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Le transport collectif dans la deuxième grande ville algérienne (Oran): Avant, pendant la pandémie du Covid-19 et les perspectives en situation de déconfinement

par R.-

Résumé de l'intervention de Sid-Ahmed SOUIAH* au Premier Colloque Virtuel International sur «Société et Pandémie» 3 et 4/06/2020 Organisé par le CRASC Oran en partenariat avec le Centre de Recherche.

La question des transports collectifs est d'une importance capitale en milieu urbain dense. L'offre de transport collectif, relevant d'une MISSION DE SERVICE PUBLIC, permet la prise en charge des mobilités des citadines et citadins dans l'accomplissement de leurs déplacements pour les nombreux motifs qui les font circuler et se déplacer dans la ville afin de profiter des RESSOURCES que celle-ci leur offre : travail, études, achats, loisirs, soins, visites familiales et amicales, affaires administratives, etc. Tout dysfonctionnement de ce SERVICE introduit des perturbations au sein des sociétés dans leur rapport à l'espace urbain et ses différentes composantes, rendant ainsi très problématique, l'accès aux RESSOURCES de la ville.

Dans cette réflexion à la fois synthétique et voulue très succincte, nous souhaitons attirer l'attention des Pouvoirs Publics sur la situation des Transports Collectifs en milieu urbain que nous examinerons selon trois (03) périodes distinctes : avant la pandémie, durant les mesures de confinement et les problèmes que soulèvent la reprise des transports en situation prochaine de déconfinement. En outre, nous tenons à signaler que cette réflexion est alimentée par les projets de recherche inscrits au CRASC (Division Villes et Territoire) et auxquels collaborent des chercheurs permanents du CRASC, des chercheurs associés des Universités ORAN1 et ORAN2, des chercheurs associés de l'INTTIC (Institut National de Télécommunications, Oran).

- Mise en place d'une plateforme pour la gestion des villes algériennes : la circulation routière dans la ville. Projet financé par la DGRSDT et inscrit à l'actif de l'Agence thématique de recherche en Sciences et Technologie (ATRST) sur appel d'offres « Défis en milieu urbain » et domicilié au CRASC Oran, sous la responsabilité de Rachid NOURINE

- Mise en place d'une plateforme pour la gestion des villes algériennes: Transport collectif à Oran, Projet à impact socio-économique financé par la DGRSDT et domicilié au CRASC Oran, sous la responsabilité de Rachid NOURINE.

- Projet de Recherche et de Coopération bilatérale: PHC Tassili 2020 sur le thème de «La ville algérienne au féminin», domicilié au CRASC Oran et partenariat avec Université Oran 2 Mohamed Ben Ahmed avec Laetitia BUCAILLE (INALCO, Paris) pour l'équipe française et Sid-Ahmed SOUIAH (Université ORAN2) pour l'équipe algérienne.

Les transports collectifs sous la colonisation et les premières années de l'indépendance: Pendant près d'un siècle, le réseau de transport collectif (TC) à Oran a connu des évolutions contrastées et de multiples réorganisations. A ses débuts, dans les premières années 1900,5 lignes de Tramway ont relié différentes parties de la ville à ses espaces centraux. Ensuite, Trolleybus et Autobus ont pris le relais. Les Trolleybus avec leurs perches et fonctionnant avec l'énergie électrique ont disparu depuis (les dernières étant celles du 6, 16, 7 et 17 reliant le centre-ville à Choupot ? Maraval ou à Eckmühl sont restées fonctionnelles les premières années de l'indépendance), mais les Autobus sont demeurés opérationnels. Leur gestion pendant plus de deux décennies après l'indépendance fut confiée à une régie municipale (RC TUO). Durant cette première période post-indépendance, on peut considérer que la mission de service public était assurée par un opérateur public relevant des collectivités territoriales : rotations régulières, arrêts bien matérialisés, système d'abonnement, qualité de service. En outre, le fait de confier ce service à un opérateur public rattaché à la municipalité d'Oran, garantissait la mission de service public pour la prise en charge de la mobilité des citadins oranais.

La dégradation de ce service public va vite arriver !

Elle s'explique par plusieurs facteurs. Les premiers, ceux inhérents au processus d'étalement urbain, indiquent les grandes difficultés que connaît le réseau de transport collectif oranais, qui peine à bien irriguer les différentes parties de la ville et ses nouvelles extensions. Les seconds relèvent plutôt du mode de gestion hybride (public / privé), sans un respect strict du cahier des charges (régularité, ponctualité, sécurité, qualité de service, personnel formé, etc.), ce qui accentue la dégradation amorcée et introduit des dysfonctionnements importants, tirant ainsi vers le bas la mission de service public. Les facteurs liés à l'urbanisation indiquent que les premières extensions spatiales de la ville ont montré l'essoufflement et l'inadéquation du réseau de transport collectif. En effet, les différentes phases d'extension de la ville (ZHUN, Lotissements d'habitat individuel, développement des coopératives immobilières, mise en place des Zones Industrielles, d'activité et de dépôts et des équipements sectoriels), suite à la mise en application de l'Ordonnance sur les Réserves Foncières Communales (1974) ont montré le peu d'efficacité de ce service public, arrivant péniblement à faire face à l'étalement de la ville et au rallongement des distances en empiétant, dans le cas d'Oran, sur les communes limitrophes (Bir El Djir, Es-Sénia et Sidi Chahmi). L'agglomération s'étale sur plusieurs communes en l'absence d'une véritable intercommunalité pour une gestion efficiente des transports collectifs (TC). Ce qui est inconcevable en matière de gestion des transports collectifs, un service nécessairement transversal à plusieurs communes. Les facteurs liés à l'organisation des TC montrent qu'en l'absence d'une réelle intercommunalité dans la gestion des Transports Collectifs, l'Etat autorise la concession de ce service à des opérateurs privés, sans nécessairement assurer un suivi : état des véhicules roulants, fréquence des rotations, sécurité et niveau de confort. A tel point que des dysfonctionnements importants apparaissent : arrêts non matérialisés, absence de signalisation et d'horaires de passage, changements d'itinéraires en cas de difficultés de circulation, etc. Une véritable anarchie s'installe et la qualité de service se voit fatalement mise à dure épreuve, se souciant peu des personnes à mobilités réduite (PMR), des femmes accompagnées d'enfants en bas âge, des personnes âgées ainsi que des éventuels touristes.

L'arrivée du Tramway à Oran améliore considérablement la prise en charge de la mobilité des personnes bien que toute la partie Est avec le pôle universitaire Belgaïd ne soit pas encore reliée, tout comme de nombreuses gares routières, la Zone Industrielle et l'Aéroport International.

L'arrêt des transports collectifs et des taxis durant le confinement

Alors que nos travaux de recherche sont en cours, notre pays est traversé par une crise sanitaire mondiale due à la propagation du coronavirus. Plusieurs wilayate sont touchées par la diffusion du Covid-19 et 3 foyers situés dans la zone littorale apparaissent indiscutablement : un foyer principal autour du dipôle Blida - Alger et deux foyers secondaires, l'un à l'ouest du pays (Oran) et l'autre à l'Est (Bejaïa - Sétif). Ces foyers correspondent à des concentrations urbaines importantes qui furent directement impactées par la diffusion du virus depuis les contrées européennes de la rive nord de la Méditerranée. L'Etat algérien et son gouvernement ont pris toute la mesure du danger sanitaire afin de protéger les citoyens. Des dispositions ont été prise pour limiter la circulation du virus malgré les effets négatifs sur la vie économique et sociale en déployant des mesures précoces et adaptées afin d'endiguer la propagation du virus et en minimiser les traumatismes. Dès le 19 mars, les autorités algériennes ordonnent la fermeture des cafés et restaurants dans les grandes villes, ainsi que la suspension de tous les moyens de transport collectifs urbains et interurbains (publics et privés), ainsi que du trafic ferroviaire. Le pays a aussi décrété la fermeture des écoles, CEM, lycées et universités, des stades, des mosquées et de tous les lieux de rassemblements comme les salles des fêtes, ainsi que l'interdiction des manifestations et la suspension de toutes les liaisons aériennes et maritimes. La suppression du transport collectif urbain et interurbain est une action forte et tout à fait adaptée pour endiguer la diffusion du virus. Nous avons relevé dans nos travaux de recherche les dysfonctionnements du réseau de transport actuel.

En situation de crise sanitaire ce système est un vecteur puissant de circulation et de diffusion du virus : les gestes barrières (distance physique, masques de protection, confort, hygiène et sécurité) sont difficiles à appliquer dans un réseau de transport aux dysfonctionnements multiples.

Les recommandations pour un déconfinement prochain

A la lumière de ce constat, la levée du confinement doit aborder la question du transport collectif avec beaucoup de prudence. La pandémie du coronavirus et les mesures de confinement qui se sont imposées, pour des raisons de santé publique, afin d'endiguer la circulation du virus ont eu un impact négatif sur les activités socioéconomiques d'une ampleur inégalée: un trou d'air brutal, dans l'activité de nombreux secteurs économiques s'est produit à tel point que le déconfinement reste la solution à laquelle il faut tendre pour ne pas compliquer la crise sanitaire actuelle par des crises sociales et économiques dans un futur tout proche. Si la réactivation des transports collectifs est la pierre angulaire dans le processus de déconfinement qui mène vers la relance économique et la circulation des personnes, il est nécessaire d'en examiner les modalités et d'en mesurer les risques pour mieux l'encadrer. Voilà quelques dispositions préliminaires : là où le tramway est fonctionnel, il est recommandé de le remettre rapidement en activité en veillant à appliquer les gestes barrières recommandés et augmenter le nombre de rames et la fréquence des rotations. La non réalisation de certaines lignes de tramway a de lourdes conséquences en temps de crise, notamment les lignes et tronçons suivants :

- La ligne vers l'extension Est de la ville (vers Bir El Djir ? Belgaïd), la plus densément peuplée et qui complète la connexion de la troisième université de la ville (Oran 2) pour en finir avec son isolement.

- La ligne vers l'extension Ouest (nouveau pôle urbain de Misserghin et la zone d'habitat informel de la périphérie pauvre (Les Amandiers, Hassi, Douar Tiartia?)

- Prolongement de ligne Es-Sénia jusqu'à l'aéroport international Ahmed Ben Bella.

Quant au réseau de bus et microbus, la crise sanitaire doit conduire les autorités publiques à revoir fondamentalement ce système. Il est possible de réactiver le secteur public mais il est urgent de mieux encadrer le secteur privé. Il faut toujours avoir à l'esprit que remettre en circulation les bus et microbus avec les pratiques et le mode de fonctionnement d'avant la pandémie est un danger d'une extrême gravité que l'on paiera lourdement.



*Géographe, Enseignant-chercheur à l'Université Oran 2, Mohamed Ben Ahmed, laboratoire EGEAT, Chercheur-associé au CRASC Doctorat 3ème cycle en géographie, Université Lyon 2, 1984 Doctorat en Géographie et Aménagement, Université de Pau et des Pays de l'Adour,1996 HDR en Géographie et Aménagement, Université de Cergy-Pontoise, 2003.

Professeur invité et Maître de Conférences associé, 1992-1997 (Univ. De Pau) Maître de Conférences 1997-2004 (Univ. Cergy-Pontoise) - Professeur des Universités 2004-2013 (Univ. Cergy-Pontoise), puis Professeur Emérite Chevalier de l'Ordre des Palmes Académiques françaises.