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A quoi servent les élections chez nous ?

par Aissa Hireche

Finalement, il est irréfutable que plus nous nous approchons de l'horizon, plus il s'éloigne et nous échappe.

En Algérie, en tout cas, chaque fois que nous osons ouvrir les paupières de l'espoir pour quelques temps, quelque chose vient inévitablement les refermer pour quel que éternités. Une sorte de malédiction nous suit ou, peut-être, nous précède. Qui sait ?! une malédiction qui nous retient collés au sol et à la boue nauséabonde alors que les nations nagent dans les cieux du progrès. Quelque chose, quelque part, veut que nous restions ainsi, à la traîne, derrière tout le monde, sur tous les plans. Depuis l'indépendance, le verbe inutile a été l'unique outil de gestion alors que le mensonge en a constitué la méthode la plus peaufinée. Pendant ce temps, les ressources du pays ont été mal exploitées, les hommes mal utilisés, le temps mal investi. Les incompétents se sont bien amusés des décennies durant. Et le pire dans tout cela c'est qu'il ne nous reste même plus la force, et encore moins l'envie, de tenter une énième fois de rouvrir les paupières de l'espoir. Ni pour nos enfants ni pour nous-mêmes ! Cela fatigue à la longue, cela éreinte !

Vers quelles élections ?

Vers quelles élections nous invite-t-on donc ? Vers celles qui nous mèneraient sur le chemin réel du progrès pour le bien du peuple ou vers celles qui vont reproduire le modèle qui nous a tant coûté en temps, en hommes, en argent et en sueur pour finalement nous abandonner bêtement sur le trottoir poussiéreux de l'humanité ? Vers quelles élections nous invite-t-on donc ? Vers celles que nous avons toujours attendues ou vers celles que nous n'attendrons plus jamais ?

A force de voter, les peuples ont vu leur quotidien s'améliorer et leur avenir s'éclaircir devant des générations qui n'ont plus rien à craindre de l'avenir. Depuis le temps que les urnes ont appris à dire la vérité, elles ont raconté des multitudes d'histoires. Celles des peuples qui ont définitivement quitté les ténèbres de la pensée unique malsaine et débile de surcroît. Celles des citoyens qui se sont soudain mis à rêver des lendemains meilleurs après des années de guerres atroces ou de guerres civiles indescriptibles. Celles de civilisations bâties sur les urnes, le sourire au cœur et les cœurs à l'horizon. Celles des nations qui ont fait le bond salvateur entre le sous-développement et le développement. Depuis que les élections sont devenues un réel mécanisme de choix des hommes aptes à diriger les pays et les peuples, beaucoup de nations se sont élevées sur l'échelle du bien-être et ont amélioré leur qualité de vie. Il n'y a que ceux qui continuent à forger le mensonge et à forcer les urnes à mentir qui ne progressent pas. Qui reculent. Comme nous le faisons chaque fois ! Pourquoi faudrait-il que nous soyons si différents des autres? De ceux qui votent, à chaque fois, pour le nouveau, pour le meilleur, pour le préférable ? Pourquoi faudrait-il que nous ne connaissions qu'un seul et même refrain que nous devons murmurer durant plus de cinquante ans alors que les autres changent de refrain et carrément de chanson à chaque veille d'élection comme ils changent les bougies à chaque nouvelle aube ?

Vers quelles élections nous appelle-t-on donc cette fois ? Vers celles qui ont permis l'assassinat aveugle de l'école et la détérioration sauvage de l'université ou vers qui celles qui n'ont pu empêcher tant de dégâts causés aux hôpitaux et au service public en général ? Vers celles qui ont permis à la corruption de se généraliser tel un cancer invasif que plus rien ne peut arrêter ou celles qui ont lubrifié les chemins de la « médicorisation » irresponsable ? Vers celles qui ont servi d'alibi pour déraciner nos repères les plus profondément ancrés dans l'histoire ou celles qui ont aidé à sauvagement hacher nos valeurs ?

Depuis le temps que nous allons aux élections avec l'espoir que cela va aider le pays à mieux se sentir? et l'on a aujourd'hui l'impression que l'Algérie appartient à certains mais pas à d'autres. A ceux qui savent escroquer, mentir, trahir et, surtout, qui ne savent rien faire. Les bras cassés ! Une Algérie où certains se sentent obligés de se cacher derrière des prénoms, comme celui de Meriem par exemple, pour oser dire ce qu'ils veulent faire entendre.

De quoi demain sera-t-il fait ?

N'y aurait-il donc plus d'espoir ? Sommes-nous condamnés à continuer à ainsi vivre d'une échéance électorale à l'autre sans possibilité d'espérer mieux que le présent ou d'aspirer à meilleur avenir ? Le pays a une grande histoire, qu'en avons-nous donc fait ? Un récit qui change selon les temps et au gré des narrateurs ! Il a de grandes richesses, qu'en avons-nous ? Des bourses bien remplies de pièces d'or à jeter à tous vents lors des fêtes, des visites et des festivals ! Il a d'énormes compétences humaines, qu'en avons-nous fait ? Soit de la chair pour le poisson de la méditerranée soit des serviteurs pour des seigneurs d'ailleurs, sous d'autres cieux. Pourvu qu'ils ne gênent pas, qu'ils ne se fassent pas entendre. Sans planification, sans stratégie, sans objectif clair, nous avons vogué des décennies durant. Tel des étrangers venus de nulle part sur des mulets crevés nous avons sans cesse entretenu le mythe du vendeur du tissu Mais où allons-nous enfin ? Quelqu'un sent-il le danger de la démarche ? Quelqu'un réalise-t-il le risque du comportement ? Quelqu'un sait-il évaluer les pertes causées par un tel chaos ? qui n'avance recule, dit le proverbe, et l'on est sûr que chez nous on n'avance pas. On ne reste même pas au même niveau. Notre aujourd'hui est chaque fois pire que notre hier et le temps nous a appris que notre demain sera, chaque fois, pire que notre aujourd'hui. Que pourront donc encore nous apporter des élections ? A part les prétentions malsaines de certains et les ambitions déplacées des autres, à quoi devrons-nous nous attendre ? A quoi peuvent donc servir les élections chez nous ? A légitimer l'incompétence ? A fêter la prétention? Ou, peut-être, à ériger des totems en l'honneur de l'inaptitude et de la médiocrité ? Et si nous cessions d'élire ? Si nous nous contentions de nommer tout simplement et pour toujours ? Au moins les maires, les députés et les présidents seraient moins stressés à l'approche des échéances. Ce serait toujours cela de gagné du moment que nous ne pouvons rien gagner d'autre.

La fin du mensonge ?

Si la réussite s'évalue selon des critères, il en est de même pour l'échec. Or notre échec est valable et il est total sur toutes les échelles et selon tous les critères sans exception, de sorte à ce que personne ne pourra un jour prétendre avoir fait quelque chose de positif pour le pays, ou pour le peuple. Nous avons bu la misère du mépris jusqu'à la lie. Existe-t-il une fin pour le mensonge ? Nous aimerions tant que tant de choses changent de par elles-mêmes, de par la fatigue des uns, l'ennui des autres, la lucidité de ceux-ci, l'intelligence de ceux-là?Plus rien ne va chez nous même notre humour a cessé d'être de l'humour pour ressembler plus à des grimaces depuis que nos comédiens miment sans trop de vie et depuis que nos comiques ont juré de nous éloigner de la télévision même durant le mois de Ramadhan. Est-ce à force d'avoir été aux urnes que nous avons fini par en déformer le sens et l'objectif ? Est-ce parce que nous avons trop banalisé les élections qu'elles ne nous importent plus ? En tous cas, le mensonge a trop duré et l'on ne se réveille plus que par le mensonge, l'on ne dort plus que par le mensonge et, chaque jour que Dieu fait, nous nous nourrissons de mensonge. A quand donc la fin de ce mensonge ? A quand doit-on reporter encore le moment où nous aurons à nous réveiller sur une vision claire de l'avenir du pays, comme tous les autres peuples ? A quand doit-on encore reculer le moment où nous aurons à nous endormir avec la ferme certitude que demain sera meilleur qu'aujourd'hui, comme les autres peuples au moins ? Tant d'élections ont été organisées par notre pays depuis 1962 et cela ne nous a pas empêchés pour autant de patiner sur place depuis cinquante ans. A quoi servent-elle finalement ?