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Concours pour la chefferie de service de la santé : Quand l'aptitude n'est plus un critère

par Ghania Oukazi

C'est au nom de «la continuité pour la stabilité » que deux ministères clés du gouvernement Sellal ont entériné des textes réglementaires qui relèguent le critère d'aptitude au dernier rang dans un secteur en proie à des dysfonctionnements attentant à la vie humaine.

Alors qu'un énorme branle-bas de combat est enclenché au sein du corps professoral de la santé depuis que les résultats du concours pour la chefferie de service sont connus, les ministres de tutelle, à savoir l'Enseignement supérieur et la Santé, se confinent dans un silence assez singulier. Une telle situation est en effet rapportée depuis près d'une semaine par la presse nationale, mais elle n'a suscité aucune réaction d'aucune des deux autorités politiques compétentes. Il est en effet indéniable que les bévues à l'origine de cette cacophonie autour des résultats d'un concours national relève des strictes responsabilités politiques des deux tutelles.

Le rappel des procédures entreprises à l'effet de la tenue d'un concours fortement réclamé par les enseignants hospitalo-universitaires expliquent bien cet état de fait. Son organisation a été codifiée par un arrêté interministériel datant du 25 juillet 2012 paru dans le Journal Officiel n° 43 et cosigné par Rachid Hraoubia et Djamel Ould Abbès alors respectivement ministre de l'Enseignement supérieur et ministre de la Santé. L'arrêté en question fixe les modalités d'organisation et de déroulement du concours pour la nomination au poste supérieur de chef de service hospitalo-universitaire. C'est un concours national qui se fait sur titres et travaux scientifiques et pédagogiques. Il est ouvert aux professeurs hospitalo-universitaires ainsi qu'aux maîtres de conférence hospitalo-universitaires classe A justifiant de deux années d'exercice effectif en cette qualité (Art.2). Dans son article 3, l'arrêté stipule que ce concours est décidé par arrêté interministériel fixant le nombre de postes à pourvoir par spécialité et structure hospitalo-universitaire, la composition des dossiers de candidature et le lieu de leur dépôt, les dates d'ouverture et de clôture des inscriptions et enfin les conditions et voies de recours éventuels des candidats non retenus pour y participer. L'article 8 stipule par ailleurs qu' « après évaluation des titres et travaux scientifiques et pédagogiques, les jurys procèdent au classement par ordre de mérite des candidats. Le 18 décembre 2013, les deux ministres, Harouabia alors toujours à l'Enseignement supérieur et Abdelaziz Ziari venu remplacer Ould Abbès à la Santé, ont effectivement cosigné l'arrêté prévu. Dans son article 5, l'arrêté qui ouvre le concours prévoit en annexe une grille d'évaluation des dossiers de candidature. C'est un document comportant les coordonnées des candidats mais surtout leur cursus professionnel et le barème de sa notation.

LES PREUVES QUI ECRASENT L'APTITUDE

Première aberration. Le point 4 de la grille demande aux candidats les activités scientifiques qu'ils ont publiées dans des revues spécialisées ou des communications orales « locales, nationales, internationales» ou «affichées postées ». Ceci, sans en circonscrire le nombre. C'est le point qui a permis aux candidats de compenser ce qui leur manquait dans les autres rubriques. Pour grossir le nombre des communications, il leur était possible simplement de remplir une attestation à chaque fois que se tenait un congrès ou une rencontre sur la santé. Un peu plus haut, au point 1, il est demandé aux candidats de fournir dans le dossier des polycopiés, validés par les comités pédagogiques, qu'ils auraient distribués aux étudiants de graduation et de post-graduation, maquettes et supports pédagogiques, productions audiovisuelles et iconographiques (CD, films d'intervention chirurgicale ou d'une éducation sanitaire validés par des institutions pédagogiques.) Il n'était donc pas question pour les candidats de prouver leur compétence ou leur assiduité dans le travail au niveau des centres hospitalo-universitaires (CHU). Dernier point, il leur fallait démontrer qu'ils ont participé à la prise en charge de patients ou à la formation dans les zones des Hauts-Plateaux ou du sud du pays. C'est-à-dire dans des régions où il n'y a point de CHU. Ces points n'ont pu en aucun cas être évalués d'une manière exacte en raison du peu de temps que les jurys avaient avant de délibérer.

UN SIMPLE DECOMPTE DE POINTS

Douze jurys ont été en effet constitués pour statuer sur les dossiers durant deux jours et procéder, le 3ème jour, aux délibérations. Les jurys n'ont fait que le décompte des documents qu'ils avaient dans les dossiers, juste en chiffres pas en manuscrits. L'aptitude a été ainsi écrasée par de fausses preuves scientifiques.

Il faut reconnaître que l'arrêté codifiant ce concours a été signé pour des raisons de paix sociale. Les ministres l'avaient fait lorsque le secteur de la santé était en pleine tourmente, quand les syndicats déclaraient le secteur en grève tournante et les patients étaient pris en otage. Il est d'ailleurs affirmé au niveau des tutelles que l'arrêté a été fortement inspiré par les membres du syndicat des enseignants hospitalo-universitaires et a reçu l'aval des doyens pour être enregistré par les directeurs des ressources humaines des deux ministères. Il semble ainsi que c'est au nom de « la continuité pour préserver la stabilité et la paix sociale » que les ministres actuellement en poste ont eux aussi entériné l'arrêté. L'on apprend en effet que Mebarki et Boudiaf ont refusé tous deux d'y toucher, même s'ils ont reconnu, selon des sources qui leur sont proches, que certains articles sont aberrants.

L'examen des dossiers a eu lieu entre le 15 et le 30 mai dernier. Il a concerné 323 candidats. 150 d'entre eux se sentent lésés depuis l'annonce des résultats. L'arrêté d'ouverture du concours ne prévoit aucun statut de recours. Eux, ils appellent carrément à l'annulation des résultats.

Une fois connus, les résultats doivent être rendus officiellement publics. Mais avant, ils seront en principe remis la semaine prochaine aux deux ministres de tutelle « pour lecture et aval». Les affectations seront remises en plénière en présence de tous les concernés, en tenant compte « de l'ordre de mérite dans le choix des postes à pourvoir».