la psychanalyse au tournant des années 90. Dalila Morsly est chercheure en socio-linguistique

Sommaire : Présentation/ Préface/Avant-propos/ Chapitre I : Des pratiques en contexte/ Chapitre II : Récits de viol (Analyses littéraires/ Cures psychanalytiques)/ Chapitre III : Filiation et transmission. Système patriarcal et parentalité (Analyses littéraires/ Cures psychanalytiques)/Conclusion/ Bibliographie

Extraits : «J'ai quitté une Egypte arabophone multi-culturelle, multi-cultuelle, colorée et bruyante, à l'âge de douze ans, pour retrouver une Algérie francophone et austère «(F. Medjahed, p 16), «Comme tout penseur conséquent, comme tout écrivain qui ne fait pas de concession à la facilité, comme tout intellectuel ayant un bagage culturel impressionnant, Mostefa Lacheraf ne se lit pas comme on lit un polar» (Christiane Chaulet-Achour, p 39)

Avis : Un ouvrage qui, pour emprunter à la préfacière «nous plonge au centre de toutes les zones d'ombre qui tétanisent notre société.»» Et, on «n'en sort pas indemne». Peut-être trop de pages consacrées aux auteurs...Il est vrai que les pratiques psychanalytiques passent, obligatoirement, par une connaissance des contextes ! Cependant, ne vous inquiétez pas, ça ira mieux juste après...car, à défaut de vous connaître, vous connaitrez, encore bien mieux, l'être (ou l'âme) humain(e).

Citations : «La littérature s'intéresse avant tout aux humanités complexes et contradictoires et pas seulement à la justesse d'une lutte» (p 51), «La cure analytique est pensée comme un travail de reconnaissance de la souffrance qui vit le sujet afin de renouer le dialogue avec lui-même et avec ses aïeuls» (p 141), «Si l'on veut avancer, on ne peut se penser prisonnier de l'antériorité : pour, à la fois, construire sa propre vie et construire sa liberté d'individu. Mais on sait bien aussi que du passé.. .on ne peut faire table rase... Alors, il faut négocier avec lui en l'appréciant, le jaugeant, le jugeant. Cette mise à distance est nécessaire non pour rejeter mais pour parvenir à faire la part des choses» (p 183)



Islamo- Féminisme. Des femmes relisent les textes religieux . Essai de Feriel Bouatta. Koukou Editions, Cheraga-Alger 2017. 500 dinars, 119 pages (Déjà publiée. Pour rappel)



Oxymore ? C'est le rapprochement de deux mots qui semblent contradictoires. Il en va ainsi du féminisme islamique...Et pourtant ! Car, c'est tout le combat choisi par les femmes en terre d'Islam (et, aussi, de plus en plus, au sein des communautés implantées en Occident chrétien) : relire le texte religieux en le contextualisant pour légitimer la revendication d'un statut égalitaire. Non pas la seule équité mais bel et bien l'égalité ! Un combat qui a pris de l'ampleur avec les indépendances (au début des années 60) lorsque les pouvoirs en place, généralement celui de mâles, oubliant les luttes menées, côté à côte, contre le colonialisme, ont commencé à promulguer des lois inspirées de la Chari?a, imposant ainsi le référentiel religieux pour régenter les rapports hommes /femmes dans la société. Presque partout, la femme se retrouve, donc, en état d'infériorité juridique.

Des exceptions : Atatürk, il y a de cela très longtemps et Bourguiba en Tunisie.... La «Révolution islamique» des Ayatollahs en Iran, la guerre «sainte» contre le communisme en Afghanistan, la volonté de puissance, bien visible, de la version salafiste du wahhabisme saoudien, le recul du modèle laïc turc (devenu résolument islamo-conservateur, ces dernières années ), la mondialisation (auxquels j'ajouterai la perception déformée ou incomplète de l'Islam et de ses pratiques, par bien des médias occidentaux), feront le reste ...

Mais, tout cela ne va pas décourager les «féministes»... que l'on retrouve, d'un côté comme de l'autre -et c'est un phénomène pas si curieux que ça - défendant et/ou luttant selon plusieurs stratégies : radicale (comme celle des Moudjahidate algériennes et leurs «filles»), réclamant l'application des droits universels humains... ; conciliante (comme celle des Iraniennes) réclamant, tout en restant dans le registre religieux, une lecture des textes et des «dits» sacrés, plus souple, plus clémente à l'égard des femmes... Mais, globalement, toutes réclament la «justice des genres», c'est-à-dire l'égalité (des droits) et non plus seulement l'équité (un concept défendu par les islamistes qui renvoie à la complémentarité hommes-femmes).

L'Auteure : Née à Alger en 1986. Doctorante en sociologie (Université de Louvain la neuve/Belgique).

Extraits : «Une autre différence entre les féministes des deux pays (Algérie et Maroc) : les Marocaines sont plutôt dans la recherche du consensus avec le pouvoir politique et les instances religieuses, alors qu'en Algérie, il s'agit plus d'affrontement, d'opposition déclarée face au pouvoir en place» (p 26), « Le principe des islamistes algériens, formés à l'école des Frères musulmans d'Egypte, est simple : frapper l'imaginaire des laissés-pour-compte par la diffusion de l'utopie politico-religieuse qui fait rêver les «déclassés», en leur proposant un système dans lequel il y aurait une solution à tous les maux et où chacun trouvera sa place. Leurs premiers boucs émissaires et victimes ont été d'emblée les Algériennes» (p 34),

Avis : Un travail de recherche universitaire qui résume assez bien une situation bien complexe et devenue bien compliquée à cause des discours -surtout ceux des islamistes- radicaux.

Citations : «La mondialisation propage la réislamisation dans ses propres terres et au sein des communautés musulmanes, en Occident. Enjeu central, les femmes» (p29 , (On constate que) dans pratiquement tous les pays musulmans, les pouvoirs en place ont essayé de composer avec le courant islamiste, mais (que) finalement ils ont été dépassés» (p 42), «Il faut parler de féminismes islamiques au pluriel. Comme pour les autres types de féminismes, les positions des féministes islamiques sont locales, globales, diverses, multiples et en constante évolution» (p.56)

PS : Naissance d'un nouveau site d'informations: www.feminicide-dz.com. Féminicide, c'est quoi ? : «C'est l'assassinat d'une femme parce que femme»

2019 : 87. 000 femmes assassinées dans le monde, dont 58% par un partenaire intime ou un membre de la famille.

En Algérie, le site en a recensé 75 en 2019 et 41 à octobre 2020 (dont 8 pour le seul mois de juillet)