Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

(De Genève I et II aux Accords de Vienne, un 2ème Yalta) Pourquoi Russes et Américains doivent mettre un terme à la guerre civile en Syrie ?

par Medjdoub Hamed

Selon le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, «le cessez-le-feu entre Damas et l'opposition syrienne prévu par le processus engagé à Vienne, samedi (14 novembre 2015), lors de la réunion du Groupe international de soutien à la Syrie, devrait aider considérablement les efforts pour combattre le groupe Etat islamique. « C'est un pas de géant », « si nous pouvons le faire [?] Nous sommes en théorie proches en termes de semaines de la possibilité d'une grande transition en Syrie ». Il a ajouté : « Nous ne parlons pas là de mois, mais de semaine avec un peu de chance ». (1)

1ère partie

Peut-on partager cet optimisme quand on sait que non seulement la Syrie est devenue un champ de ruine, mais l'Irak est aussi un pays dévasté par plus de 30 ans de guerre et d'embargo. Et aujourd'hui ces deux pays sont traversés par des guerres interconfessionnelles où chaque faction n'aspire qu'à conquérir plus de territoire.

1. ACCORDS DE GENEVE I

Pour comprendre les accords de Vienne I et leur impact sur la guerre civile en Syrie, il est important de rappeler les accords de Genève I et II.

Le 30 juin 2012, l'émissaire international Kofi Annan annonce que les États membres du groupe d'action sur la Syrie se sont mis d'accord sur les principes d'un processus de transition politique dirigé par les Syriens. (2) «La formation d'un gouvernement d'union nationale, qui pourrait inclure des membres de l'actuel gouvernement et des membres de l'opposition, se fera sur la base d'un consentement mutuel, a déclaré le représentant spécial de la Ligue arabe et des Nations unies pour la Syrie. Le groupe d'action sur la Syrie a par ailleurs souligné l'importance de la mise en œuvre de réformes constitutionnelles et l'organisation d'élections libres et justes.»

Interrogé sur l'avenir du président syrien Bachar Al-Assad, Kofi Annan souligne que le « document est clair sur les grandes lignes directrices et les principes pour assister les parties syriennes alors qu'elles avancent dans la transition et établissent un gouvernement de transition et effectuent les changements nécessaires». L'avenir de Bachar Al-Assad «sera leur affaire». Pour la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, l'accord ouvre la voie à la formation d'un gouvernement national de l'après-Assad». «Assad doit toujours partir», a-telle déclaré lors d'une conférence de presse. Elle a ajouté : «Ce que nous avons fait ici, c'est détruire la fiction selon laquelle lui et ceux qui ont du sang sur les mains pourraient rester au pouvoir. Washington travaille à un nouveau projet de résolution de l'ONU prévoyant les conséquences réelles et immédiates» en cas de non-respect.

Pour le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, « Le gouvernement de transition défini dans l'accord « sera choisi par consentement mutuel, ce qui exclut les massacreurs ». Dans ces conditions, « il ne fait pas de doute que le président Bachar Al-Assad doit quitter le pouvoir ».

Quant aux ministres des affaires étrangères russe et chinois : « La manière précise dont le travail de transition [?] est mené sera décidé par les Syriens eux-mêmes ». (Sergeï Lavrov) et « Un plan de transition « ne peut qu'être dirigé par les Syriens et être acceptable pour toutes les parties importantes en Syrie. Des personnes de l'extérieur ne peuvent pas prendre des décisions pour le peuple syrien » (Yang Jiechi)

Que peut-on dire de l'accord de Genève I et des positions occidentales sur cet accord ? Tout d'abord l'absence manifeste des représentants du régime syrien et de l'opposition armée rend difficile son application. Surtout qu'il n'est pas suivi d'un programme de rencontres entre les parties syriennes en conflit. Tout juste un appel à un « gouvernement de transition » et le « consentement mutuel » qui est déjà battu en brèche par les parties occidentales qui se concentrent sur le départ de Bachar Al-Assad du pouvoir, alors que, selon l'accord, c'est aux Syriens eux-mêmes de trancher sur la question. Il est évident que ces injonctions obéissent aux intérêts géostratégiques que les États-Unis et la France ont dans la région. Ce qui met ces accords « conditionnés » et en porte-à-faux avec les aspirations légitimes du peuple syrien, pour lui permettre de déterminer lui-même son avenir.

2. UNE HUMANITE DE PLUS EN PLUS DESHUMANISEE

La crise syrienne va entre mi-2012 et janvier 2014 empirer, les destructions de la guerre augmenteront l'exode des populations hors de leurs foyers. Des millions de Syriens se trouveront dans des camps en Turquie, en Jordanie, en Afrique du Nord et des milliers d'embarcations de fortune mèneront des « immigrants surtout syriens », au péril de leur vie, vers l'Europe. Des centaines de milliers de familles sont éclatées, pour une partie dans les camps de toile turcs et jordaniens, pour un autre mendiant en Afrique du Nord, pour d'autres noyés dans la mer Méditerranée, ou ceux qui atteignent les rivages européens et américains mis, ils sont mis sous surveillance.

Ce que l'on constate dans les 700 000 immigrants en majorité syriens en Europe, c'est cette désolante détermination des pays européens (Slovénie, Autriche, Croatie?) d'ériger des clôtures de barbelés à leurs frontières pour ne pas laisser entrer des Syriens devenus de pauvres hères humains désormais apatrides. Parqués dans les camps, ballotés de pays en pays, refoulés par des clôtures de barbelés en Europe, une multitude noyée en mer, des millions d'êtres humains n'ont désormais que Dieu pour les défendre. Et où est la solidarité des peuples, tous humains par essence ?

Aux États-Unis, par exemple, un pays qui accueillait déjà très peu les réfugiés syriens ont voté hier (le 19 novembre 2015) les représentants du Congrès américain, une loi pour restreindre leurs arrivées. Le motif invoqué : la crainte qu'ils cachent des djihadistes.

Le candidat noir et républicain à la Maison Blanche, Ben Carson, compare les réfugiés syriens, fuyant la guerre civile et la violence, à des « chiens enragés ». « Ben Carson, neurochirurgien à la retraite et l'un des prétendants les plus sérieux au poste de candidat républicain à l'élection présidentielle de 2016, s'est exprimé lors d'une étape de sa campagne dans l'Etat d'Alabama, au sud des Etats-Unis. « Nous devons faire la part des choses entre la sécurité et l'humanitaire » a dit M. Carson, à propos de l'accueil de réfugiés syriens sur le sol américain.

« Si un chien enragé s'aventure dans votre voisinage, vous n'allez probablement pas en penser du bien. Et vous mettrez probablement vos enfants hors de son chemin. Cela ne veut pas dire que vous détestez tous les chiens », a-t-il dit. Ben Carson a demandé la mise en place « de mécanismes de contrôle qui nous permettent de déterminer qui sont les chiens enragés ». (3)

Cette déclaration témoigne de la pensée égoïste de l'homme qui n'a plus de compassion pour son prochain, ne pensant pas qu'un jour que ce qui arrive à la Syrie peut arriver à l'Amérique. Prime aujourd'hui pour les pays riches, parce qu'ils sont en avance économiquement et scientifiquement, que leur confort et leur vivre uniquement pour-soi, alors que les malheurs qui s'abattent sur les autres peuples proviennent souvent des manœuvres subversives des pays riches qui convoitent leurs richesses. L'inhumain, malgré les formidables avancées dans les sciences et les droits de l'homme, continue de gagner une humanité de plus en plus déshumanisée.

3. ACCORDS DE GENEVE II

Après Genève I, Kofi Annan annonce, le 2 août 2012, sa démission de son poste de médiateur de l'ONU et de la ligue arabe en Syrie. Pour rappel, Kofi Annan a été désigné pour ce poste le 23 février 2012. C'est l'Algérien Lakhdar Brahimi qui va succéder, le 17 août 2012, à Kofi Annan et prendre son bâton de pèlerin pour tenter de ramener les parties syriennes en conflit armé à la paix. S'il reçoit le soutien des pays occidentaux, de la Chine, de la Russie et des pays alliés, il va à la fin de sa médiation s'apercevoir que sa mission était tout simplement « impossible ».

Mais la situation sur le terrain va se complexifier. La guerre qui va fait rage entre les troupes gouvernementales et les rebelles aura des conséquences humaines et matérielles considérables. Plus de 200 000 morts et des centaines de milliers de blessés, des villes détruites ou partiellement détruites par les effets des bombardements. La militarisation du conflit, les aides étrangères en matériel de guerre et au recours du djihadistes étrangers, comme naguère en Afghanistan et en Irak, permirent à l'opposition armée d'engranger des victoires tactiques. Des régions entières de la Syrie sont entre les mains des insurgés. Au Sud, les provinces de Deraa, de Soueïda et dans le sud de Damas. Au centre, Hama, Homs sont en partie sous contrôle des rebelles. Au Nord, Idlib est pratiquement tombé aux mains des rebelles. A Alep où les combats font rage, le front s'enlise jusqu'à ce que, bien plus tard, l'appui aérien russe vienne desserrer l'étau sur les forces loyalistes en octobre 2015. L'Etat islamique qui va se proclamer califat à la mi-2014 est désormais de la partie dans les combats en Syrie.Et c'est dans ce contexte d'embrasement que l'envoyé onusien, Lakhdar Brahimi arrive, pour la première fois, depuis le début du conflit en Syrie en mars 2011, à réunir les représentants du régime syrien et de l'opposition à la même table de négociation, le 25 janvier 2014. A 10h 30, les deux délégations étaient réunies à Genève, autour du médiateur de l'ONU chargé du conflit syrien.

Mais la rencontre ne donnera guère de visibilité à la crise syrienne tant l'opposition et le régime restaient cramponnaient à leur propre lecture du communiqué de Genève I (juin 2012), qui sert de référence à la conférence. Les anti-Bachar Al-Assad se concentraient sur la clause qui appelle à la formation d'un gouvernement transitoire doté des pleins pouvoirs, ce qui signifie le départ de l'actuel président du pouvoir. La mise en place de cet organe sans Bachar Al-Assad devient la clé de sortie de crise.

Il était évident qu'une telle revendication pour la délégation du régime syrien était inacceptable. Surtout « que le président syrien a annoncé dans un entretien à l'AFP qu'il y avait de « fortes chances » pour qu'il soit candidat à un nouveau mandat en juin, excluant de confier les pouvoirs à un opposant ». (4)

Devant ce dialogue de sourds entre l'opposition et le gouvernement syriens, le médiateur algérien de l'ONU, après trois semaines de discussions à Genève, mit fin le 15 février 2015 à la conférence, sans fixer aucune date de reprise.

Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a rapidement réagi, condamnant l'attitude du régime syrien, qui a bloqué toute avancée sur l'établissement d'un gouvernement de transition et multiplie les violences et les actes de terreur à l'encontre des populations. Faisant allusion à la Russie, M. Fabius poursuit : « Ceux qui exercent une influence sur le régime doivent l'amener au plus vite à respecter les demandes de la communauté internationale ». (5)

4. CRITIQUE DE LAKHDAR BRAHIMI, APRES SA DEMISSION DE SA FONCTION ONUSIENNE POUR LA SYRIE

Deux mois plus tard, après l'échec de la conférence Genève 2, le 13 mai 2014, Lakhdar Brahimi annonce sa démission de sa fonction de médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe en Syrie.

Que peut-on dire de ces deux conférences, Genève 1 et 2 ? La mission de médiation, il faut le dire, dès le départ, était vouée à l'échec. Pourquoi ? Lakhdar Brahimi, dans une interview accordée à L'Orient Le Jour, en donne un aperçu. Aussi, écoutons-le ! (6)

Chloé Domat (L'Orient Le Jour). ? Depuis quatre ans maintenant, la guerre fait rage en Syrie. Le bilan est très lourd : plus de 200 000 morts, 1 million de blessés, la moitié de la population syrienne déplacée. Quelle est votre appréciation de la situation ?

Lakhdar Brahimi. ? J'ai l'impression que tout le monde se rend un peu plus compte que c'est un problème extrêmement sérieux, mais il semble que les gens qui ont les moyens d'y mettre fin ne soient pas prêts à faire les concessions nécessaires à une solution.

C. D. Pendant près de deux ans, vous avez été l'envoyé spécial de l'ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie. Vous avez mené les négociations. Pourquoi votre mission a-t-elle échoué ?

L. B. ? Elle a échoué parce que les protagonistes les plus importants à l'intérieur de la Syrie d'abord ? mais aussi, il faut le dire, à l'extérieur de la Syrie ? continuaient à avoir pour objectif une victoire totale. Le gouvernement a toujours affirmé que c'était une conspiration qui venait de l'extérieur et qu'il faisait son devoir pour protéger la population syrienne. De l'autre côté, les opposants au régime, c'est-à-dire les Syriens et ceux qui les soutenaient à l'étranger, ont toujours dit que la solution commencerait par le départ du président Bachar Al-Assad et la chute du régime. Ni l'un ni l'autre n'envisageait une solution autre que l'imposition de son point de vue. Je ne me faisais pas d'illusions. Je savais très bien que ce serait très difficile, mais nous n'avons pas fait de progrès et donc à un certain moment il fallait bien dire «ça suffit». C'était en réalité le meilleur et le seul moyen dont je disposais pour attirer davantage l'attention sur ce problème très douloureux et qui coûte tellement cher au peuple syrien.

(?)

C. D. ? Parlons de ce nouvel acteur : l'organisation de l'État islamique. Il n'existait presque pas quand vous meniez les négociations, comment pèse-t-il dans la balance aujourd'hui ?

L. B. ? Il existait mais on ne regardait pas dans cette direction. Il s'agit d'une organisation irakienne, qui a pris la suite d'Al-Qaïda et s'est étendue vers la Syrie. Tout le monde la voyait mais personne ne faisait attention parce que tout le monde était concentré sur le fait de se débarrasser du régime de Bachar Al-Assad. Entre temps cette organisation s'est autoproclamée État, califat, mais ça ne change pas grand-chose. Ses membres ont une présence réelle, cependant je dis depuis le premier jour qu'ils seront vaincus. Combien de temps cela va-t-il prendre ? Tout dépend de la coopération entre différents pays. Depuis quelques mois, une coalition menée par les États-Unis intervient militairement contre l'organisation de l'État islamique en Syrie et en Irak.

(?)

A suivre...

Notes :

Cette analyse qui fait suite aux articles déjà parus dans le Quotidien d'Oran, El Watan, et résumés dans http:/www.sens-du-monde.com (site de l'auteur) cherche à donner une lecture herméneutique événementielle explicative de l'histoire du Moyen-Orient, une région centrale du monde par ses atouts géostratégiques. Les analyses qui ont précédé sont :

- «Prospective par l'«histoire» d'une sortie de crise et des guerres civiles en Irak et en Syrie. Le Printemps arabe, un nouveau «Pearl Harbour» ?», par Medjdoub Hamed. Le 03 novembre 2015. Le Quotidien d'Oran

- «Des guerres interconfessionnelles au Moyen-Orient aux bouleversements géostratégiques du XXIe siècle : Les véritables dimensions des conflits armés», par Medjdoub Hamed. Le 14 septembre 2014. Le Quotidien d'Oran

- «Le Chaudron Moyen-Oriental », par Medjdoub hamed. Le 07 octobre 2014. Le Quotidien d'Oran

- «Les Occidentaux risqueront-ils une confrontation avec la Syrie ? » Par Medjdoub Hamed. Le 04 août 2012. El Watan

- «Le Moyen-Orient, nouveaux Balkans du XXIe siècle ? Une logique d'embrasement ? » Par Medjdoub Hamed. Le 02 septembre 2012. El Watan

1. « John Kerry : La Syrie peut-être à quelques « semaines » d'une transition politique », par Les Echos.fr. Le 17/11/2015

http://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/021484974681-john-kerry-la-syrie-peut-etre-a-quelques-semaines-dune-transition-politique

2. « Accord à Genève sur les principes d'une transition en Syrie », par Le Monde.fr. Le 30 juin 2012. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/06/30/accord-a-geneve-sur-les-principes-de-la-transition-pour-la-syrie

3. «États-Unis : Le républicain Ben Carson compare les réfugiés syriens à des «chiens enragés»», AFP. Le 20 novembre 2015

https://fr.news.yahoo.com/etats-unis-républicain-ben-carson-compare-réfugies-syriens-064047279.html

4. «Genève 2 : Malgré l'accord pour «être dans la même salle», le blocage entre régime syrien et opposition ne fait aucun doute», par Le Huffington Post. Le 24 janvier 2014

http://www.huffingtonpost.fr/2014/01/24/geneve-2-syrie-regime-opposition-etait-a-prevoir

5. «Syrie : Les négociations de «Genève 2» se terminent par un échec», par Le Monde.fr. Le 15 février 2014

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/02/15/syrie-les-negociations-de-geneve-2-se-terminent-sur-un-echec

6. «Brahimi sur la Syrie : «Nous nous sommes tous trompés»», par l'Orient Le Jour. Le Jour 19 mars 2015

http://www.lorientlejour.com/article/916538/brahimi-sur-la-syrie-nous-nous-sommes-tous-trompes.html