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Algérie-France: L'affaire de la photo continue de susciter des interrogations

par Ghania Oukazi

Ahmed Ouyahia a affirmé, samedi dernier, que « le président de la République aurait pu prétexter des raisons d'agenda et ne pas recevoir le 1er ministre français, mais il ne l'a pas fait ».

L'orateur n'est pas n'importe qui. Il est, faut-il le rappeler, ministre d'Etat, directeur de cabinet de la présidence de la République. L'on peut donc sans hésiter prendre ses propos pour une précision officielle. Certes, Ouyahia les a lâchés lors de la tenue des congrès régionaux du RND. Membre élu au nom de la wilaya d'Alger, le secrétaire général par intérim du RND avait assisté au congrès régional centre qui s'est tenu samedi dernier à Zéralda, à l'ouest de la capitale. Mais ce qu'il a dit garde un cachet plus officiel que partisan. Que beaucoup le donnent pour un responsable «dont les jours sont comptés», Ahmed Ouyahia n'en démord pas avec son air suffisant et ses ?'assénassions'' contre tous ceux qui le pensent. Ce jour- là, il malmènera pareillement ses détracteurs avec une grande ironie. Il faut reconnaître que c'est de bonne guerre. Le plus intéressant dans tout ce qu'il a dit sont, cependant, ses propos sur les provocations françaises, en particulier la toute dernière de Manuel Valls qui a tweeté une photo du président Bouteflika totalement affaibli. Au-delà du fait que l'acte est indigne et immoral, notamment venant d'un responsable français d'un aussi haut rang, et même punissable si l'on se réfère aux grands principes de la France relatifs au respect de l'éthique et des droits de l'homme, il a laissé une grande partie de l'opinion publique en proie à des interrogations légitimes. En affirmant que «le président Bouteflika aurait pu ne pas recevoir le 1er ministre français (?) ».

Saïd Bouteflika n'avait-il rien vu venir ?

Ouyahia n'a pas tout dit. Bien sûr qu'il n'est pas attendu de lui de tout dire, d'autant que c'est dans son habitude de titiller la curiosité des analystes et des journalistes et s'amuser à les laisser sur leur faim. Mais pour cette fois, l'événement est trop important et interpelle les observateurs les plus avertis pour tenter d'en comprendre les sous-entendus. « Il n'était pas dans sa meilleure forme », « il n'était peut-être pas dans son jour ou son élément », ce sont des affirmations qu'Ouyahia a mises en avant pour expliquer les difficultés de santé auxquelles fait face Bouteflika. L'on sait que depuis son dernier accident vasculaire, le président n'a jamais été physiquement en forme. Mais en parallèle, de grands neurochirurgiens algériens ont toujours affirmé à ceux qui voulaient des réponses de spécialistes sur son état de santé, que ses capacités cognitives n'ont pas été vraiment touchées et par conséquent, il est tout à fait lucide. Les derniers mois, l'on soutenait dans certains milieux qu'il se serait mis même debout, signe de reprise lente mais progressive de ses facultés physiques. Le plus important est que depuis qu'il est sur une chaîne roulante et reçoit quand même des responsables étrangers, Bouteflika a toujours été filmé par un seul caméraman de la télévision publique et photographié par deux mêmes personnes, le photographe accrédité par la présidence de la République et celui de l'APS. Aucun autre « du métier » ne rentre dans le salon où Bouteflika reçoit, ceci pour des raisons évidentes de « cadrage » absolu et strict de ce que visent les objectifs. L'on apprend ainsi que le montage des prises de vues se fait en présence du frère du président pour qu'aucune imperfection ne paraisse à l'écran ou sur la photo.

Complicité nationale pour coup de Trafalgar français ?

«Ce n'est qu'après avoir été nettoyée et soigneusement montée que la cassette descend au Boulevard pour être diffusée », nous disent des responsables. Connu pour avoir l'œil vif et l'esprit averti, Saïd Bouteflika aurait donc, pour cette fois, commis l'impair de laisser pénétrer une caméra étrangère de surcroît française pour laisser filmer ou photographier son frère « alors qu'il n'était pas dans sa meilleure forme » comme l'avance Ouyahia. « Il est vrai que quels que soient les traits de méfiance qu'on lui attribue, Saïd Bouteflika ne pouvait pas savoir qui dans la délégation française allait tricher à ce point et prendre une photo d'un président mal en point », note un haut responsable. Dans ce cas, une question s'impose, ajoute-t-il alors, « si on sait toujours que les Français ne ratent rien même ce qui relève de l'immoral, pour créer des problèmes à l'Algérie, pourquoi Saïd a-t-il accepté que le président reçoive autant de Français en même temps, il aurait pu exiger que seul Valls rentre dans la salle». Ouyahia a déclaré samedi dernier qu' «il s'agit d'une manœuvre coordonnée par certains entre Paris et Alger». Il a aussi affirmé que «c'est un complot monté à Paris et exploité en Algérie ». La France a donc toujours ses relais en Algérie pour l'aider à exécuter des besognes aussi sales que celle à charge de son 1er ministre. Pourtant, les éléments de ce que l'Histoire appelle « la promotion Lacoste » ne sont plus de ce monde ou alors sont loin des commandes du pays. A moins que les passe-droits des Français sont restés intacts en Algérie à plus forte raison dans la confection de coups de Trafalgar. Ouyahia laisse entendre qu'il y a des complicités «nationales» qui ont aidé à la prise de la photo par les Français ou du moins étaient au courant du «complot» que Valls fomentait. Pourtant, le clan présidentiel a habitué l'opinion algérienne à bien plus de fermeté de sa part, pour ne laisser passer aucun signe alarmant quitte à laisser constamment le doute planer sur la réalité qui prévaut au niveau de la présidence de la République. L'on peut alors raccourcir les détours et penser que les complicités pourraient se terrer au niveau de ce clan en question.

Le nouveau langage officiel contre la France

L'on se rappelle de l'état de santé du président quand il avait décidé de s'adresser à la nation pour l'informer des réformes qu'il comptait entreprendre. C'était le 15 avril 2011, la veille de l'ouverture officielle de «Tlemcen, capitale de la culture islamique ». Bouteflika était apparu à l'écran de la télévision publique très affaibli, sa voix était presque anodine, son geste lent et imprécis. La caméra avait reflété l'image d'un chef de l'Etat complètement malade. L'on a entendu dire à l'époque que son frère Saïd avait refusé qu'elle ne soit retouchée. Un tel effet était alors recherché et voulu. D'autant que le résultat ne s'était pas fait attendre. Une grande partie des Algériens, notamment ceux de la classe moyenne, avait exprimé une grande compassion envers le président. Compassion qui a été entretenue jusqu'au jour de sa 2ème élection lorsqu'il était venu voter sur une chaise roulante. Son image d'un candidat affaibli lui avait beaucoup servi. Il faut noter au passage, qu'en publiant une telle photo, Valls a mis mal à l'aise son président, François Hollande, qui, lui, avait fait croire aux Français qu'il n'avait vu que du feu à propos de la santé de Bouteflika. Vu sous cet angle, « le complot est donc franco-français.» Mais il faut admettre que « l'événement créé » par Valls coïncide avec une conjoncture très floue. Un moment où des analystes pensent que Bouteflika avait une stratégie claire dès son arrivée au pouvoir et que celle-ci semble être arrivée à sa fin puisqu'elle lui a permis d'atteindre des objectifs cruciaux. L'on se demande si aujourd'hui, comme en 2011, n'aurait-il pas besoin de la compassion des Algériens pour décider d'un grand coup de changement qui le mettra à l'abri de toute tentative d'un départ forcé. L'on constate que les choses se précipitent. Comme par hasard, les langues se délient et un grand nombre de responsables en veulent officiellement à la France. Le secrétaire général de l'UGTA appelle même à rompre les relations économiques avec ce pays. Il est connu que tous ceux qui sont en poste ne parlent que quand le feu vert leur est donné. Ce qui se passe depuis un certain temps au niveau de l'APN pourrait confirmer cet état de faits inattendus mais pratiquement coordonnés. Un député sorti du néant demande à Larbi Ould Khalifa de fermer l'hémicycle. Cela s'apparente à une demande de dissolution de l'Assemblée que seul le président de la République peut décider. « Mais à une année de la fin de la mandature parlementaire, pourquoi Bouteflika précipiterait-il les choses ? » interroge un responsable sur un ton douteux. La Constitution lui garantit de nombreuses prérogatives qui lui permettent de décider de changements au moment qu'il veut. L'année 2016 pourrait en être l'année charnière.