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Lakhdar Boukerrou, directeur régional à l'Université de Floride, au « Le Quotidien d'Oran » : «L'Algérie peut mieux faire»

par Mokhtaria Bensaâd

Présent à la 4ème Conférence annuelle sur les changements climatiques et le développement de l'Afrique CCDAIV, organisée entre les 8 et 10 octobre, à Marrakech, le Dr Lakhdar Boukerrou, un chercheur algérien, occupant le poste de directeur régional à l'Université internationale de Floride (FIU) gère, actuellement, le programme de l'Initiative Approvisionnement en Eau, Assainissement et Hygiène de l'USAID-Afrique de l'Ouest (WA-WASH), financé par le gouvernement fédéral américain, pour les pays de l'Afrique de l'Ouest, le Burkina-Faso, le Ghana et le Niger.

En tant que spécialiste du secteur WASH, en Afrique et en Europe, il nous parle, dans cet entretien des changements climatiques et leur impact sur le continent, des fonds mobilisés pour financer les projets, en Afrique et de l'expérience algérienne dans ce domaine.

Le Quotidien d'Oran: Vous êtes le seul Algérien présent à la CCDAIV. Vous êtes venu pour représenter l'Algérie ou l'Université de Floride ?

Lakhdar Boukerrou: Je suis présent à la conférence en tant que scientifique. La question n'est pas de représenter un pays ou un autre, mais de représenter les connaissances que nous avons et de les partager. Je travaille, beaucoup, dans le domaine des changements climatiques, la sécurité alimentaire et l'interaction avec l'eau. Je gère un projet financé par le gouvernement fédéral américain pour les pays de l'Afrique de l'Ouest, le Niger, le Burkina-Faso et le Ghana. Je peux dire que l'aspect du changement climatique n'est plus un sujet à débattre, mais une réalité qui représente une grande menace pour l'Afrique.

Dans cette conférence, nous avons débattu des effets néfastes du changement climatique qui sont très visibles, dans certains pays. Déjà l'érosion côtière a atteint une zone d'habitation qui il y a quelques années était loin de la côte. Actuellement, on voit l'érosion qui a envahi toute la plage. Il est donc, très important, de faire des études et des évaluations pour savoir, exactement, où nous en sommes et quels sont les problèmes qui se posent, spécifiquement.         C'est un travail qui doit se faire, au plus haut niveau et au plus bas possible, lorsqu'il s'agit d'un pays. Quand on parle d'un pays, c'est un ensemble de communautés. Par exemple, pour les communautés côtières en Algérie, quels sont les risques ? Pour les communautés qui se trouvent dans les zones semi-arides, est-ce qu'elles vont être affectées avec des pluies qui seront moins fréquentes et des températures beaucoup plus élevées. Dans les pays de l'Afrique de l'Ouest, où il fait très chaud pendant les huit mois de l'année, l'évaporation de l'eau des barrages constitue 25% de pertes. C'est beaucoup. Donc, il faudrait penser à faire des études de vulnérabilité, au niveau, le plus loin possible. En Algérie, nous avons des zones géographiques qui sont très diverses. Nous avons le désert, la steppe, les montagnes et chacune de ses zones va être affectée, différemment. Il faut qu'on sache, exactement, quelles sont les réponses que nous devons apporter et se préparer pour.

Q.O: Croyez-vous qu'à travers l'organisation de ce genre de conférences, le problème des changements climatiques peut être résolu ?

L.B: Tout ce qui a été discuté, lors de cette conférence reste de l'abstrait, s'il n'est pas mis en œuvre par les pays et par les organisations concernées. La plus grande responsabilité est entre les mains des personnes, dans chaque pays et au niveau des institutions qui sont chargées de mettre en œuvre de telles idées. Par exemple, en Algérie, comme dans d'autres pays, il faudrait que nous tirions, de ces conférences, les leçons et les recommandations et voir comment nous pourrions les adapter dans notre pays.      Comment nous pourrions mettre en œuvre certaines de ces recommandations. Il faut aussi partager ce que nous avons comme connaissances. La présence d'Algériens à ces conférences est, certes, très importante mais ce n'est pas le seul endroit où l'on peut contribuer. Il y a beaucoup d'espaces au niveau africain et régional où il y a beaucoup d'opportunités pour contribuer et apprendre des autres. Il ne s'agit pas de créer la roue. Il s'agit de voir ce que nous pouvons apprendre car il faut être ouvert aux connaissances.

Q.O: Une idée sur les recherches qui sont réalisées en Algérie sur les changements climatiques ?

L.B: Le travail qui se fait en matière de recherches et en matière d'enseignement, en Algérie, est assez conséquent mais faut-il encore qu'il soit quelque chose de plus pratique. Il y a pas mal d'investissements dans ce domaine. Il y a un travail qui se fait mais il faut voir le côté pratique et la mise en œuvre de tout ce travail.

Il y a une contribution aux institutions internationales par des Algériens. Mais, nous pouvons faire mieux. L'Algérie a investi, énormément, dans le domaine de l'eau et résolu beaucoup de problèmes d'accès à l'eau potable, au niveau rural ou urbain.     Des barrages ont été construits. Donc nous avons une expérience et des connaissances que nous pouvons partager et valoriser avec d'autres pays.

Q.O: Comment arriver à un consensus entre les pays africains sur les changements climatiques si sur le plan politique, la situation est tendue entre certains d'entre eux ?

L.B: Le niveau politique opère dans un domaine supérieur au niveau scientifique. Mais les deux domaines se croisent. A mon avis, quand ils se croisent, le côté politique n'est pas trop néfaste au côté scientifique. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas fermer la porte à la science.

On peut fermer la frontière mais on ne peut pas fermer le partage des connaissances. Avec le développement technologique qui existe, les gens se parlent et sont en contact pour partager l'information.

L'Algérien qui veut trouver les résultats de recherches au Maroc, il peut y avoir accès.  Le Marocain qui veut avoir accès aux connaissances, en Algérie ou en Tunisie, il peut le faire. Il y a aussi ces participations aux conférences. Là où le côté politique influe, c'est quand il s'agit d'avoir une vision ou une représentation de l'idée africaine. Très, prochainement, au mois d'avril, il va y avoir le Congrès mondial de l'eau, prévu en Corée du Sud. On doit se présenter là-bas, avec un programme africain et une vision africaine. C'est là où tout devient compliqué. Car avant d'arriver à une vision africaine, il faut avoir une vision régionale du fait que les quatre régions de l'Afrique sont différentes. Donc, quand on parle de l'Afrique du Nord, il faut que les Africains de l'Afrique du Nord se mettent d'accord. C'est à ce niveau que ça devient compliqué. Mais le consensus est possible, du point de vue environnement et climat, entre les pays africains du fait qu'ils vivent, tous, le même problème. S'ils sont intelligents, ils doivent, tous, se mettre d'accord.

Q.O: Que va défendre l'Afrique à la Conférence des Nations unies, sur le changement climatique COP 21, prévue, à Paris en 2015 ?

L.B: Ce que l'Afrique doit défendre au COP21 est l'impact que ce continent subit, à cause de la pollution. L'Afrique ne pollue pas. Son problème est qu'elle subit la pollution des autres. L'Afrique a une opportunité unique de bien défendre ses intérêts, parce que c'est un continent en voie de développement. C'est le seul continent où la croissance économique est de près de 10% depuis ces cinq à dix dernières années.           Là où l'Afrique a un rôle, très important, à jouer, c'est de profiter des connaissances qui existent, ailleurs, pour en tirer profit et éviter les problèmes des autres et défendre la position de l'Afrique en disant : la pollution ce n'est pas nous qui la créons. Je pense qu'il y a plusieurs moyens de faire pression directement. De cause à effet. Vous polluez, vous payez. C'est ce genre de mécanismes qu'il faut mettre en place et ce n'est pas facile puisque vous avez affaire à des pays qui polluent et les négociations ne seront pas faciles.

Q.O: Faut-il créer un nouveau modèle de développement qui soit différent du modèle occidental. Les fonds mobilisés par la Banque africaine de Développement (BAD) sont-ils suffisants ?

L.B: Il ne faut pas réinventer la roue mais aussi, il ne faut pas faire les erreurs que les autres ont déjà commises. Aujourd'hui, le modèle de développement économique d'un pays doit être basé sur la durabilité de l'utilisation des ressources et des énergies renouvelables. En Algérie, il y a plein de soleil qui n'est pas exploité. Il y a aussi l'énergie éolienne et la biomasse.

Pour investir dans ce domaine, Il faut faire la différence entre un investissement coûteux, aujourd'hui, mais qui, à long terme, est profitable et un investissement moins coûteux mais qui, à la longue, va vous poser beaucoup de problèmes. Si demain, il n y aura plus de pétrole ou si les prix chutent, qu'est-ce qu'on va faire ? On va, certainement, avoir beaucoup de problèmes. Ce qui manque, en Afrique, est qu'il n'y a pas de politique, à long terme. C'est ce qui fait la différence entre les pays en voie de développement et les pays développés. Quant aux fonds mobilisés par la BAD, ils ne représentent rien du tout. Ce n'est pas suffisant. La recherche coûte cher. D'autant plus qu'on parle, à l'échelle continentale. Il faut chercher d'autres fonds et s'autofinancer. Il faut, aussi, impliquer le privé dans les projets à réaliser sur le climat. Le gouvernement doit jouer un rôle de régulateur.