
Parce que le pays, plus de dix lustres après le recouvrement
du soleil de la liberté, est encore à
choisir entre développer la faculté (à l'université), ou promouvoir la faculté
du développement, l'école algérienne a ceci de particulier qu'elle est le
premier indicateur non «triturable» de la bonne santé mentale d'un pays.
L'école publique, en véritable pépinière de l'esprit républicain, a tant
avancé? à reculons, que le pays se retrouve aujourd'hui avec des millions
d'analphabètes et d'illettrés polyglottes sur les bras. Dans un pays où ne pas
envoyer son enfant à l'école est, «en principe», un délit passible
d'emprisonnement, que fait l'élève, ou même l'enseignant une fois sorti de
l'école ? «Ils deviennent des bons à rien», nous rappellent des esprits
désappointés. Mais sous nos latitudes désenchantées, à l'ère du dieu - Matière,
quelqu'un s'interroge-t-il encore sur la place réelle laissée dans nos
triviales préoccupations quotidiennes aux vertus immunisantes de l'école, quand
on constate la tête «éviscérée» que le savoir est en congé depuis des années ?
Parce que, paraît-il, personne n'a le temps de penser à mettre «quelque chose»
dans sa tête lorsque le ventre et les poches sont vides, celui qui voit l'école
comme une vocation ou un moyen de mieux comprendre «son» monde, ne «pèse» pas
un kopeck aux yeux de plus nantis que lui, qu'un raté, un khobziste, un col usé
miséreux, et même misérable, condamné à consommer sa carrière «castrée», un peu
comme un athlète qui fait la course en tête, mais finit toujours bon dernier?
de la classe. Dans une contrée où le mot «livre» ou «culture» sonne comme des
marques de fayots immangeables, le propre d'une société «paumée» est justement
de vivre au temps de l'affairisme tous azimuts et ne croire en rien d'autre
qu'en la religion du lucre? à n'importe quel prix. Encore et toujours, qui se
souvient encore de cet «instit'» des années soixante-dix, pauvre mais digne,
mal sapé mais propre de corps et d'esprit, humble mais drapé d'une aura de
prophète vivant de son seul Savoir ? Parce que l'ignorance est mère de tous les
vices, le «tebbgar» en V.O., le «navigage» ou le charlatanisme «éclairé»
tiennent lieu d'une «culture» prédatrice à laquelle ne peuvent échapper que les
âmes bien nées.
La «douloureuse» à payer pour ce renversement sens dessus
dessous des valeurs de notre société sera extrêmement élevé. Il suffit, «pour
perdre le nord», de constater qu'un pays qui consacre presque la moitié de son
budget depuis l'ère de la liberté recouvrée au secteur de la formation et de
l'enseignement se retrouve un demi-siècle plus tard avec dix millions
d'illettrés sur les bras. Et comme un pays qui se retrouve avec autant de
«rebut» désarrimé d'avec le train du Savoir et de la Connaissance ne peut
suivre le TGV du développement, il y a de quoi craindre pour un retour
désastreux vers l'abîme d'avant l'indépendance. Le jour viendra, certainement,
où plus que le médecin, l'avocat ou le politique, l'enseignant et son job de toutes
les sueurs sera le plus exaltant de tous les gagne-pain que le pays se
prémunisse contre l'apocalypse de l'ignorance, et son lot de séismes en tous
genres. Le jour viendra, aussi, où celui qui a pour métier d'apprendre aux
autres à lire et à écrire devienne le maillon le plus fort d'une société
transformée en une gigantesque chaîne alimentaire, avec de la place qu'à ceux
qui savent manger à midi pour ne pas être dévorés crus la nuit tombée. Aussi
vrai que celui qui ouvre une école ferme une prison, alors construisons, encore
et toujours, des écoles et fermons les prisons, toutes les prisons?