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Aïd El Fitr et Covid-19: Confusion et incompréhension

par Ghania Oukazi

En application du décret exécutif 20-127 pris par le 1er ministre le 21 mai dernier, les citoyens se sont abstenus d'utiliser leurs véhicules mais rares sont ceux d'entre eux qui ont respecté le port obligatoire de la bavette.

Ceux qui ont des autorisations de circuler ont dû avoir la gorge serrée le 1er jour de l'Aïd El Fitr en empruntant des artères et des grands boulevards d'Alger, vides, sans souffle humain et sans âme. La capitale n'avait pas ces couleurs qui font de l'Aïd un jour exceptionnel pour les musulmans, un jour de fête après un mois de jeûne, d'abstinence et de piété. Pas de véhicule, pas de mouvements de foules. Ceux qui pensent qu'il a fallu en être ainsi pour se préserver contre la menace encore persistante du Covid-19 ont dû s'inquiéter en s'engouffrant dans les quartiers populaires algérois. L'air était à la fête, échanges de visites entre voisins, enfants vêtus d'habits neufs, comme le veut la tradition, des familles entières se déplaçaient de ruelles en ruelles, avec enfants de tout âge et même assiettes de gâteaux à la main.

Nombreuses sont les familles qui se sont rapprochées davantage de leurs pairs voisines parce que leurs proches habitent dans d'autres contrées. Vu sous cet angle, l'Aïd paraissait bien célébré le dimanche dernier. Les femmes sirotaient café et thé à l'intérieur des maisons et les hommes à l'extérieur en grande discussion sur l'évolution de la pandémie mais aussi sur la cherté de la vie. Les derniers jours de Ramadhan, les petites bourses ont été sérieusement érodées. Les prix des fruits et légumes ont flambé. Ni les agitations du ministre du Commerce, ni ses menaces, encore moins ses sorties dans les marchés au milieu de nombreux clients et sans distanciation sociale n'ont réussi à préserver la mercuriale des prix de la voracité des spéculateurs.

Les plus jeunes ont choisi de porter sacs à dos, pour certains, glacières et arpenter les circuits menant aux plages. Il y avait aussi des familles qui se sont installées devant les rivages pour prendre de l'air tant les températures étaient en hausse. Au milieu de tout ce monde qui a bougé, rares sont ceux des citoyens qui portaient le masque.

«Je n'achèterais pas un masque à 60 DA»

Pourtant, le 1er ministre l'a voulu obligatoire pour tous dans les lieux publics «fermés et ouverts». A défaut, les récalcitrants pouvaient écoper de quatre jours de prison ferme ou d'une amende de 10.000 DA. Il est vrai que les Algériens aiment enfreindre les lois pour des raisons simples d'absence d'un Etat qui leur assure leurs droits en contrepartie de leur acquittement de leurs devoirs. Mais le 1er ministre doit surtout savoir que le masque reste toujours introuvable sur le marché. Les quelques fois où il est disponible dans les pharmacies, il est vendu à un prix minimum de 60 DA. «Je ne l'achèterais pas, nous sommes nombreux et je ne pourrais me permettre», affirme un père de famille qui flânait le premier jour de l'Aïd avec ses 5 enfants. «Les images diffusées en boucle par la télévision publique relèvent de la publicité mensongère, on voit des bénévoles, des associations et des policiers distribuer des masques gratuitement à tous les passants et conducteurs dans quelques quartiers mais dans plusieurs autres (la majorité) personne n'est passé, on ne les a pas vus, les pharmacies n'ont pas de masques, comment voulez-vous qu'on applique la loi ?», interroge un jeune homme accompagné de plusieurs autres qui ont approuvé ses propos.

Les décrets pris ces derniers temps ne cadrent pas avec la réalité des choses. «Soit ils sont mal expliquées ou mal interprétés, soit ils sont pris dans des moments de panique sans peser leur faisabilité sur le terrain», pensent des observateurs. Le décret du 21 mai a été mal interprété même par certains agents de sécurité qui ont reproché à des détenteurs d'autorisation de circuler d'être sortis alors qu'ils devaient, selon eux, être munis d'une autorisation spéciale pour les deux jours de l'Aïd. Le communiqué du wali d'Alger affirmant que l'autorisation de circuler durant les heures de confinement restait valable n'a peut-être pas été diffusé au niveau de certains commissariats. Des citoyens l'ont déchargé sur leur mobile pour le montrer au niveau des barrages de contrôle.

Il faut avouer que le mois de Ramadhan a été bien spécial non pas pour avoir eu lieu pendant une crise sanitaire sans précédent mais pour avoir été émaillé par des communiqués provenant de l'Arav (Autorité de régulation de l'audiovisuel).

Une situation d'illégalité persistante

Le dernier en date a rappelé à l'ordre un prédicateur bien connu des milieux populaires. Accusé d'avoir contredit une fetwa de la commission nationale relative à la zakat el fitr, le concerné devait présenter ses excuses publiquement. Ce qu'il a refusé de faire parce que la sanction dépasse à ses yeux le fait et érafle les limites de la dignité. Le plus grave est que le ministre des Affaires religieuses s'est attaqué à lui en lui reprochant d'avoir remis en cause une décision «du hakam», commandeur, incarné en Algérie par le chef de l'Etat. L'on se demande depuis quand un chef de l'Etat décide-t-il -par ricochet- d'une fetwa. Il est probable que les propos de tous, officiels et prédicateur, souffrent d'ambiguïtés et de quiproquos. Mais les textes de loi encore en vigueur sont clairs à ce sujet. Le décret exécutif 16-222 stipule dans son article 8 que «dans la conception et l'élaboration des règles relatives à la programmation et à la diffusion des programmes des services de communication audiovisuelle veillent notamment à l'application des principes suivants», entre autres «le respect des autres références religieuses et des autres croyances et religions». Un théologien souligne que «la diversification des avis dans l'Islam n'a jamais été un délit, à condition qu'elle ne remette pas en cause ses fondements et l'esprit de ses préceptes, ce qui n'a pas été le cas pour le prédicateur». Si le «cheikh» est désormais interdit d'antenne pour avoir violé la loi du «hakam», l'institution et le communiqué émis sont en contradiction avec plusieurs dispositions des textes en vigueur. En premier, les articles 61, 62, 63, 65, 66 et d'autres du code de l'information en vigueur. Et les articles 8, 10 et 11 du décret exécutif 16-222, des articles 22, 24, 25, 27, 28, 40, et 47 du décret exécutif 14-04 relatif à l'activité audiovisuelle et qui oblige l'autorité de régulation de l'audiovisuel à prendre «un cahier des charges générales par décret (qui) fixe les règles générales imposables à tout service de diffusion télévisuelle ou des conditions sonores». Et l'article 48 qui prévoit les prescriptions que doit prévoir le cahier des charges en question.

Prévalant d'une volonté de revoir l'ensemble des textes de sa création, son fonctionnement et ses missions, l'Arav réagit pour l'instant par à coups. Interviewé dans ces colonnes, l'ancien président de l'Arav, Zouaoui Benhamadi, a affirmé en 2017 que «l'Arav n'a pas de statut juridique» et que «le paysage de l'audiovisuel est constitué dans sa totalité de chaînes privées illégales, offshore, qui émettent de l'étranger et qui n'ont aucune existence légale en Algérie, ce n'est pas l'Arav qui peut y changer quelque chose parce que ce n'est pas elle qui leur a fourni tout au début l'agrément qui leur permet d'activer». Cette situation d'illégalité demeure entière à ce jour.