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Ils étaient exposés dans un musée à Paris: L'Algérie récupère les crânes de 24 de ses résistants

par Ghania Oukazi

Vif moment d'émotion lorsque l'Hercule C130 des forces aériennes nationales atterrit sur le tarmac de l'aéroport international d'Alger avec à son bord 24 cercueils contenant les crânes des héros de la résistance populaire contre le colonialisme français.

Il y a 171 ans, en 1849, la France coloniale a tué des résistants durant la bataille de Zaatcha près de Biskra, aux portes du Sud, puis les a décapités. Ses officiels décident alors d'emporter les crânes de 24 rebelles dont des chefs de la résistance populaire pour les exhiber comme des trophées de guerre et pour en parer plus tard les vitrines de son musée d'Histoire naturelle. Après qu'ils aient été momifiés, les crânes de cet étalage funeste étaient exposés sous des numéros de toute une série parmi, disent les historiens, 18.000 autres crânes qu'abrite à ce jour le musée parisien. Momifiées ou moulées, les têtes des résistants algériens font partie des 528 qui devaient être soumises à des tests scientifiques d'identification.

La bataille politique et diplomatique pour leur récupération a duré de longues années. En 2011, c'est un historien algérien qui en décrit la problématique. En 2016, d'autres historiens se joignent à lui et saisissent leurs homologues français pour les sensibiliser sur cette question du «retour». En 2019, une commission scientifique nationale s'est chargée de la « négocier » en vue de son règlement avec les autorités françaises. Commission dont les médecins devaient mener de nombreux tests pour l'identification d'un premier « lot » de 44 crânes de résistants dont 24 l'ont été définitivement et ont été rapatriés hier. Il s'agit de Aïssa Al Hamadi, lieutenant de Boubaghla, tête momifiée exposée sous le n° 5939, Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek dit Chérif Boubaghla crâne n°5940, Cheikh Bouziane, le chef de la révolte des Zaatcha, crâne n°5941, Si Moussa Al Darkaoui crâne n°5942, Bou Amar Ben Kedida crâne n°5943, Ben Kouider Al-Titraoui crâne n°5944 et Mohamed Ben Allel Ben Embarek, lieutenant de l'émir Abdelkader (sans matricule).

171 ans après, le retour des braves

Les martyrs sont revenus, hier, dans leur patrie, à deux jours de la date marquant la célébration du 58ème anniversaire du recouvrement par l'Algérie de son indépendance après une longue nuit coloniale contre l'une des forces atlantistes les plus influentes dans le monde. L'Hercule C130 a décollé à 4h du matin de l'aéroport militaire de Boufarik pour atteindre l'aéroport militaire français du Bourget à 7h du matin. Le temps que les 24 cercueils contenant les crânes des résistants algériens soient embarqués à son bord, il retourne le même jour à 10h du matin pour atterrir sur le tarmac de l'aéroport international d'Alger à 13h. Dès qu'il pénètre les airs algériens, l'avion militaire se fait escorter par trois autres de combat, Sukhoï 30 de l'armée nationale. Le cortège funèbre survolera la baie d'Alger comme pour faire le tour d'honneur de la capitale à des martyrs qui non seulement ont été décapités mais leurs crânes exilés par la force coloniale pendant 171 ans.

L'Hercule avance doucement vers le carré où se trouvaient au garde à vous les forces de l'Armée nationale populaire, air, mer, terre ainsi que des élèves officiers qui devaient transporter les cercueils de la soute vers l'enceinte du salon d'honneur de l'aéroport international. Avant qu'ils ne le fassent, 6 parachutistes des forces spéciales « descendaient » des airs, trois tenant l'emblème national et 3 lançant des fumigènes aux couleurs tricolores vert, blanc, rouge. Ils atteignent le sol sous les applaudissements des officiels dont les hauts gradés de l'Armée nationale populaire. Les avions chasseurs reviennent alors quelque peu à basse altitude, devant le carré officiel pour saluer le président de la République qui était debout avec à ses côtés les ministres détenant les portefeuilles de souveraineté, le général d'armée Benali Benali, commandant de la Garde républicaine ainsi que les présidents du Parlement. Un peu plus loin se tenaient aussi debout quelques personnalités nationales, des moudjahidine dans leur ensemble dont le colonel Hassan (Dr El Khatib) et Ali Haroun (assis sur une chaise).

Dès que commence le débarquement du premier cercueil, des casernes de la Garde républicaine dans les alentours de l'aéroport ont été donnés 21 coups de canon et les sirènes des bateaux des forces de la Marine nationale fusèrent de l'Amirauté d'Alger.

Honneur aux héros de la résistance populaire

Moment empreint en même temps d'émotion, de colère, de douleur, de tristesse, de joie et de fierté. Portés sur les épaules des élèves-officiers et couverts de l'emblème national, les 24 cercueils étaient par 8 pour être avancés sur le tapis rouge qui leur a été déroulé de la soute de l'avion jusqu'à l'entrée de l'enceinte du salon d'honneur. Dès ses débuts, la cérémonie a été commentée par le colonel Mustapha Merah, directeur de la communication du ministère de la Défense nationale. Pendant de très longues minutes, il évoque «le retour des héros dans leur pays, leur terre, celle de l'Algérie indépendante». Le colonel Merah décrit «l'Algérie indépendante qui rend hommage à tous les martyrs de la guerre de libération nationale dont les corps n'ont pas été retrouvés». Et c'est, dit-il, «l'Algérie nouvelle qui accueille aujourd'hui ses combattants(...)». Les élèves-officiers portaient les cercueils sur leurs épaules sous la cadence des roulements des tambours de la Garde républicaine. «Allah Ouakbar ! Allah Ouakbar ! Allah Oukbar !», lance le colonel Merah. Avec des yeux embués de larmes, des frissons, des cœurs serrés, les invités suivent avec le regard ce cortège des héros. Leur cheminement vers l'entrée du salon d'honneur s'est fait sous le salut militaire des hauts gradés de l'ANP et des cadets de la révolution. Une fois dans l'enceinte du salon d'honneur, les cercueils sont déposés sur des tréteaux en face desquels s'est mis debout le président de la République, les présidents du Parlement, les membres de souveraineté du gouvernement et plus loin sur le côté, les hauts gradés de l'ANP ainsi que les personnalités nationales. L'imam a commencé les prières à la mémoire des chouhada puis a terminé par la lecture de la Fatiha. L'hymne national est enclenché. Le général major Saïd Chengriha prend la parole, dit-il, au nom du président de la République. Confirmé hier comme chef d'état-major et promu la veille général de corps d'armée, il intervient pour souligner « ce jour de l'indépendance des héros(...), le rêve des martyrs qui s'est réalisé, les martyrs qui reviennent dans leur terre, en Algérie qu'ils ont arrosée de leur sang(...) ». Il rend un vibrant hommage à la mémoire « des 24 héros de la résistance populaire nationale, c'est une première série qui a été ramené de France où ils étaient séquestrés(...). »

L'enterrement des héros le 5 juillet, jour de l'indépendance

« Les héros reviennent, dit-il, vers la terre pour laquelle ils ont sacrifié leurs vies et leurs âmes(...) que leur a volé le colonialisme français, féroce et abject, pour les exposer dans ses musés(...) pendant plus d'un siècle et demi, pour s'en vanter et s'en enorgueillir sans honte, sans morale et sans respect de la dignité humaine ». C'est, souligne le chef d'état-major, « la face réelle et hideuse des crimes du colonialisme et de sa sauvagerie ». Il estime que «l'espoir s'est réalisé après beaucoup de souffrance, les héros sont revenus avec les honneurs pour être enterrés aux côtés de leurs compagnons dans le carré des martyrs ». Le chef d'état-major rappelle encore que «ces héros ont été pendant plus d'un siècle et demi dans les abîmes du colonialisme(...), ils étaient objets de chantage, de surenchère et de marchandage de lobbies, résidus du colonialisme, adeptes du racisme(...) ». Chengriha rend hommage au président de la République et à ceux « qui ont travaillé en silence et avec abnégation et patience pour que ces héros reviennent dans leur terre(...) ».

Cette cérémonie « inédite » de rapatriement des ossements de résistants algériens contre la France coloniale a pris fin à 14h15. C'est le premier du genre dans l'histoire de l'Algérie indépendante, ce rapatriement devra faire partie de nombreux autres qui, selon les historiens, devront suivre ainsi que la récupération de beaucoup d'archives et de matériels volés à l'Algérie rebelle par la France coloniale. Les cercueils ont été vers 16h emmenés au palais de la culture sur les hauteurs des Anassers pour permettre aux Algériens de leur rendre aujourd'hui samedi le dernier hommage. Les résistants algériens seront enfouis dans les entrailles de la terre de leurs ancêtres aux côtés de leurs compagnons d'armes et des chouhada de la guerre de libération nationale. Ils seront enterrés au carré des martyrs du cimetière d'El Alia, à l'est d'Alger, demain, dimanche, le 5 juillet, jour de l'officialisation de l'indépendance de l'Algérie.