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«Halte au gâchis», le professeur Aktouf vous parle...

par Samy Injar

Le professeur Omar Aktouf est enfin édité en Algérie. Ce tribun iconoclaste, enseignant dans une prestigieuse école de management, HEC Montréal, mais néanmoins pourfendeur infatigable du capitalisme financier et du néolibéralisme, nous implore de ne pas imiter le modèle américain.

« Halte au gâchis» est le titre qu'a choisi de publier en premier la maison d'édition Arak. Il s'agit d'un pamphlet flamboyant de 156 pages annonçant la mort du capitalisme financier. Nous sommes alors en 2008 et la crise des subprimes prépare l'écroulement de Lehman Brothers et de Wall Street. Le professeur Omar Aktouf a bien conquis le droit de prendre des postures messianiques. En 2002, dans «la stratégie de l'Autruche», il annonce déjà l'apocalypse au bout de la mondialisation triomphante qui broie les humains et la nature. A contre-courant de l'euphorie ambiante. Dans le livre désormais disponible dans toutes les bonnes librairies, le professeur n'a pas encore «sous la main» le krach de septembre 2008 pour étayer un propos pamphlétaire sur «l'expansion du profit qui tue le profit». Tant pis, les scandales d'Enron, de Tyco, Xerox, jusqu'à Vivendi sont là pour montrer la faillite du management à l'américaine qui écrase «la ressource» devenue non humaine au seul service des actionnaires et qui finit par mendier piteusement le sauvetage aux Etats et aux banques centrales. «Halte au gâchis» reprend pour mieux illustrer quelques-unes des pistes typiques de la pensée Aktoufienne sur le management stratégique. La supériorité du modèle capitaliste rhénan nippon sur l'anglo-saxon. La nocivité des écoles de management qui reprennent dans le monde à l'envi les recettes financières de maximisation du profit de Michael Porter, le théoricien d'un management de la segmentation de la chaîne de valeur. L'ascendant du capitalisme financier d'abord sur le capitalisme industriel ensuite sur le reste du monde a conduit à des drames innommables. Mais aussi à une bonne nouvelle. La mort du capitalisme financier. Ce modèle est en train de s'effondrer qui met le détenteur non pas du métier, mais du capital au centre d'un pouvoir démiurgique.

QUOI DE NEUF PROFESSEUR ?

Pourtant, pour ceux qui connaissent depuis quelques années l'œuvre du professeur, la question fuse au bout de quelques paragraphes de «Halte au gâchis»: quoi de neuf donc dans les anticipations visionnaires de citizen Aktouf, compté parmi les 75 personnes les plus influentes au Canada ? Il y a dans «Halte au gâchis» deux ou trois idées qui à défaut de renouveler le corpus Aktoufien, lui donne une consistance plus forte que les reproches que lui font ses contradicteurs de négliger parfois dans ses travaux. La toute première est une tentative d'expliquer ce qui n'a pas marché dans le nouveau cycle d'expansion du capital mondialisé. Sans revenir sur les moteurs des périodes de croissance antérieures, notamment les trente glorieuses de l'après-seconde guerre mondiale, Omar Aktouf suggère à la page 44 l'échec pour le capitalisme de faire du secteur tertiaire non marchand un moteur de la croissance, comme l'une des raisons de l'écroulement de la mondialisation financière sur elle-même. Les industries de l'information et de la distraction n'ont pas réussi à créer vraiment une nouvelle économie: «Ce secteur, même soumis aux règles et aux jeux de marché, ne peut tout simplement pas se nourrir lui-même et encore moins nourrir les autres secteurs de l'économie». La révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication a oublié quelque chose. La barrière d'accès au numérique. Elle laisse des pans entiers de la société mondiale en dehors de cette consommation de nouvelle génération. Goulot de débouchés dans le cycle marchand.

ARISTOTE FACE A LA BOULIMIE CAPITALISTE

En réalité, «Halte au gâchis» décrit tout au long de paragraphes divers l'étreinte d'une asymétrie qui étrangle la planète. D'un côté «le dessèchement de la demande solvable», une «accentuation dramatique de la paupérisation», et de l'autre une concentration jamais égalée de richesse entre un petit nombre de mains. Une reproduction qui prétend à l'universalité de la distorsion du modèle américain de management. Le boss est tout, le créateur de la valeur rien. Mais «Halte au gâchis» développe encore d'autres intuitions fécondes de l'auteur. Notamment celles qui lui permettent de déconstruire le mécanisme de la pensée de l'enseignement managérial dominant. Le professeur Omar Aktouf propose à la fin de son essai de recourir à Aristote pour refonder une éthique à l'accumulation matérielle des individus et des sociétés. Il constate que la notion de «contentement» est plus forte dans les sociétés arabo-musulmanes et en Afrique. Grâce en partie à l'héritage aristotélicien sauvegardé par les arabes. Dans son «Ethique à Nicomaque», Aristote rapporté par Omar Aktouf épilogue: «Choisissant indéfiniment une chose pour une autre, nous ne connaîtrons ni contentement ni repos, et cette poursuite indéfinie du plaisir nous en éloigne sans cesse».