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L'emir, le vrai, le grand

par Belkacem Ahcene-Djaballah

La bonne nouvelle ! Enfin, il y «aura», bientôt, un film sur l'Emir Abdelkader. Il était temps ! Décidemment, nos héros n'ont pas la vie facile avec nos contemporains. Souvent ignorés, parfois incompris, de temps en temps déchirés par leurs «héritiers»? et quelquefois «jalousés». Pourtant, ils sont bel et bien morts. Peut-être à cause de l'image et les empreintes laissées dans l'imaginaire populaire. Les héros de nos guerres de résistance ne mourront jamais? film ou pas film.

Il est à espérer, seulement, qu'on les montre avec leurs qualités mais aussi avec leurs défauts, ? Car, un héros parfait (ça n'existe nulle part? sauf en Algérie), c'est-à-dire portraituré de manière «lisse» et/ou austère, est rarement accepté et «digéré» par les nouvelles générations.

La dernière nuit de l'émir. Un roman de Abdelkader Djemai. Editions Barzakh. Alger 2013 (Le Seuil, 2012), 167 pages, 600 dinars.

Seuls les sexagénaires et plus connaissent combien le talent de Abdelkader Djemai ne date pas d'aujourd'hui. Après un passage dans l'enseignement (et Dieu sait combien les enseignants des années 60 et 70 étaient de qualité), il est parti faire du journalisme. Où ? A La République (d'Oran) alors dirigé par (feu) Bachir Rezoug, qui avait réuni alors, autour de lui, du temps du ministre M-S Benyahia, une équipe d'«enfer» pour faire du quotidien oranais le journal le plus influent ? et le mieux écrit (on n'a guère fait mieux jusqu'ici? et les styles ont ? involué, compliquant l'écriture et la compréhension). Une signature devenue alors célèbre et respectée, aux côtés de bien d'autres : Ouasti, Safer, Mezali, Benamadi, Bouchène, Rezigui?

93 : L'exil. Des livres et des livres. Des prix aussi. Dans la discrétion la plus totale comme il sied à tout grand écrivain.

Son dernier-né, sur l'Emir Abdelkader, n'est ni une fresque historique, ni un roman, ni un essai. Un peu de tout. La vie, le combat d'un homme hors du commun. L'exil d'un personnage exceptionnel, homme de progrès, de dialogue et de tolérance qui a marqué non seulement l'Algérie, mais l'humanité. Vivement le film, en espérant quelque chose de grand, comme le bonhomme. Et, pourvu que la «famille révolutionnaire» et la famille tout court ne s'en mêlent pas trop.

Avis - Un livre qui se lit goulûment, tant l'écriture est claire, fluide et les évènements décrits avec simplicité mais précision. Vous commencez avec hésitation, déçu, peut-être, par ce qui a été tellement écrit précédemment sur le héros? mais vous allez très vite, le premier chapitre terminé, être emporté, transporté dans un océan d'émotions.

Extraits : «Je n?ai point fait les événements : ce sont les événements qui m'ont fait ce que j'ai été «(p 105), «Il fut l'un des premiers combattants à pratiquer la guérilla, qui n'était pas enseignée dans les écoles militaires «( p. 115), «Respectueux de l'autre, le fils de Mahieddine disait qu'il ne faut jamais demander l'origine d'un homme : pour savoir qui il est, il faut plutôt interroger sa vie, son courage et ses qualités» ( p 129), «La science est l'arme suprême, le sabre n'étant jamais que l'instrument de ceux qui ont renoncé à régner par l'esprit» (p 137)

La vie d'Abd El Kader. Un recueil d'entretiens et de souvenirs de Charles Henry Churchill (Introduction, traduction et notes de Michel Habart) Enag Editions. Alger 2006, 335 pages, 600 dinars.

Enormément d'écrits sur l'Emir Abdelkader, mais l'ouvrage de Charles Henry Churchill, un ancien colonel de l'armée britannique (défendant, bien sûr, les intérêts stratégiques de son pays), fortuné, installé au Liban (et l'introduction qui l 'accompagne, signé Habart ), devenu ami de l'Emir, est, à lui seul, bien suffisant pour (presque ) tout savoir, tout comprendre de cet homme qui était devenu (et il le reste encore) un véritable héros des temps modernes, avec une popularité internationale inégalable. Son spectaculaire sauvetage des chrétiens de Damas en 1860 n'a fait qu'accroître sa popularité. Les «Abdelkaderiens» de l'époque avaient même l'ambition de le «placer» Empereur d'Arabie. Il est vrai qu'à l'époque l'Ottoman était exécré. L'Amérique n'a-t-elle pas donné son nom à une de ses villes. C'est tout dire ! Pourquoi ? Jeune, beau, guerrier, cavalier et chasseur hors pair, homme de religion, orateur, diplomate, législateur, fin lettré, poète, humain et humanitaire, politicien, très ouvert sur les temps modernes et les nouvelles techniques, «homme du monde» (eh, oui !) ? peut-être trop en avance sur son temps et même sur ses contemporains et autres coreligionnaires (dont certains n'avaient pas compris les dangers de l'invasion coloniale et avaient continué à refuser l'unité des rangs, ce qui avait facilité les trahisons et les défaites).

Avis - Bien sûr, la biographie d'Abdel Kader reste encore à écrire, mais ce livre ne cessera d'être une référence car, comme le dit Habart «il est le reflet direct de la personne et de la vie de l'Emir?». Ecrit par un homme qui s'était identifié au peuple arabe, en adoptant les moeurs, la langue, le costume, arabisant jusqu'à son nom (Shershar Bey), bête noire des consuls français. Donc, à lire sans hâte, mais avec curiosité? Pour bien savoir.

Extraits : «...Il haïssant la guerre ; et pourtant, il allait bientôt briller, sur le front des combats, comme son étoile la plus éblouissante» (p 54) «Réformons les vieux abus, les barbares croyances ; extirpons le fanatisme et arborons l'étendard des lumières» (P 327)

La bataille de la Macta, juin 1835. Un essai d'histoire militaire de Ahmed Kouider Ben Hamed (colonel Nabil. Préface de Abdelkader Djeghloul Editions Dar El Gharb. Oran 2005

Djeghloul a aimé et en reprenant Kateb Yacine, il estime ce court essai historique qu'il «vaut son pesant? de poudre d'intelligence». La vie d'Abdelkader a été longue, chargé d'histoires, de culture et de faits d'armes qui l'ont mené de Guetna à Damas en passant par La Mecque, Médine, Paris? Son Histoire, un des socles parmi les plus importants de la nation, reste encore à écrire, à compléter, à corriger. Surtout celle militaire, les documents les plus présents étant ceux des soldats français qui, bien souvent, pour cacher leurs déroutes, pour ne pas signaler leur sauvagerie ou tout simplement pour «se mettre en valeur» ont omis ou masqué bien des faits. L'exemple le plus frappant est ce «fameux» tableau de Horace Vernet présenté pour la première fois en 1867 à l'Exposition universelle de Paris, et décrivant «la prise de la Smala» survenue le 16 mai 1843. Piqué au vif par des dessins parfois obscènes, l'ancien chef de la résistance algérienne n'a pas manqué de faire observer «qu'il existe d'autres batailles qui ont opposé les armées algérienne et française, et qui n'ont pas été peintes. Est-ce parce qu'elles ont donné la victoire aux armes algériennes ?». Parmi ces dernières, celle de la Macta, le 28 juin 1835. L'Emir n'avait alors que 28 ans. Sur une colonne française de 2 500 hommes, entre 250 et 400 tués, 308 blessés... et 800 prisonniers de guerre. Une bataille dont le retentissement avait dépassé les frontières de la France. Un désastre «humiliant pour la renommée de l'armée française». Le gouverneur général de l'époque, le général Drouet d'Erlon, fut limogé, ainsi que le commandant de la division d'Oran, le général Trézel. Les règlements de combat dans l'Armée d'Afrique furent profondément révisés

Avis - Ecrit par un expert, mais se lit comme un «film». La bataille de la Macta : Elle suffirait amplement !

Extrait : Extrait d'une lettre adressée au maréchal Bugeaud : «La vague se soulève-t-elle quand l'oiseau l'effleure ? C'est l'image de votre passage en Afrique» (p 45)