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Guerre de libération nationale: Djanina Messali Benkalfat raconte Messali Hadj

par Ghania Oukazi

Le 16 mai 2020 marquait la 122ème année de la naissance de Messali Hadj, le père du nationalisme algérien. Mis à part un ou deux écrits journalistiques, aucun officiel n'en a fait cas.

Le 20 mai dernier, nous écrivions à sa fille pour lui demander de partager avec nous «quelques idées qui vous viennent tout de suite à l'esprit dès qu'il s'agit d'évoquer la Grandeur de l'Homme». Djanina Messali Benkalfat nous a tout de suite répondu pour nous préciser qu'elle a choisi pour cela de reprendre «les passages essentiels» de son intervention lors d'un colloque à L'UQAM (Université du Québec à Montréal), en 2011. Elle rappelle à la mémoire collective les différentes haltes de son père «dont la vie se confond avec l'histoire du nationalisme algérien», écrit-elle. Pour parler de Messali Hadj, note-t-elle, «il est indispensable de le placer dans le temps historique qui a été le sien. Sa vie s'est déroulée dans une période marquée par deux guerres mondiales, la révolution d'Octobre 1917, la IIIème Internationale communiste, le fascisme, le Front populaire, la guerre froide et la fin des empires coloniaux».

Messali Hadj est né en 1898 à Tlemcen. Jeune, il ira à Paris où, dit-elle, «il partage avec ses compatriotes la précarité, le statut d'indigène (...)». Sa fille écrit : «Etant réceptif à une approche révolutionnaire de la question nationale et sociale de l'Algérie, il est à la recherche d'une voie politique. (...) En 1925, il se rapproche du Parti communiste (...), participe aux discussions qui aboutissent à la création de la première organisation nationaliste algérienne : l'Etoile nord-africaine dont il sera le secrétaire général». Sa fille rappelle qu'au Congrès anti-impérialiste de Bruxelles en 1927, Messali évoque pour la première fois l'indépendance de l'Algérie». En 1929, l'ENA est dissoute pour renaître plus tard sous le nom de Glorieuse étoile nord-africaine avec comme programme politique d'inspiration démocratique et socialiste réforme agraire, unité nord-africaine, respect de l'islam et lutte pour l'indépendance nationale dans le cadre d'une Constituante souveraine élue au suffrage universel». Elle note que Messali inventera le drapeau algérien et écrit plus loin que c'est sa mère qui l'a confectionné à Paris en 1933.

«Cette terre n'est pas à vendre»

«Messali est arrêté pour la première fois par la police française avec deux dirigeants de l'Etoile, le 1er novembre 1934 et incarcéré à la prison de la Santé. Une fois libéré, dit-elle, il s'oppose à un projet assimilationniste animé en Algérie par le Congrès musulman, défendu par Ferhat Abbas, certains élus et le Parti communiste algérien (PCA) nouvellement créé». Le 2 août 1936, il saisit, dit-elle, «l'occasion inattendue d'un meeting organisé par ce même Congrès musulman qui se tient à Alger, au stade municipal, pour faire le voyage et porter la contradiction, en présentant le programme de l'ENA. Devant 20.000 personnes, à la fin de son allocution, il se baisse, saisit une poignée de terre et, la tendant vers les tribunes, s'exclame : «Cette terre nous appartient, elle n'est pas à vendre (...). L'Etoile est dissoute par le gouvernement Léon Blum. «De retour en France, le 11 mars 1937, Messali et son organisation fondent le Parti du peuple algérien (PPA)», rappelle sa fille. Août 1937, «Messali connaîtra les bagnes, la déportation, l'assignation à résidence. Incarcéré en Octobre 1938 lorsqu'il est élu à une majorité écrasante, conseiller général d'Alger. (...), le gouvernement de Vichy le condamne «pour refus de collaboration à 16 ans de travaux forcés, vingt ans d'interdiction de séjour, à la dégradation civique et à la confiscation de tous ses biens (...). «En 1944, son initiative politique de faire adhérer le PPA clandestin aux Amis du manifeste et de la liberté constitué par Ferhat Abbas, marque sa rupture avec la politique d'assimilation, devant le succès grandissant du PPA», dit-elle. Elle souligne qu' «au sein des AML, les partisans de Messali deviennent majoritaires. (...) Il est à nouveau arrêté après six mois de résidence, le 17 avril 1938, transféré dans des conditions déplorables à Brazzaville (...)». Elle estime que «ce sera le facteur déclenchant des manifestations du 1er Mai et du 8 Mai 1945, réclamant sa libération qui seront réprimées dans le sang et qui feront des milliers de morts. (...) Libéré en juillet, en novembre 1946, il est élu président du MTLD qui succède au PPA (...)». Les lettrés du MTLD prennent les postes des anciens militants du PPA formés à la lutte révolutionnaire (...), «c'est le début d'une crise qui enfle et qui dégénère en conflit», écrit sa fille. Pour freiner les errements, dit-elle, Messali décide d'une grande tournée pour préparer les esprits à l'action directe.

Une grave crise qui sèmera «haine et confusion»

Djanine en retrace les faits. «A son passage à Orléansville, des incidents avec la police se soldent par la mort de deux personnes. Messali est appréhendé et transféré à l'aéroport militaire de Boufarik d'où il rejoint Villacoublay puis Niort (Préfecture des Deux-Sèvres), mis en résidence forcée. Libéré, il décide la réunion d'un congrès du 11 au 14 juillet 1954 à Hornu en Belgique où 300 délégués sanctionnent d'exclusion, huit principaux dirigeants responsables de réformisme avéré, tous chefs de file de ceux qu'on appellera «centralistes». Ce congrès décide consécutivement de l'engagement du parti dans la lutte armée dès la fin de la session de l'ONU, courant novembre 1954. Inopinément, le déclenchement de cette lutte armée a lieu contre toute attente, le 1er Novembre 1954, précipitamment, dans l'improvisation, à l'insu du MTLD et un nouveau sigle, le FLN, installé au Caire, le revendique. Cet engagement est le fait d'un groupe d'activistes ayant appartenu à l'Organisation spéciale (OS), branche paramilitaire du MTLD, regroupé dans un Comité révolutionnaire, d'unité et d'action (CRUA), dont le coordinateur est à la solde des «centralistes. (...) Les autorités françaises procèdent à la dissolution du MTLD le 5 novembre, à la mise au secret de Messali Hadj, à l'arrestation de la majorité de l'encadrement du mouvement national». Messali arrive à faire passer un appel au peuple algérien afin qu'il rejoigne le maquis. «C'est dans ces conditions que la Guerre de libération commence en Algérie», souligne Djanine.

Durant cette grave crise ouverte au sein du mouvement national qui sèmera haine et confusion (...), Messali et ses partisans, note-t-elle encore, «relancent leur organisation sous la dénomination de Mouvement national algérien (MNA). (...) Les centralistes revendiquent la représentation exclusive du peuple algérien. L'hégémonie du parti unique sera, dit-elle, «conquise au prix fort de la calomnie et de l'insulte de celui qui leur a appris à avoir une conscience nationale. (...) Le FLN décidera lors du Congrès de la Soummam de la liquidation de Messali Hadj et du MNA. A partir de la fin 1956, s'installe en France et en Algérie «une guerre dans la guerre» c'est ce qu'on appellera «les luttes fratricides». Le massacre de Melouza (fief messaliste) interpellera l'opinion et illustrera tragiquement, les assassinats qui se chiffrent d'après les historiens à plus de 10.000 morts. En 1961, Messali ne sera pas convié aux négociations d'Évian (...). L'indépendance se fera sans lui, commence sa longue traversée du désert. Le gouvernement algérien de l'époque lui refuse ses papiers d'identité qui ne lui seront remis qu'en 1973. Messali s'éteint le 3 juin 1974 à Paris. «La mort l'arrache à l'exil pour le rendre à Tlemcen, sa ville natale qui malgré l'hostilité du pouvoir, lui réservera des obsèques grandioses», conclut Djanine Messali Benkalfat.