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Tout est-il politique ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'opposition politique en Algérie. Monographie de Badreddine Mili. Casbah Editions, Alger 2017. 700 dinars, 162 pages.



Voilà donc un ouvrage qui est venu à point nommé, juste avant les élections locales et après les élections législatives... A point nommé, non pas tant pour les électeurs et les citoyens (qui -au vu des chiffres de l'abstention- n'ont plus l'air de goûter à l'ambiance politique du temps présent), mais surtout pour les partis politiques et autres candidats et militants indépendants. Ainsi, tous ceux qui ne se sont pas encore mis «au parfum» (et qui ont l'air d'être assez nombreux) ont une bonne occasion de mettre ou de remettre leur compteur à jour en matière de connaissances politiques.

Car, le paysage politique national -celui de l'opposition puisque l'auteur a délibérément mis, dans le sac du pouvoir, le Fln, le Rnd, Taj, Mpa..., peut-être pour en faire le sujet de son prochain ouvrage- est assez complexe pour ne pas dire très compliqué.

Il y a, donc, globalement, une «opposition historique»; en fait, tous les partis ou mouvements politiques renaissant (comme le Parti communiste algérien, Pca) juste après la fin de la guerre ou nés dans l'euphorie de l'Indépendance (Ffs avec Hocine Aït Ahmed, Prs avec Mohamed Boudiaf, Mda avec Ahmed Ben Bella bien après sa mise à l'écart par un «réajustement révolutionnaire» mené par H. Boumediene, Mdra avec Slimane Amirat...). Ici, il y a aussi des opposants non partisans, des sortes d'«électrons libres», comme Ferhat Abbas, Mohamed Khider, des dirigeants de l'ex-Fédération de France, des militants berbéristes dont Ali Yahia Abdenour, des intellectuels, des ministres ou hauts gradés de l'Anp dont Bachir Boumaza, Ali Mahsas, Tahar Zbiri, Salah Boubnider, Kaïd Ahmed... et beaucoup d'autres ayant, tous, ou presque tous, assumé des fonctions politiques un temps ou assez longtemps, mais «abandonnés sur le quai du messianisme». Opposition historique certes, mais (quasi totalement) «clandestine»..., durant près de quarante années. Avec son lot d'exils, d'arrestations, de répression, de mises à l'écart feutrées ou brutales, et parfois de «disparitions» ( ?!)

Il y a, ensuite, l'«opposition constitutionnelle», issue de la Constitution du 23 février 1989 -avec ses mouvances déclarées : islamiste (expansionniste avec le Fis et/ou gradualiste ou modérée avec le Msp, Ennahda, El Oumma, Plj...), identitaire avec le Rcd, le FFD, l'Udr de Amara Benyounès, Essabil el Badil, le Mak, les Aarouchs (non agréés)..., sociaux-démocrates avec le Psd et le Pnsd, le Pra, l'Anr, l'Udl, Jil el Jadid, Génération démocratique..., la gauche et l'extrême gauche (Mds, Pads, Pt, Pst), les hétérodoxes (Majd, Anr, Wafa, Fd, Talaie El Houriyate), les néo-nationalistes (Ahd 54, Fna...), ceux qui pensent autrement avec des opposants non partisans... Bref, et en conclusion, une bouteille à l'encre où «rien de définitif ne semble acquis ni pour le pouvoir d'Etat ni pour l'opposition...»

L'Auteur : Né à Constantine, études de Droit et de Sciences politiques (Université d'Alger). Plusieurs postes de responsabilité au sein des médias étatiques (radio, ministère de la Communication et de la Culture, Dg Aps, Chargé de mission à la présidence de la République sous le mandat de Liamine Zeroual...). Auteur d'une trilogie romanesque et d'un essai (en 2015), «Les présidents algériens à l'épreuve du pouvoir».

Extraits : «Le président Abdelaziz Bouteflika n'avait, à aucun moment, admis l'idée que l'Algérie et les Algériens étaient prêts, politiquement et culturellement, à vivre sous le régime de la démocratie. Dans la pensée du démocrato-sceptique qu'il était, celle-ci ne saurait fonctionner autrement que selon la mécanique obsolète de la moubayaâ, une gouvernance dirigiste à consonance mystique» (p76). «La plupart des acteurs du Mouvement national qui avaient tenté, en 1962, de renouer, en toute liberté, avec leurs activités politiques, ont été annihilés, empêchés de réaliser leur objectif, en se faisant exploser et émietter en autant d'enseignes fratricides irréconciliables» (p 83). «Les opposants non partisans de l'ère multipartite légale sont moins nombreux que ceux de l'opposition historique des premières années de l'indépendance. Et, bien plus libres de leurs paroles, de leurs actes et de leurs mouvements» (p 136).

Avis : Une courte mais plus qu'intéressante monographie de la vie politique (côté opposition) du pays. Surtout très lisible et compréhensible... avec un auteur qui a fait des efforts méthodologiques et pédagogiques pour aller au-delà de ses propres idées que l'on sait bien arrêtées. A traduire en arabe à destination des étudiants.

Citations : «Par son caractère foncièrement rebelle à l'autorité centrale, la Kabylie n'avait jamais accepté l'injustice. Généreuse dans le sacrifice qu'elle peut consentir sans compter, elle ne s'embarrasse pas de formes pour réagir aux manquements dont elle pense avoir été victime» (p 34). «Toute colonisation est, par définition, barbare, suscitée par une volonté brutale d'imposer son modèle de représentation de soi et du monde, fût-ce au prix de la pire des violences» (p 101). «Le pouvoir d'Etat en Algérie a toujours été d'une extrême complexité, se composant, se décomposant et se recomposant, en fonction des rapports de force, dans le secret absolu de ce que M'hamed Yazid, ancien ministre de l'Information du Gpra, et ancien Dg de l'Institut national d'études et de stratégie globale (Inesg), avait appelé «le cabinet noir» (p 119).



Naufrage judiciaire. Les dessous de l'affaire Cnan. Récit de Ali Koudil. Koukou Editions, Chéraga-Alger 2017. 1.000 dinars, 331 pages.



13 novembre 2004. La nuit. La veille de l'Aïd El Fitr. Tempête et orage violents sur Alger. Une mer déchaînée. Dans la rade d'Alger, des navires sont ballottés par les flots. Au large, à quelques centaines de mètres du rivage, un bateau de la Cnan, le «Béchar», coule..., emportant avec lui ses marins de permanence. Seize morts dont le commandant de bord... qui n'avaient pu être sauvés... faute de moyens de sauvetage.

A qui la faute et qui est le ou les coupables ? Bien sûr, au sale temps du moment. Bien sûr, au manque de moyens rapides et efficaces de sauvetage. Bien sûr, aux lourdeurs bureaucratiques bien connues du pays et qui font traîner les procédures de maintenance (ex : réparation et/ou vente de navires vieillots... car ne pas oublier qu'un autre navire le «Blida» a, lui aussi, été emporté par les vagues pour s'échouer aux Sablettes)... à un certain irrespect des protocoles et des procédures de travail (la veille de l'Aïd, pensez-vous ?). Bien sûr, bien sûr... Mais, un bateau perdu et surtout seize morts et seize familles endeuillées, c'est beaucoup. D'autant que «le président de la République aurait demandé à ce que les responsables du drame soient sévèrement punis». Et, certains journaux et journalistes ont même rajouté de l'huile sur le feu (c'est l'opinion de l'auteur). La justice est donc saisie du dossier... et cinq cadres (dont l'auteur, «en tant qu'armateur», donc considéré comme responsable ( !?) de l'état du navire) se retrouvent -entre autres, car il y a aussi des marins en état d'abandon de poste- au banc des accusés et condamnés à de longues peines de prison. Quinze années de réclusion criminelle.

La suite est une longue et douloureuse histoire. De prison en prison (Serkadji, Berrouaghia, El Harrach), la découverte de l'univers carcéral, avec ses vicieux et ses vertueux, avec ses restes d'humanité et sa promiscuité dégradante, l'attente du panier de la semaine, la rencontre inattendue de personnages ayant fait la «Une» des journaux, de personnages bizarres (dont un imam qui enseignait que la terre est plate, un wali condamné pour corruption et évoquant continuellement un complot, un notaire assez âgé attendant un secours extérieur... et il l'aura, des homosexuels, des malades au stade terminal... Il y avait même un juge détenu, condamné pour corruption), des pratiques étonnantes (ex de l'examen du bac), le «parcours du combattant» avec les avocats et la confection des dossiers, les appels, la cassation, la déprime qui vous gagne, surtout lorsqu'on voit l'état malheureux de la famille... et un temps qui n'arrive pas à passer avec des dossiers qui se traînent, qui se traînent... et qui tuent à petit feu (lire tout particulièrement en p 69 une description fantasmée du bonheur... lorsqu'on est en prison).

24 novembre 2010. Réponse du tribunal aux questions : «Non coupable»... Libération... Joies... Mais, une autre épreuve. Nouvelle enquête, fin 2009, concernant la période de gestion de la Cnan, soit 2002-2004. Nouvelle arrestation (avec 19 autres personnes)... Prison durant un mois... puis liberté provisoire... seulement. Procès en mai-juin 2015. Deux ans de prison. Appel. 2017 : Trois ans ! Cassation... et attente de la décision de la Cour suprême. Entre-temps, toujours interdit de sortie du territoire national. Le cauchemar continue !

L'Auteur : Né en septembre 1948 à Agouni Fourou (Grande Kabylie). Licence en Sciences éco', Dess en transports et commerce (Université d'Aix-Marseille), cadre supérieur de la Bad (Algérie), dans un holding, dans une Sgp et, enfin, Pdg de Cnan Group.

Extraits : «Même en prison, plus on semblait riche et puissant, mieux on se faisait respecter» (p 207). «Ce n'est pas votre culpabilité qui vous entraîne dans les geôles, mais les décisions occultes prises ailleurs que dans les cabinets d'instruction» (p 296). «La justice n'est pas seulement aveugle, elle est également sourde ! Elle ne vous écoute pas, elle ne vous juge pas, elle vous déclare coupable parce qu'une enquête a été diligentée contre vous par les pouvoirs publics; parce que les pouvoirs publics ne peuvent pas se tromper...» (p 325).

Avis : Témoignage plus que réaliste d'un vécu personnel. Bien écrit mais difficile à lire car très, trop émouvant. Conseillé aux enquêteurs, aux juges et aux Proc'... aux futurs «coupables», ainsi qu'aux syndicats d'entreprise... et aux journalistes.

Citations : «En prison, comme dans l'armée, il existe un adage : celui qui, à l'entrée, se croit être un taureau, en sortira telle une vache» (p 21). «En prison, on n'est pas mort, mais on n'est pas vivant non plus. Une longue peine de mort était pire que la mort» (p 55).



Penser ! Eléments pour un manifeste de l'Algérie heureuse. Essais (3ème volume de la série «Nous Autres») sous la direction de Amin Khan. Chihab Editions, Alger 2017. 1.000 dinars, 181 pages.



Une introduction et dix textes dans un volume qui «rassemble, comme une brassée de bois pour un feu nécessaire, des expériences de vie, des traces de savoir, des éclairs d'intelligence, des témoignages de ce que nous sommes, à travers l'espace et à travers le temps». Phrases résumant les contributions :

-«Le remède à toute blessure, c'est la parole dont l'effet salvateur invitera Aimer à ranimer Penser qui de son côté ne craindra plus d'officialiser Lutter qui, à son tour, délivrera un laissez-passer pour Travailler» (N. Metahri)

-«Une civilisation qui a perdu le sens de l'Absolu du Sens doit faire face à la dépression car la dépression touche nécessairement à la question des relations que le sujet établit avec les autres, le social et soi-même» (A. Benyacoub)

-«La construction d'un espace politique autonome se fait par la gestion apaisée des structures communautaires dans le cadre d'une pluralité et d'une diversité intégrées et pacifiées...» (A. Hamdi-Chérif)

-«Penser le développement, c'est d'abord penser ce qui pourrait éventuellement advenir; c'est donc penser ce qui n'existe pas, ce qui est à créer, d'abord par l'imagination» (Amin Khan)

-«Cela peut paraître une évidence que de l'affirmer, mais c'est bien dans la situation coloniale qu'il faut rechercher les fondements de clivages qui ne cesseront de faire valoir leurs effets jusqu'à l'heure» (Aïssa Kadri)

-«Critiquer le système qui régit leur pays est un exercice auquel une grande majorité d'Algériennes et d'Algériens se livrent de manière presque quotidienne» (Akram Belkaïd)

-«...Cet océan d'activité intellectuelle silencieuse et plate qu'est devenue l'université algérienne » (Slim Benyacoub).

-«La poésie, c'est la capacité à dire métaphoriquement le monde, à transcender le quotidien et ses liens, nous ouvrir à la force de l'imaginaire. Et, partant, nous assurer de la promesse des rivages fraternels»... «Poètes brimés, poètes escamotés, poètes exilés, poètes assassinés, autant de stations d'un long supplice» (Abdelmadjid Kaouah)

-«Un artiste est le plus souvent le plus fieffé des menteurs, mais il a beaucoup de mal à se gruger lui-même»... «La génération des musiciens de cabarets est partie sans laisser de trace. Notre aventure (Khinjar) ou celle de T34, quelques-uns s'en souviennent encore. C'est déjà bien» (Sami Benmehidi)

-«Entre 1974 et 1989... les projets (concernant la Bd) succédaient aux projets, les réunions aux réunions, les patronages des organismes aux patronages des organismes... mais rien n'a jamais remplacé M'Quidèch...» (Redouane Assari)

Les Auteurs : Amin Khan (économiste, politologue et philosophe), Redouane Assari (chirurgien-dentiste devenu illustrateur de publications), Akram Belkaïd (journaliste, chroniqueur et nouvelliste), Sami Benmehidi (Chirurgien-dentiste puis infographe et musicien), Abdelkader Benyacoub (docteur en médecine, spécialiste en psychiatrie), Slim Benyacoub (docteur - professeur en écologie), Hafid Hamdi-Chérif (enseignant chercheur en philosophie et en sciences sociales), Aïssa Kadri (sociologue, chercheur, professeur émérite des universités, Abdelmadjid Kaouah (journaliste, poète) Nassima Metahri (psychiatre)

Extraits : «Les appartenances identitaires ne peuvent en aucun cas être réduites à leur seule dimension ethnique, si tant est que l'on puisse prouver que les ethnies existent, ou les définir, sans que ce soit l'autre mot pour dire la race» (A Hamdi-Chérif, p 33).

Du très bon, du bon et du moins bon. De la réflexion complexe et des récits de vie simples et émouvants. Du sévère et du compréhensif. Mais, lire le tout. A méditer. A confronter avec ce que, vous, vous pensez, vous espérez... ou ce que, vous, vous avez vécu.

Citations : «Pour penser véritablement, il faut d'abord vouloir penser, et pour vouloir penser, il faut avoir une certaine conscience de soi» (Amin Khan, introduction, p 10). «Changer le monde est certes un projet grandiose, mais c'est aussi une responsabilité personnelle et une tâche réalisable par chacun» (Amin Khan, introduction, p 12). «Identifier la culture algérienne sous une seule appartenance identitaire, qu'elle soit arabe ou berbère, c'est rejouer l'unitarisme et la prétention au monopole» (A Hamdi-Chérif, p 48). «Le champ intellectuel algérien n'a pas gagné son autonomie et reste redevable de modalités de reconnaissance et de légitimation externes (celles du champ français d'une part et arabe d'autre part) et internes, par l'Etat qui place et qui classe» (Aïssa Kadri, p 70).

PS : Un militant de la cause nationale pleinement engagé, un homme de cœur, un citoyen de conviction, un chercheur universitaire ouvert sur le monde moderne sans oublier le passé, un historien toujours soucieux de l'exactitude et du détail qui compte, un enseignant pédagogue, un intellectuel vrai... Portrait en diagonale de Zahir Ihaddaden décédé samedi 20 à l'âge de 89 ans, à peine quelques jours avant la diffusion de son dernier livre consacré cette fois-ci à son «Itinéraire de militant» (Editions Dahlab, Alger). Un itinéraire qui a commencé très tôt quand, dès 53, étudiant à la fac' des lettres d'Alger, déjà adhérent au Ppa-Mtld, il contribue à la création de l'Union des étudiants musulmans d'Afrique du Nord... La suite ? Une vie continuellement active (dans la modestie, l'écoute et avec franchise) au service du pays. Un parcours exceptionnel. Paix à son âme !