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Présidentielle: Une campagne électorale pas comme les autres

par Ghania Oukazi

Les 5 candidats à la magistrature suprême se préparent à mener leur campagne électorale, à partir du 17 novembre prochain, sur un terrain où ceux qui leur sont hostiles semblent plus nombreux que ceux qui les soutiennent.

Chacune des deux parties prend cependant la rue comme témoin, l'une pour exprimer son acceptation du scrutin du 12 décembre prochain, l'autre son rejet. Alors que ceux qui sont contre marchent depuis le 22 février dernier, d'autres sortent depuis quelque temps, subitement, dans les rues de plusieurs régions du pays pour crier, haut et fort, leur soutien au chef d'état-major de l'ANP, vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah et à sa « décision irrévocable» de tenir des élections présidentielles, le 12 décembre prochain.

Le pouvoir militaire veut, ainsi, faire taire une opposition qui, faut-il le rappeler, n'a aucune alternative autre que celle de sursoir à un scrutin et de plonger le pays dans une période de transition illimitée et incertaine. Il le fait en employant une rigidité absolue dans le verbe et le geste, à l'égard de revendications populaires dont la prise en charge aurait pu dégeler la situation politique du pays.

Du côté des candidats, bien qu'ils ne l'avouent pas publiquement, leurs esprits sont en évidence à la forte appréhension tant ils sentent que le terrain leur est hostile. L'on s'attend d'ailleurs à une campagne électorale « à portes fermées » dans plusieurs wilayas. Les accolades dans la rue avec les citoyens pourraient relever de l'impossible même pour les candidats qui se réclament du «Hirak».         

L'opinion publique fait face à une situation des plus anodines quand on sait que les 5 candidats sont, tous, issus du système en place même s'ils le réfutent mais aucun d'eux ne paraît -pour l'heure- être le candidat du pouvoir militaire.

C'est pour la première fois de l'histoire de l'Algérie que le jeu électoral n'a pas dévoilé toutes ses cartes, et à un mois de la tenue du scrutin, continue de faire l'objet de grandes supputations. Hier, des journalistes s'amusaient à classer les candidats par âarch (tribu) pour essayer de situer chacun d'eux et de tenter d'estimer leur poids en voix face au spectre de l'abstention.

Une campagne électorale d'obédience tribale ?

La décision de Abdelmadjid Tebboune de commencer sa campagne électorale par une visite dans la wilaya d'Adrar et précisément à zaouiet Sidi Belkbir donne le ton à des élections dont les premiers résultats dépendraient, vraisemblablement, beaucoup plus des affiliations et des origines de chacun des candidats, de l'importance de son âarch et des « Saints qui le protègent.» Leurs staffs respectifs de campagne en font, en tout cas, référence en avançant que « chacun des 5 candidats reviendra sur les pas de ses ancêtres pour avoir le plus de voix possible de la région qui l'a vu naître, qui l'a parrainé ou qui l'a adopté.» Si l'on avance que zaouiet Sid Belkbir constitue plutôt sa communauté par alliance, le candidat Tebboune, nait dans la wilaya de Naâma, s'enorgueillit d'être le fils d'une région située au sud-ouest du pays qui brasse de par sa culture et ses traditions tout le Sud jusqu'au fin-fond du Sahara.

C'est pour la première fois que le sud-ouest du pays a un candidat à la plus haute fonction de l'Etat. L'appui des différentes zaouïas à sa candidature le met en confiance et l'assure d'une adhésion indéfectible de tous les chouyoukh et adeptes de cette immensité géographique. L'on dit d'autre part du candidat Azzedine Mihoubi, ce natif de M'Sila, qu'il est « couvert » par le grand âarch Ouled Nayeil qui s'étend sur une grande partie du Centre-est jusqu'aux portes du grand Sud.

Considéré comme ayant une ascendance de « chorfa », Mihoubi pense certainement qu'il sera porté par une « baraka » qui le détacherait -le temps d'une campagne électorale- d'un RDN rejeté par la rue. Abdelkader Bengrina lui, semble asseoir sa candidature sur le courant islamiste qui n'a pas moins de force que les chouyoukh des zaouias ou des ârouch. L'on s'attend à ce qu'il soit soutenu par une mouvance islamiste qui ne serait pas forcément d'essence partisane connue même si certains partis pensent à appeler à voter pour lui. Quant aux candidats Ali Benflis et Abdelaziz Belaïd, l'on dit, d'ores et déjà, qu'ils vont devoir se disputer le terrain de l'est du pays, Batna en premier mais surtout le nord constantinois qui, depuis la nuit des temps, tente de regagner le palais d'El Mouradia et notamment depuis que Mouloud Hamrouche est donné par certains milieux comme étant « le sauveur de la République».

Le temps des promesses

Le nord constantinois a probablement une revanche à prendre sur la suprématie du célèbre BTS (Batna, Tebessa, Souk Ahras) qui s'est imposé, durant de longues années, comme pouvoir absolu qu'il soit civil mais plutôt militaire et en tant qu'élément dynamique du fameux « cabinet noir » qui régentait le pays comme bon lui semblait.

Kabyle de naissance, Batni d'adoption, Abdelaziz Belaïd est l'enfant qui a été formaté jusqu'au bout des ongles par le système en place. Les quatre autres candidats ne sont pas moins apparentés au système pour avoir fait partie de ses différents gouvernements jusqu'à ce qu'il leur ait signifié une fin de mission.

Dès le samedi 9 novembre, jour de la validation des 5 candidatures par le Conseil constitutionnel, c'est le temps des promesses qui s'installe, le temps d'une campagne électorale. Chaque candidat en a pour tous les secteurs politique, économique, social et culturel, pour toutes les catégories professionnelles et sociales, pour tous les âges, pour la femme et les jeunes. Abdelmadjid Tebboune en a 54. Il s'est engagé samedi, à partir de l'hôtel «El Djazaïr» à aller chercher l'argent « là où il se trouve » pour réformer le pays. « Je sais où je dois récupérer l'argent et il y en a, pour le changement, nous nous engageons et nous pouvons,» promet, d'ores et déjà, son slogan aux électeurs.

Tout autant que Tebboune, les 4 autres candidats promettent de créer « l'Algérie nouvelle » avec tout ce que cela suppose et exige comme rééquilibrage des pouvoirs, légitimation des institutions de l'Etat et établissement d'une relation de confiance entre gouvernant et gouverné.

Le changement est ainsi promis alors que la corruption est érigée en mode de gouvernance depuis l'indépendance et mine l'ensemble du pays des hauts de ses décideurs jusqu'aux profondeurs de sa société. Pour avoir occupé de hautes fonctions, les 5 candidats le savent parfaitement.