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Pressions, intimidations, abus?: Les magistrats de la Cour des comptes dénoncent

par Abdelkrim Zerzouri

Un profond malaise secoue les rangs des magistrats de la Cour des comptes. Longtemps confinés dans leur réserve, ou parlant sous couvert de l'anonymat lorsqu'ils abordent leurs préoccupations socioprofessionnelles, les magistrats de la Cour des comptes semblent décidés à sortir de l'ombre et dire tout haut «basta !», «les choses doivent changer dans cette importante institution constitutionnelle, qui a pour mission de contrôler les dépenses publiques et où rien ne fonctionne comme on l'aurait souhaité, comme l'exige son statut». «C'est difficile à le reconnaître, à admettre, mais il est pratiquement impossible pour les magistrats de la Cour des comptes d'accomplir leurs missions dans des conditions de travail très aléatoires, non pas par manque de volonté de la part des magistrats, bien sûr, mais parce que l'accumulation de tant de problèmes et de pressions exercées sur eux par des bureaucrates, pour leur mettre les bâtons dans les roues, ne leur permet pas d'atteindre ce qui est attendu d'eux», relève le secrétaire général du syndicat national des magistrats de la Cour des comptes, Ahmed Chikhaoui.

Ce dernier, joint au téléphone, hier, parlera d'un « climat intempestif qui règne au sein de la Cour des comptes, touchant sans exception toutes les catégories professionnelles, à cause de comportements abusifs et de l'ingérence du président et le secrétaire général de la Cour des comptes dans les affaires des magistrats, exerçant un pouvoir actif sur les magistrats et nourrissant des velléités de domination totale sur l'institution, dépassant ainsi ses prérogatives définies par la loi et qui se limite à la gestion technico-administrative et financière de la Cour des comptes ».

Notre interlocuteur abordera l'aspect sécurité des magistrats de la Cour des comptes, une institution qui a la mission sensible et délicate de contrôle des finances publiques, en affirmant que ces derniers ne bénéficient d'aucune « sécurité juridique », pourtant garantie par la loi aux magistrats de la Cour des comptes, face aux pressions et interventions éprouvées dans l'exercice de leur fonction.

« Les magistrats travaillent dans des conditions très difficiles, qui influent négativement sur le moral et le rendement du magistrat, en somme ces conditions et des relations exécrables avec le président de la Cour des comptes sont devenues un véritable obstacle devant l'accomplissement des missions de la Cour des comptes », soutient encore M. Ahmed Chikhaoui dans une déclaration au Quotidien d'Oran. Plus loin encore, notre interlocuteur dénoncera « les dépassements commis à l'encontre du libre exercice syndical », garanti par la Constitution et les lois de la République, ainsi que « le refus de dialogue » malgré tous les efforts déployés dans ce sens par les syndicat des magistrats de la Cour des comptes. Abordant dans ce sillage le cas de la suspension de trois magistrats de la Cour des comptes, M. Ahmed Chikhaoui affirme qu'ils ont été victimes d'un règlement de compte. Une commission interne paritaire a été constituée dans le cadre de cette affaire et, en toute objectivité, elle n'est arrivée à aucun résultat qui incrimine les concernés dans aucun délit, dira-t-il. Non sans rappeler que deux parmi les trois magistrats ont été suspendus après leur élection au mois d'avril 2017 dans le bureau du syndicat.

A ce propos, M. Ahmed Chikhaoui affirme que les trois magistrats qui ont été suspendus, puis réintégrés dans des postes « dévalués » après leur passage devant la commission de discipline à la fin du mois de juin dernier, n'ont pas été poursuivis directement à cause de leur travail mais suite à une lettre de protestation adressée au président de la Cour des comptes, dans le sillage d'une dévaluation financière d'une prime, et dont les termes ont été jugés outrageants. Ce n'est, donc, pas à cause d'un quelconque dépassement commis dans l'exercice de leur fonction, comme certains tentent de le faire croire, qu'ils ont été suspendus.

Reconnaissant, toutefois, que les évènements s'embrigadant ont fait que les magistrats en question paient pour leur intégrité, subissant des pressions insoutenables et des intimidations, avec des preuves à l'appui, arrivant jusqu'à l'humiliation, quand ils ont ouvert le contrôle sur des dossiers de quelques responsables locaux, lesquels responsables sont toujours poursuivis dans des affaires pénales. Dans ce contexte, notre interlocuteur a également affiché son indignation face au silence du président de la Cour des comptes qui n'a rien fait pour protéger les magistrats en question contre les pressions auxquels ils ont été soumis dans le cadre du contrôle au niveau des directions de ces responsables locaux.

Dans cette atmosphère délétère et face à l'absence de dialogue, le syndicat des magistrats de la Cour des comptes s'en remet au premier magistrat du pays, M. Abdelaziz Bouteflika, sollicitant son intervention pour rétablir dans le droit chemin cette situation dangereuse et ce qui peut en découler comme résultats négatifs sur l'institution et le rôle qui lui est conféré, en l'occurrence la protection des deniers publics. On s'attend, donc, à un signal fort et favorable de la hiérarchie, en attendant l'organisation d'une assemblée générale lors de la rentrée sociale, où les magistrats auront le dernier mot sur ce qu'il y a lieu de faire en matière d'autres actions envisagées pour défendre la profession.