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C'est M. Sellal, tout de même !

par Abed Charef

Entre le retour de M. Ahmed Ouyahia et le discours de M. Abdelmalek Sellal, l'Algérie se perd. Et les dirigeants perdent leur crédibilité, essentielle à l'exercice de l'autorité.

C'est l'évènement de ce mois de mai 2015. Plus important que le remaniement ministériel, plus médiatique que le départ de Xavi du FC Barcelone, plus symbolique que la prise de Palmyre par Daech, le retour de M. Ahmed Ouyahia au RND va bouleverser l'échiquier politique du pays. Selon les initiés de la vie politique algérienne, le ministre d'Etat, directeur de cabinet du président de la République, va reprendre les commandes de « son » parti, dont la « base militante » le réclame. Abdelkader Bensalah, qui a remplacé Ouyahia à la tête du parti lorsque celui-ci a été mis à l'écart, serait contesté par des cadres qui souhaitent une « dynamisation » des structures du RND. M. Bensalah a accepté son sort et serait prêt à remettre la maison RND à son propriétaire, sans faire de vagues, dit-on.

M. Ouyahia navigue ainsi sans difficulté entre son poste de ministre d'Etat, chef de cabinet du président de la République, et celui de patron du RND. Comme s'il changeait d'affection, dans un pays où le RND serait une sous-direction du pouvoir, comme l'UGTA serait le bras social du DRS. D'ailleurs, plusieurs journaux ont écrit que le retour de M. Ouyahia a été avalisé « en haut lieu», dans ces endroits mystérieux où se jouent le sort du pays et le destin des hommes.

Dans ce jeu, on ne sait ce qui est le plus grave. Est-ce le fait que le président Abdelaziz Bouteflika, du reste peu respectueux de la constitution et des lois, dicte lui-même la musique dans ces allers-retours, franchissant les lignes jaunes sans tenir compte de l'impact de ses décisions sur les institutions? Est-ce le fait que M. Ouyahia, qui trouve là un moyen de rebondir en attendant des jours meilleurs, se prête à ce jeu ; est-ce cela qui est troublant? Ou est-ce le fait que l'opinion algérienne se soit accoutumée à ce jeu et le considère désormais comme normal?

Légalité

Le président Bouteflika, toujours lui, a ordonné de procéder, « sans délai », à des changements à la tête des entreprises publiques économiques et des institutions administratives. Par ce procédé, le chef de l'Etat a clairement violé la loi.

Un chef d'Etat n'ordonne pas de la sorte. Il a des prérogatives constitutionnelles et légales qu'il exerce.

La nomination de certains dirigeants de banques et d'entreprises obéit à des règles et des procédures précises. Personne ne peut, légalement, les contourner. Ces règles permettent de savoir qui fait quoi, qui est responsable de quoi. Quand le chef de l'Etat, gardien de la Constitution et des Lois, agit de la sorte, il contribue à démolir ce qui reste de l'esprit républicain et légaliste.

Il montre clairement aux Algériens que la loi ne s'impose pas à tous, et qu'ils doivent éventuellement se plier à d'autres règles qu'à la loi. Comme s'il les incitait à s'éloigner de la loi au profit de l'allégeance, clanique ou régionale, de la soumission à l'argent ou à d'autres sources de pouvoir.

Ces pratiques ne sont, à l'évidence, pas nouvelles. Elles se sont même banalisées, au point de devenir un mode de gestion. Mais en ces temps où le gouvernement ne sait pas par quel bout prendre la crise, il n'est pas inutile de rappeler des éléments primaires : ce type de discours nuit à la loi, aux institutions, ainsi qu'aux hommes politiques eux-mêmes.         

Ceux-ci perdent ce qui leur reste de crédibilité, et donc d'autorité. Avant, les responsables tenaient un discours, mais ils avaient une pratique décalée.

Maintenant, même dans leur discours, ils ne respectent plus les formes. Ils se laissent aller à des dérives graves.

Le discours politique devient du simple bavardage sans intérêt. Il produit l'effet inverse de ce qui est attendu.

Du Sellal

C'est ce qui s'est passé avec le discours de M. Abdelmalek Sellal lors de sa rencontre avec les cadres du secteur de l'Energie. Prenant un ton grave, le Premier ministre a déclaré que la situation économique du pays était pour le moins complexe et nécessitait un effort collectif dans lequel les cadres et travailleurs de Sonatrach auraient un rôle central. Il a annoncé une réduction des dépenses publiques en raison de la baisse des ressources de l'Etat. M. Sellal a aussi rappelé qu'il « y a un gaspillage dans la consommation des carburants, ainsi que de la contrebande». Il a plaidé pour une « rationalisation de la consommation ». Mais il a aussitôt précisé que cela « ne va pas se traduire par une hausse des prix des carburants », bien que « le montant de la subvention augmente d'année en année ». « Nous n'allons pas augmenter les prix, qui sont un acquis social », a-t-il insisté.

Parmi cet auditoire qui écoutait doctement M. Sellal, le nouveau ministre de l'Energie et le nouveau patron de Sonatrach restaient dubitatifs. Tous deux savent que le prix du carburant est un élément essentiel dans la rationalisation de la consommation. Les cadres du secteur, dans leur écrasante majorité, partagent ce point de vue, tout comme les économistes plus ou moins crédibles, ainsi que ceux des institutions internationales. Comment, dès lors, prendre au sérieux M. Sellal, et considérer qu'il est porteur d'un projet viable pour le secteur, alors qu'il insiste sur une subvention absurde? C'est M. Sellal, pourra-t-on toujours objecter. Mais tout de même!