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Lutte antiterroriste et sécurité dans le Sahel et le Maghreb : L'UE veut impliquer l'Algérie sur le terrain

par Ghania Oukazi

Les Européens cherchent à faire signer à l'Algérie un accord global sur la sécurité dont la mise en œuvre concernerait toute la région sahélienne et maghrébine.

C'est en substance ce qui se laisse entendre à travers les discussions qui ont été menées durant ces derniers jours par deux de leurs représentants du domaine auprès de plusieurs autorités algériennes.

Leurs représentants respectifs pour la région du Sahel et la coordination dans la lutte antiterroriste se défendent en premier de reconnaître que l'intervention militaire de la France dans le Mali a poussé au pourrissement dans la région. «L'intervention ne pouvait pas régler tous les problèmes, elle était ponctuelle ; tout le monde s'est trouvé devant le fait accompli ; la France avait des moyens disponibles pour stopper les agressions, elle a décidé d'intervenir», affirme Michel Reyverand de Menthon, le représentant de l'UE pour la région du Sahel. Il avoue pourtant, qu'«il y a (toujours) beaucoup de groupes terroristes très divisés, (?) on connaît combien la situation est mouvementée». Il veut, par dessus tout, faire «trouver un consensus entre les groupes en action». Entre autres actions lancées à cet effet, dit de Menthon, «l'UE forme des militaires maliens, apporte des aides humanitaires, accorde des soutiens à beaucoup d'ONG, sans compter son parrainage de la conférence des donateurs tenue à Bruxelles le 15 mai dernier et qui a collecté une aide budgétaire appréciable». Il tient à rappeler que «l'UE a commencé par le développement ; la sécurité est venue plus tard (on lui accorde seulement 20% en terme de décaissement, alors que 80% des financements vont vers le développement)».

Le coordonnateur de l'UE pour la lutte antiterroriste va, lui, vers l'essentiel et souligne que «l'unité de fusion et de liaison (UFL) (branche renseignement, ndlr) du CEMOC (Commandement de l'état-major commun), est une initiative qui nécessite d'être renforcée par une aide en matière de formation et d'expertise». Il affirme même que «l'Algérie a fait part de sa disponibilité pour que les agents de l'UFL reçoivent une formation».

A LA RECHERCHE D'UN DROIT DE REGARD SUR LE CEMOC ET L'UFL ?

De Kerchove considère que le renseignement s'impose pour «une approche préventive en matière de sécurité dans la région». Il rappelle que la dernière réunion du CEMOC à Niamey s'est consacrée à l'amendement d'une charte à cet effet. L'on note que le commandement en question est constitué de quatre pays (l'Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger) appelés «pays du champ». Alger, faut-il le rappeler, a toujours refusé que le CEMOC s'ouvre à d'autres pays et considère ainsi que ce sont ces quatre pays qui sont le plus concernés par la sécurisation la région (le champ). Un principe qui n'agrée ni les Européens encore moins les Américains qui ont déjà demandé à ce que le CEMOC soit ouvert par exemple au Maroc. Ce qui leur permettra d'avoir ce droit de regard qu'ils imposent à toute entité étrangère. Le CEMOC a son siège à Tamanrasset.

Le coordonnateur de l'UE pour la lutte antiterroriste salue le fait que «l'Algérie ait développé des actions concertées avec les forces tunisiennes». De Kerchove n'omet pas de noter que de «jeunes combattants rejoignent la Syrie du Maroc jusqu'en Turquie et l'Algérie n'en est pas plus immunisée ; elle l'est peut-être un peu par rapport à la Tunisie et la Libye d'où des jeunes partent le plus». Il a dit que «l'Algérie a commencé à développer des coopérations vraiment importantes avec la Libye». Coopération qu'il souhaite devenir triangulaire en incluant l'UE. Pour ce qui est des armes qui ont été larguées en Libye par les forces de l'OTAN ou distribués par les services de renseignements occidentaux aux rebelles, le responsable européen fait savoir que les USA procèdent au ramassage des missiles sol-sol. Il reconnait qu' «il y a un vrai problème avec les armes au Soudan et dans le Sinaï en Egypte ; on serait bien inspiré d'être plus rapide en Syrie qu'on l'a été en Libye. Il faut mettre le paquet parce qu'il y a une prolifération d'armes qui risquent de déstabiliser toute la région du Moyen-Orient». Le représentant de l'UE pour la région du Sahel tiendra un autre discours par lequel il affirme que «le marché des armes était là en Afrique avant la crise en Libye». Il souligne que «l'Europe se sent pleinement partie prenante dans la sécurité, parce que l'Europe et l'Afrique, c'est une histoire commune».

«LE CONSENSUS AUTOUR DU PAIEMENT DES RANÇONS PROGRESSE»

En attendant, Gilles de Kerchove reconnaît au passage qu'à ce jour la communauté internationale n'a pas donné de définition au terrorisme mais, a-t-il précisé, «il lui a été défini le champ d'application». Il évoquera pour cela, la convention juridique qui est actuellement en débat à New York et qui devra venir en soutien à la stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme, adoptée à l'unanimité par les Nations unies. Le spécialiste européen s'engage à préciser que le terrorisme et le trafic de drogue ne sont pas forcément liés dans la région. «Notre analyse est qu'Aqmi n'est pas directement impliquée dans le trafic de drogue». Mais, corrige-t-il, «ça ne veut pas dire que l'argent de la drogue ne circule pas dans la région». Il évoquera aussi l'argent des rançons.

De Kerchove annoncera alors la tenue «dans deux semaines à Alger, d'une réunion du forum global pour la lutte contre le terrorisme pour en continuer les débats». Il déclare que «le consensus autour de cette question progresse». Il a d'ailleurs noté qu'une première réunion du genre a été aussi tenue l'année dernière à Alger et s'est focalisée sur l'examen d'un mémorandum sur la condamnation du paiement des rançons.

Autre chapitre de coopération encouragé, «on est en train, dit de Kerchove, de mettre sur pied à Malte un centre pour la formation des magistrats et de la police judiciaire des pays des printemps arabes».

L'UE additionne l'ensemble de ses politiques et de ses actions et semble chercher à gagner du terrain pour faire admettre à l'Algérie la signature d'un accord cadre global régional sur la sécurité. L'on apprend que les discussions sur ce dossier ont été enclenchées en 2006 mais piétinent quelque peu. Le représentant de l'UE pour la région du Sahel a affirmé qu' «on cherche à formaliser un mode d'emploi pour suivre véritablement les avancées et inventer des projets communs parce qu'on sait qu'on est dans une dimension transfrontalière». Il recommande ainsi «de réfléchir sur une coopération transfrontalière à l'appui d'un accord de stabilisation de la région».

Il est connu que l'Algérie a toujours mis en avant des principes qu'elle classe «immuables» quand il s'agit de sécurité et de lutte antiterroriste. La non ingérence dans les affaires internes des pays ainsi que le refus de faire intervenir ses troupes militaires en dehors de ses frontières en sont les principaux. Des «dogmes», jugent les Européens qui pensent qu'il faut que l'Algérie s'en débarrasse très vite en raison de la détérioration profonde de la situation sécuritaire dans la région. C'est donc une sorte de mémorandum d'entente sur la sécurité régionale que l'UE cherche à faire avaliser à l'Algérie pour la voir certainement intervenir en cas de conflit en Afrique particulièrement dans les pays limitrophes. En clair, il est question de lui faire faire la salle besogne pour éviter aux pays occidentaux le gaspillage de leur argent en ces temps de crise économique et financière avérée.